Évangélisation et oecuménisme

Complet L'œcuménisme

Pour certains, évangélisation et oecuménisme semblent deux réalités inconciliables et bien des évangéliques soucieux de témoignage, se tiennent à l’écart des relations avec certaines autres Églises pour que rien ne vienne entraver la dynamique de leur proclamation de l’Évangile. Il existe cependant d’autres manières de voir la relation entre ces deux exigences. Le texte de Louis Schweitzer qui suit a d’abord été prononcé à Nîmes, en janvier 2001, à l’occasion d’une rencontre entre pasteurs et prêtres de toutes confessions. Peut-être les positions exprimées susciteront-elles des réactions ; elles seront les bienvenues.

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Évangélisation et oecuménisme

Le thème de la relation qui existe entre évangélisation et oecuménisme me semble extrêmement intéressant car il correspond à une question importante pour les Églises d’aujourd’hui. L’évangélisation est une des missions principales de l’Église et la manifestation ou la recherche de l’unité me semblent tout aussi capitales. Or certains, attachés à l’annonce de l’Évangile, pensent que l’évangélisation ne pourrait que pâtir d’un œcuménisme qui la paralyserait, alors que d’autres au contraire, soucieux de l’unité des Églises, voient dans l’évangélisation une occasion de conflits et, pour tout dire, un problème de frontières. Il me semble essentiel de commencer par une tentative de définition de ces deux termes.

Que veulent dire ces deux mots ?

Tous les chrétiens sont d’accord pour dire que l’annonce de l’Évangile, le témoignage rendu au Christ est une des missions principales de l’Église. La Bonne Nouvelle doit être communiquée au monde. Cela a été vrai de tout temps, mais prend une force nouvelle lorsque nous vivons dans un monde qui ne se veut plus chrétien. Les Églises protestantes, et particulièrement les Églises dites évangéliques, ont toujours considéré que le cadeau qui nous est fait par Dieu doit être proposé à tous les humains, d’où les campagnes d’évangélisation, l’engagement dans ce sens de la communauté locale ou la nécessité pour chaque chrétien de témoigner. Du côté catholique, il me semble que cette perspective, parfois relativisée par l’illusion d’une civilisation chrétienne, trouve aujourd’hui un écho nouveau à la faveur de la sécularisation grandissante de nos sociétés. Le pape a ainsi largement mis en valeur la notion de « nouvelle évangélisation ».

Nous serons certainement d’accord également pour dire que l’évangélisation est autre chose que le prosélytisme qui a plus mauvaise presse. Celui-ci est une tentative d’amener des gens dans notre chapelle, une sorte de recrutement pour faire grandir la communauté. L’évangélisation est une proclamation de l’Évangile destinée à mettre nos contemporains en contact avec Dieu et son amour. L’Église n’est certes pas étrangère dans cette perspective, mais elle est seconde. Si le prosélytisme est une volonté humaine, l’évangélisation ne peut se concevoir que comme l’oeuvre de l’Esprit. Certes, le témoin est présent et actif, l’Église montrant par sa vie ce que l’Évangile peut susciter comme réalité nouvelle, mais la conviction intérieure, faite de repentance et de foi n’est pas une œuvre humaine. Et là où elle n’est que cela, elle ne dure pas ou donne des fruits douteux.

