Croyances antillaises

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Croyances antillaises

BREF GUIDE DU MONDE DES ESPRITS

Autrefois, (mais de façon moins courante, aujourd'hui) des histoires terrifiantes étaient contées aux enfants dès leur plus jeune âge, et ils étaient habités très tôt par la peur des esprits. Du berceau donc, à la tombe, les Antillais côtoient ce monde invisible, qui inspire en eux une peur irraisonnée. Ils y rencontrent :
 • les zombis, surtout en milieu rural. Il n'est pas rare encore, aujourd'hui, d'entendre des parents dire à leurs enfants terrifiés « Zombi la ké chayé'w » (Le zombi va t'emporter). Il faut dire que, de tous les esprits, le zombi est le plus connu et craint. Il emprunte la forme d'un homme très grand (remplacé parfois par un arbre) sans tête ni bras, qui est condamné à errer sans fin sur terre. Dans les maisons, il y a souvent un petit coin de terre avec du sable pour décourager les zombis, censés compter tous les grains avant de franchir le seuil ;
 • les esprits méchants qui circulent et s'activent la nuit surtout ;
 • le soucougnan (femme qui se transforme la nuit et qui vole dans les airs pour accomplir ses méfaits ;
 • le dorlis, ou « l’homme au bâton » qui visite les femmes endormies la nuit et abuse d'elles ;
 • le morphoisé, personnage qui se transforme en animal ;
 • les diablesses, qui, dans l'imagerie populaire, sont des femmes très belles qui guettent les hommes la nuit afin de les séduire pour leur plus grand malheur.
Les Antillais redoutent encore :
 • les morts, omniprésents dans les pensées, qui ont une influence sur la vie quand ils sont invoqués ;
 • les maisons hantées. Du cas célèbre de la maison de Zévallos au Moule (1) à la simple case qui brûle de façon inexpliquée, la légende de la maison hantée est encore bien vivace. Les lieux qui furent l'objet de tueries ou d'affrontements sont souvent considérés comme hantés.

BREF INVENTAIRE DES REMÈDES

Impuissants devant ces forces surnaturelles, les Antillais remettent leur sort au séancier (gadèdzafè ou quimbois), qui tient en main la destinée des humains. Il pratique des prières et des incantations pour chasser des démons. Il est capable de jeter un sort pour obtenir la vengeance, ou d'évincer de la « scène de la vie » celui ou celle qu’on jalouse. Il enlève le mauvais sort jeté par une tierce personne. Il distribue des protections telles que le talisman (objet ou image préparé rituellement dans le but de conférer un pouvoir magique). Il bénit la voiture en vue d'éviter les accidents, car même l'incident le plus banal reçoit une interprétation magique (la voiture n’aurait pas été protégée...). À ce titre, par exemple, on remarque souvent un chapelet enroulé autour du rétroviseur intérieur de la voiture.

Le séancier prescrit aussi des philtres ou pobans, c'est-à-dire des breuvages magiques qui servent à envoûter ou à désenvoûter, à guérir de n’importe quelle maladie. Ces pobans portent des noms enchanteurs, tels que foin coupé, eau de désenvoûtement, eau de victoire, eau homme fort, eau jambé barrière, eau de Saint-Michel, eau main puissante, eau pas kité moin, chaine des esprits supérieurs, maîtresse des hommes, venez-à-moi, amour sans fin, baume commandeur. On les rencontre sur tous les marchés où ils sont fabriqués « sur mesure » par le quimbois.

Les Antillais se protègent par des superstitions. La superstition n’est pas leur apanage, évidemment, on la trouve chez d’autres peuples. Aux Antilles, cependant, on attribue une valeur spirituelle à beaucoup de gestes. Un exemple serait le bain démarré. Afin que la nouvelle année chasse toutes les déveines, rien ne vaut ce bain traditionnel. Le rituel commence à minuit le soir du 31 décembre par une baignade à l’embouchure d’une rivière ou dans la mer, et se poursuit par un bain de feuillages bouillis auparavant. Et parce que les Antillais ont la conviction que la santé et la mortalité ne sont pas seulement influencées par des facteurs naturels mais aussi par des facteurs spirituels, ils consultent en parallèle le séancier et le médecin de famille.

LA SPIRITUALITÉ CATHOLIQUE AUX ANTILLES

Le catholicisme a fortement marqué les Antilles. Dès l'arrivée des esclaves dans les îles, on assiste à des tentatives de christianisation forcée. Le Code Noir de 1685 (« Édit du roi concernant la discipline de l’Église et l’Etat et la qualité des nègres esclaves dans les iles de l’Amérique ») resta en vigueur jusqu'à l’abolition de l’esclavage en 1848. Il précise le devoir du maître à l’encontre des esclaves : pourvoir à leur instruction religieuse en vue du baptême catholique et des autres rites. Pour les maîtres, la religion est un bon moyen de « contenir » les Noirs, car les prêtres enseignent l'importance de la soumission : il faut accepter son sort et endurer sa condition servile. Une spiritualité de la souffrance fait partie intégrante de la foi : comme le Christ, il s'agit d'accepter le mystère de la douleur pour entrer dans la gloire du Maître. Souffrir est salutaire.