L’oecuménisme, quant à lui, est cette tentative de rapprochement des Églises par le dialogue et la collaboration. Je disais précédemment qu’il était la manifestation ou la recherche de la communion entre les chrétiens et les Églises. Manifestation de l’unité, tout d’abord, car il est né de la prise de conscience de cette unité existant avant tout effort de notre part. Il existe à l’évidence des différences entre les Églises chrétiennes et il ne faut pas les minimiser. Elles sont, par exemple, si fortes entre protestants et catholiques que l’on ne peut pas parler de communion au plein sens du mot. Mais cependant, si nous luttons contre notre myopie ecclésiale fréquente, comment ne pas voir que ce qui nous unit est autrement plus fondamental que ce qui nous divise ? Nous vivons en effet dans un monde pour lequel l’existence de Dieu, la possibilité même d’existence d’un divin est devenu problématique. Or, qu’avons-nous en commun ? La foi en Dieu Père, Fils et Saint-Esprit. La foi en Christ, Dieu parmi nous, crucifié pour nous et ressuscité, vivant aujourd’hui et actif dans le monde par l’Esprit Saint. Nous croyons ensemble que l’amour de Dieu non seulement nous sauve, mais nous introduit dans une vie nouvelle qui nous fait grandir peu à peu à l’image du Christ et nous ouvre aux autres à travers un amour actif et concret. Dans nos diverses Églises, sous des formes, des traditions et des cultures différentes, c’est ce même Dieu que nous adorons, que nous prions et dont nous recevons la Parole que nous essayons de mettre en pratique. Pour le non-croyant, c’est à dire pour la grosse majorité des personnes qui nous entourent, tout cela est énorme et les différences qui nous séparent encore et qui portent généralement sur l’ecclésiologie et les sacrements paraissent presque dérisoires.

L’oecuménisme est donc la volonté de manifester cette unité déjà existante, mais aussi la recherche de dépassement des oppositions qui sont encore séparatrices. Cette recherche doit se faire dans la vérité, ce qui la rend parfois difficile et éventuellement conflictuelle car nous avons de part et d’autre, des convictions anciennes et fortement enracinées.

Ma conviction profonde est que l’oecuménisme ainsi compris est indispensable pour l’évangélisation, au moins pour une évangélisation saine et que l’évangélisation est le résultat premier de l’oecuménisme.

L’évangélisation comme conséquence de l’oecuménisme

Les Églises, toutes les Églises, n’ont-elles pas une tendance certaine à être un peu nombrilistes ? Elles parlent de leurs affaires, aussi dans le domaine de l’oecuménisme, en oubliant qu’elles n’existent pas d’abord pour elles-mêmes, mais pour être, dans le monde des témoins du Christ. C’est là, dans l’Église, la communauté locale comme dans sa manifestation plus vaste, que les hommes et les femmes de notre temps doivent pouvoir voir la réalité nouvelle qui est manifestée en Christ et qui existe déjà sur la terre bien qu’encore imparfaitement. Nous nous comportons parfois comme si le monde était chrétien, ou même comme si tous ceux qui se réclament sur le papier de telle ou telle Église étaient chrétiens. Il nous faut comprendre que ce n’est pas le cas, que nous sommes entourés d’une grande foule qui n’est même plus chrétienne de nom. Combien de personnes autour de nous, jeunes mais aussi moins jeunes, qui n’ont même plus de l’Église la caricature que conservaient leurs pères, mais qui simplement ignorent à peu près tout de l’Évangile et de la foi. Ce qu’ils savent, c’est que dans l’histoire et aujourd’hui encore dans certains pays, des chrétiens se sont battus entre eux au nom de leurs identités et de leurs mémoires différentes. Ils entendront ensuite des chrétiens dire que le christianisme est une religion de paix et d’amour et critiquer dans la foulée les chrétiens de l’Église voisine, grande ou petite. Mais quel crédit accorder à des paroles qui ne s’accordent pas ou si peu avec les actes ?

Rappelons-nous ces paroles de Jésus dans l’évangile de Jean : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. À ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l’amour que vous aurez les uns pour les autres » (Jn 13.34-35). En parlant ainsi, c’est un peu comme si Jésus donnait à tous, aux non-chrétiens en particulier, le droit de juger ses disciples à l’amour qu’ils auront les uns pour les autres. Mais en même temps, il fait de l’amour la première forme de témoignage concret vers ceux du dehors. Or l’oecuménisme n’est-il pas une forme, la forme concrète de l’amour entre chrétiens différents et entre leurs communautés ? Et Jésus ajoutera un peu plus loin, dans ce même évangile : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu’ils soient en nous eux aussi afin que tout le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17.21). C’est bien la foi du monde qui dépend en quelque sorte de la qualité de notre unité. Certains disent parfois : « mais l’unité en Christ, elle existe déjà, pourquoi vouloir la créer ? ». C’est bien sûr vrai, mais c’est aussi précisément pour cela qu’elle doit être manifestée. Quelle est cette unité étrange dont on dit qu’elle existe mais qui n’entraîne aucune relation, qui ne suscite ni rencontre ni collaboration ? L’unité entre les chrétiens a donc comme premier résultat d’être un témoignage pour le monde. L’amour entre les disciples de Jésus et entre les communautés qu’ils forment est une manière de montrer que ce que Jésus est venu apporter est vivant aujourd’hui. Il est déjà une forme d’annonce de la Bonne Nouvelle par la pratique.

La crainte dominante, qui paralyse souvent les relations entre les Églises, c’est celle de perdre son identité. Il y a là à la fois une fidélité à la vérité telle que nous la comprenons et une fidélité à nos pères, une sorte de peur de trahir si nous nous entendions avec les héritiers de ceux contre qui ils se sont battus et dont ils ont souffert. Mais je voudrais que nous allions un peu plus loin sur la question de notre identité. Sur quoi est elle fondée ? Sur les convictions qui sont les nôtres et auxquelles nous tenons, certainement. Sur notre histoire, notre mémoire, bien sûr. Et tout cela est juste et bon. Il nous faut respecter nos pères et mères, être fidèles au dépôt qu’ils nous ont transmis. Mais tout cela, est-ce suffisant pour définir notre identité ? Ne croyez-vous pas que si nous sommes véritablement chrétiens, nous recevons également notre identité de l’avenir ? Nous la recevons de notre vocation et je prends ce mot dans son sens le plus vaste comme dans un sens plus relatif. La vocation de l’Église de Jésus-Christ, mais nous pourrions dire également de chacune de nos Églises, c’est le Royaume de Dieu. Voilà vers quoi elle marche, la direction qui l’oriente, l’appelle et la fonde. Là est son identité essentielle devant Dieu, bien plus que les aléas de son pèlerinage terrestre. Et cette identité nous est commune. Nous sommes tous appelés à avancer dans la même direction. Mais il est des vocations moins lointaines ; je veux parler de la mission de l’Église. Notre identité, c’est ce que Dieu, par l’Esprit, nous appelle à être et à faire aujourd’hui, dans le monde qui est le nôtre. Et l’évangélisation tient alors une place essentielle. Certes, elle n’est pas le tout de la mission. L’engagement pour la justice, l’amour concret et pratique des plus pauvres, des défavorisés, des opprimés font aussi partie de la mission de l’Église. Et ce n’est pas pour rien si les collaborations entre chrétiens différents sont souvent plus simples dans les domaines les plus pratiques. L’ACAT est ainsi un lieu de collaboration concrète entre chrétiens de toutes confessions. Mais la proclamation de l’Évangile est aussi une part essentielle de la vocation de l’Église de Jésus-Christ et des Églises particulières. C’est parce que nous nous reconnaissons comme des frères, différents, séparés, certes, mais des frères en Christ devant Dieu, que nous pouvons et devons annoncer ensemble l’Évangile à ceux qui nous entourent. Et si le Seigneur veut nous apprendre à aimer nos ennemis, eh bien, commençons tout de suite en annonçant ensemble la Bonne Nouvelle de la réconciliation.

La nécessité de l’oecuménisme pour l’évangélisation

Cette formule peut sembler étrange tant nos pratiques en sont parfois éloignées.

Je voudrais d’abord souligner que les Églises ont des situations différentes, des forces et des faiblesses diverses en ce qui concerne leur témoignage.