Les rites catholiques n'effacèrent pas complètement les pratiques magico-religieuses. Malgré la vigilance des curés « convertisseurs », qui cherchèrent à éradiquer la moindre trace du paganisme, certains comportements spirituels d’origine africaine, tels que les rites d’enterrement, persistent. Il n’y eut pas vraiment de « changement de religion ». Les esclaves adoptèrent des croyances catholiques, comme une panoplie de puissances supplémentaires pour se protéger et se venger, en les faisant entrer dans leur univers magique. Ils traduisirent et interprétèrent la doctrine et le rituel catholiques à leur façon. Les esclaves trouvèrent une nouvelle façon de pratiquer la magie, par le biais des sacrements d'Église, des pratiques de la dévotion populaire (culte de la vierge Marie et des saints, etc.), et des objets sacrés (statues, tableaux, cierges, encens, eau bénite, rosaire, vêtements et reliques). Le syncrétisme permet aux pratiques anciennes de perdurer parallèlement aux nouvelles pratiques chrétiennes.

La cohabitation des spiritualités traditionnelles et catholiques réussit si bien que le peuple antillais n’a aucune gêne à se faire administrer les sacrements de l’Église et en même temps à pratiquer des rites venus des religions traditionnelles de l’Afrique ou de l’Inde. L'Église se charge du salut et chacun est libre de régler les problèmes quotidiens (mariage, vie de famille, travail, réussite des enfants, richesse...) en fonction de sa croyance au quimbois ou au Méliémin ou aux deux. Chaque famille catholique a sa petite « recette personnelle » pour s’adresser aux saints, pour chasser les mauvais sorts ou pour réussir son quotidien, mais la consultation du quimbois est de rigueur si ces recettes familiales n'obtiennent pas le succès escompté. De même, la Bible n’est pas essentiellement un livre de doctrine ou de piété personnelle. Elle sert plutôt comme objet de superstition, car avoir une Bible chez soi assure la tranquilité, et on récite les Psaumes pour se protéger ou se venger.

Parmi les pratiques populaires aux Antilles, notons encore l'omniprésence aux Antilles des chapelets. Chez les personnes d'un certain âge, il n'est pas concevable de se déplacer (à l'église, en voyage, dans les rues, etc.) sans être en possession de son chapelet. En disant « an ké pran chaplé an mwen si tèt aw » (je prendrai mon chapelet sur ta tête) certaines personnes détournent le caractère bienfaiteur du chapelet à des fins de nuisance. Les neuvaines, aussi (une succession de prières pour obtenir une grâce : amour, argent, santé, examen, ménage, etc.) sont une pratique encore assez courante. Pendant neuf jours, les prières sont récitées à genoux en présence d'une bougie allumée et à une heure fixe chaque jour, à l'intérieur comme à l'extérieur des maisons.

On peut considérer le recueil des 44 prières comme un livre « culte » aux Antilles. Ce recueil contient des prières concernant quasiment tous les domaines de la vie, allant de la santé au mariage en passant par les problèmes liés à l'argent, à l'amour ou au travail. Voici quelques intitulés précis :
 • prière à David pour obtenir la protection de Dieu contre ses persécuteurs et ses ennemis ;
 • prière pour la délivrance de tous procès et de toute affaire de justice, ainsi que pour connaître les criminels et leurs complices ;
 • prière au Père éternel pour obtenir la grâce du mariage; pour obtenir la guérison; pour retrouver une personne ou un objet perdu.

Remarquons enfin que la célébration de la fête de la Toussaint aux Antilles, nullement consacrée à la tristesse, est l'une des coutumes empreintes d'une grande théâtralité, tant par son thème tragique que par sa mise en espace. La Toussaint est un moment qui réunit activité manuelle (préparation du lieu, illumination) et spiritualité (communication des vivants avec les ombres). Il est chargé d'une intense valeur symbolique : la réconciliation des morts et des vivants et la pérennité de leur relation. Il s'agit de la résurgence d'une manifestation de l'animisme ancestral africain, et qui consiste à rendre grâce aux morts en fêtant la vie. Durant cette période de la Toussaint, chez beaucoup de familles d'origine indiennes, on pratique un rituel particulier appelé Semblani, à l'honneur des défunts les plus proches. Un repas leur est offert, et il y a autant de repas que de défunts dans la famille. C’est une manière de conserver et de respecter la mémoire du ou des défunts.

 

Auteurs
Fred SAMTCHAR

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1.
www.guadeloupe-fr.com/unSiteTouristique/239/

Informations complémentaires

Pasteur de l'Église Évangélique d'Orly (Val-de-Marne).

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