Vous savez que l’on oppose parfois, au moins au sein du protestantisme, les Églises historiques et les Églises évangéliques. J’avoue que d’habitude, cette opposition m’énerve, tant elle suppose une méconnaissance et de l’histoire et de la réalité. Les Églises mennonites datent du début du 16ème siècle ; elle sont exactement aussi anciennes que la tradition réformée puisqu’elles sont nées dans la proximité immédiate de Zwingli. Les Églises baptistes datent du début du 17ème siècle, etc. Quel âge faut-il avoir pour être « historique » ? Pourtant aujourd’hui, je me ferai en un certain sens l’avocat de cette perspective. En effet, pour certaines Église protestantes et pour les Églises catholiques ou orthodoxes, la dimension historique, la mémoire de l’histoire est un des éléments-clé de leur identité. Alors que, pour la plupart des Églises évangéliques, l’histoire est secondaire. Ce qui compte, c’est la communauté d’hommes et de femmes d’aujourd’hui, généralement sans mémoire chrétienne particulière, qui ont décidé de s’engager à la suite du Christ. Les deux traditions ont leurs avantages et leurs inconvénients. Il y a des mémoires encombrantes et qui isolent, mais l’amnésie peut être elle aussi un handicap douloureux.

Mais revenons à l’évangélisation. Beaucoup de français d’aujourd’hui sont intéressés par Jésus mais allergiques à l’institution. Les « casseroles » que traîne l’Église empêchent bien souvent des personnes d’entendre la Bonne nouvelle. L’Église catholique apparaît souvent, parfois malgré elle mais pas toujours, comme une institution qui rêve encore de sa puissance passée. Certains protestants ont un tel sens de leur histoire qu’ils en ressemblent parfois à une ethnie particulière dans laquelle il est impossible d’entrer si l’on n’a pas un ancêtre galérien ou au moins suisse ou alsacien… Les Églises évangéliques, au contraire, se concentrent sur l’aujourd’hui de l’Évangile. Elles en oublient souvent le tronc dont elles sont issues et partagent parfois l’illusion qu’elles viennent directement des communautés du Nouveau Testament. Je crois que cet oubli fréquent de l’histoire pose un certain nombre de problèmes, mais qu’il peut être aussi un avantage pour l’évangélisation. L’Évangile qui est ainsi transmis n’a ni la patine ni les rides des siècles et il devient beaucoup plus compréhensible pour de nombreuses personnes qui auraient reculé devant « l’Église ». C’est Olivier Clément qui, dans un très beau livre déjà ancien sur l’esprit de Soljenitsyne(1), écrivait que « les groupes évangéliques et d’abord les baptistes, sont aujourd’hui en Russie, la seule force missionnaire active par leur capacité d’apporter à des hommes sécularisés, incapables de médiations complexes dans le domaine de la foi, le témoignage bouleversant de l’Évangile, le choc de la personne et de l’enseignement de Jésus ». Il me semble que cette analyse qu’il développe bien sûr beaucoup plus longuement correspond aussi en partie à notre situation et qu’elle explique que pour certaines personnes au moins, l’évangélisation des évangéliques est l’unique porte d’entrée possible vers une foi vivante. Les évangéliques « mettent l’accent sur l’enseignement de Jésus, le présentent dans la langue de tous les jours et le placent, comme un ferment, dans la vie de tous les jours. De sorte que l’existence chrétienne semble se dérouler à l’intérieur des Évangiles et des Actes des Apôtres»(2). Cette capacité est sans doute un de leurs apports possibles au concert œcuménique, une des richesses qu’ils peuvent apporter aux autres Églises.

En revanche, nous sommes en France dans une culture habituée à écrire le mot Église au singulier. Pour beaucoup, chrétien égale catholique. Il ne faut pas se le cacher, devenir chrétien, c’est pour beaucoup de gens devenir catholique. C’est un des problèmes que rencontrent des missions comme celles de Billy Graham dans les pays comme le nôtre. Aux États-Unis ou dans d’autres pays de culture protestante, il ne fait qu’appeler les gens à entendre l’Évangile et ceux qui l’écoutent ont le sentiment de revenir à l’Église de leur enfance, c’est à dire au christianisme tout simplement. Pour des raisons historiques, il ne peut pas en aller de même en France et celui qui entre dans une Église évangélique (mais c’est aussi vrai du protestantisme en général) risque ainsi de passer par une sorte de double conversion (au sens psychologique du terme). Il se convertit ainsi à l’Évangile, mais en plus, il devient protestant et certains, ne pouvant faire ce second pas, ne feront pas non plus le premier. Ainsi ce qui peut représenter pour les uns l’insupportable poids de l’histoire sera pour d’autres la sécurité et les repères d’une histoire qui est la leur.

Il me semble donc que les diverses Églises ont des atouts différents pour s’adresser à des personnes ou des populations différentes. Mais il faut être, là encore, aveuglé par la trop grande proximité pour ne pas voir que les divergences et les concurrences entre les Églises font planer un doute sur la vérité du message quelles annoncent et surtout sur l’authenticité des témoins. Chacune prêche l’amour universel de Dieu, appelle à l’amour du prochain, du frère comme de l’ennemi. Et les chrétiens ne sont pas capables de s’entendre entre eux et passent beaucoup de temps à affirmer la supériorité de leur propre compréhension du Christianisme et à dénigrer les autres chrétiens et leurs communautés. Cette rivalité est un contre-témoignage qui est plus perçu de dehors que de l’intérieur des Églises, mais qui représente un obstacle certain à l’évangélisation.

Témoigner ensemble, dans une différence fraternelle, de l’Évangile que nous recevons ensemble, aurait sans aucun doute un autre poids. Cela permettrait à des hommes et des femmes d’entrer dans l’Église de Jésus-Christ par la porte de leur choix sans avoir l’impression d’habiter une portion d’Église en rivalité contre les autres.

Cela est d’autant plus important que nous savons bien que l’on entend parfois mieux les choses déjà connues lorsqu’elles sont dites autrement. C’est mon expérience, et je pense celle de beaucoup, d’avoir compris des choses que j’avais l’habitude d’entendre depuis ma jeunesse lorsqu’elles m’ont été dites dans un autre langage. Et comme Soljenitsyne qui a découvert la foi par les évangéliques avant de (re)venir à l’orthodoxie, beaucoup ont eu besoin de passer par un certain chemin, différent pour chacun en fonction de son histoire et de sa personnalité, avant de trouver le lieu qui sera finalement le sien. Mieux vivre l’oecuménisme dans l’évangélisation permettrait à beaucoup des cheminements moins conflictuels et d’éviter d’inutiles déchirements. Bien sûr, si l’évangélisation a pour but de faire grandir le nombre des membres de mon Église ou de la maintenir à tout prix, tout cela pose problème. Mais si c’est le Royaume qui est concerné, alors les choses sont différentes et la fraternité entre les chrétiens témoignera qu’ils sont effectivement les disciples de Jésus-Christ .

Les pratiques d’une évangélisation oecuménique

Je voudrais que nous survolions rapidement les manières concrètes qui se présentent à nous pour collaborer dans ce domaine. Il est important de prendre conscience que nous ne parlons pas de choses jamais vues, mais que beaucoup existe déjà.

1. Évangéliser ensemble

La forme, me semble-t-il, la plus répandue d’évangélisation commune, c’est l’exposition biblique. Et y a-t-il en effet meilleur centre pour cette annonce de l’Évangile que cette parole que nous recevons ensemble ? C’est elle qui nous fonde et qui nous appelle et c’est autour d’elle que nous nous retrouvons le plus facilement. Nous pouvons la présenter par des expositions, des conférences, etc. Et toutes nos Églises peuvent se retrouver dans cette collaboration. Des orateurs de sensibilités différentes seront invités. Nous apprécierons les bonnes choses qui nous viennent des autres traditions et qui enrichiront notre compréhension de l’Écriture et nos lectures. Et sans doute nous faudra-t-il apprendre à supporter ce que nous aurions dit autrement, ce qui nous semble un peu bizarre. Certains auront sans doute peur que la pureté du témoignage soit touchée. La doctrine de tel orateur sur l’Écriture n’est pas celle que nous aurions souhaitée. Ou sa conception de l’Église est trop faible… Mais soyons sûrs avant tout que ceux qui viendront seront plus sensibles à la qualité d’un accord de fond sur l’Écriture qu’à d’éventuels désaccord sur des formulations. Au contraire, que cette Parole puisse être discutée, quelle soit l’objet de controverses fraternelles est pour beaucoup plutôt rassurant. Les discours monolithiques qui ne laissent pas de place à la moindre discussion, qui ont réponse à tout, font plutôt peur et fleurent un peu la secte. Cette capacité de reconnaître nos différences sur le fond d’un accord essentiel fait parfois peur aux responsables des communautés. Le magistère veut assurer son pouvoir. Or il y a des Églises qui ont de grands magistères qui posent parfois quelques problèmes et d’autres qui ont de petits magistères tout aussi sourcilleux… Mais sous couvert de saintes préoccupations, nous retrouvons souvent des questions de pouvoir. En tout cas, si les expositions bibliques sont si nombreuses, c’est bien qu’elles correspondent à une attente et des chrétiens et du public puisqu’elles remportent souvent un véritable succès.

Mais est-ce là la seule manière envisageable d’évangéliser ensemble ? Bien sûr que non. Tout est possible en fonction de nos situations. Dans beaucoup de pays, surtout anglophones il est vrai, les catholiques participent aux campagnes de Billy Graham. Rien n’empêche de travailler ensemble avec l’intelligence du besoin particulier d’une région, à annoncer l’Évangile. Cela suppose bien sûr que l’on se concentre sur l’essentiel, cette foi qui nous est commune et qui est le cœur du message. Il s’agit de la confession de Dieu comme Père, Fils et Saint-Esprit, de sa venue en Jésus-Christ dans notre histoire, de la mort et de la résurrection du Christ et du don de l’Esprit. Vous remarquerez que tout tourne autour de la trinité et des grandes fêtes chrétiennes, Noël, Pâques et Pentecôte. Ce ne sera sans doute pas le lieu de développer longuement notre doctrine de l’Église ou des sacrements. Encore moins d’entrer dans les polémiques à ce sujet. Quant à ceux qui entendront, ils viendront ensuite, en fonction de multiples facteurs dans telle ou telle Église, mais ils sauront que les chrétiens peuvent vivre et travailler ensemble et que l’Esprit peut effectivement les unir en un seul corps, même si ce n’est pas sans difficultés.

2. Évangéliser séparément de manière oecuménique

Mais toute évangélisation devrait-elle être commune ? Bien sûr que non. Ce serait réduire l’évangélisation à peu de choses. Elle peut cependant être conçue de manière oecuménique au sens où nous l’avons entendu. Beaucoup repose alors sur le dialogue entre les communautés et particulièrement leurs responsables. L’annonce de l’Évangile cesse d’être une manière implicite ou explicite d’attaquer l’autre communauté pour devenir la proclamation de l’Évangile que fait une partie de l’Église, non contre les autres mais en communion fraternelle avec elles. Pourquoi ne pas s’informer des entreprises que nous organisons ? Pourquoi ne pourrait-il pas y avoir, comme un signe, la présence d’un représentant des autres Églises ?

Lorsque j’étais pasteur d’une Église au centre de Paris, nous avions d’excellentes relations avec la paroisse catholique voisine et nous avions abordé ensemble la question de l’évangélisation. Notre but était d’annoncer l’Évangile, non de détourner des chrétiens engagés de la communauté qui était la leur. Certains sont venus et se sont intégrés à notre communauté, d’autres sont venus, puis sont repartis vers leur Église d’origine; beaucoup ont entendu et Dieu sait ce qu’ils sont devenus. Je crois bien qu’un bon nombre est devenu meilleur catholique. Bien sûr, si le seul but est la progression en taille de la communauté, il peut y avoir un problème, mais si on considère les choses du point de vue du Royaume, il en va autrement.

Cela est d’autant plus vrai que les personnes qui participent à une communauté comme celles qui la fréquentent occasionnellement seront marquées par l’attitude des responsables à l’égard de la paroisse voisine. Si les relations existent, si le responsables vient à l’occasion prêcher dans l’église, si le message n’est pas accompagné par le dénigrement de l’autre communauté, alors, même si les convictions spécifiques sont fortement affirmées, elles ne deviendront pas des barrières qui nous isoleraient des autres chrétiens.

D’autre part, le fait de savoir que celui qui annonce l’Évangile a de bonnes relations avec mon Église me permet d’entendre, au delà de l’accent propre de sa confession, l’Évangile de Jésus-Christ. Et des obstacles qui auraient pu nous empêcher d’écouter seront encore tombés.

Du courage !

Je ne voudrais pas en terminant laisser croire que, pour celui qui veut s’engager sur ce chemin, tout se passera toujours sans difficultés. Les préjugés sont nombreux et il y aura toujours, dans chacune de nos communautés ou de nos traditions, des gens pour contester cette collaboration. Ce pourra être au nom de la vérité qui ne permet pas de coopération avec des chrétiens dont la doctrine est sur tel ou tel point insuffisante ou suspecte. Ce pourra être au nom de l’efficacité, de la volonté de témoigner de tout l’Évangile et de ne pas laisser tel ou tel aspect dans le flou. Ce pourra être aussi au nom de la charité envers les plus faibles de nos frères. Je voudrais m’attarder un peu sur cette question.

Dans toutes nos Églises, on trouve des gens à la mémoire longue et douloureuse, aux préjugés parfois tenaces qui seront choqués, pour des raisons que l’on peut comprendre, de voir leur communauté collaborer avec une autre Église dont ils ont souffert d’une manière ou de l’autre ou dont ils sont persuadés qu’elle est dans l’erreur. Ces gens méritent qu’on les écoute. Mais il nous faut être attentifs pour que la prise en compte et le respect du frère plus faible ne deviennent pas la dictature des plus étroits. Bien sûr, il faudra expliquer et ce ne sera peut-être pas toujours facile. Mais en se pliant devant les blocages de certains, en se cachant aussi parfois derrière eux, nous sommes sûrs que les choses n’avanceront jamais. Car notre comportement implicite forme également la mentalité des autres membres de la communauté. Si nous n’entretenons pas de relations avec les autres, c’est qu’il ne faut pas le faire. C’est ainsi que tous le comprendront sans que nous le disions ou même que nous le pensions. Et ainsi, de génération en génération, nous continuerons de former des personnes fragiles qui resteront craintives devant le dialogue et la rencontre des chrétiens différents.

Du courage, il en faudra peut-être aussi pour essuyer quelques refus. Nous nous avancerons pleins d’enthousiasme vers les autres et nous nous heurterons peut-être à une indifférence polie et fraternelle, pourquoi pas même à une certaine hostilité. Le grand danger est alors de se refermer dans sa coquille avec, en plus, la certitude du devoir accompli. « Vous voyez bien, nous avons fait tout ce que nous pouvions, mais ils ne veulent pas… » Toute relation avec l’autre qui veut être une manifestation de l’amour doit se rappeler que nous sommes dans un monde où l’on peut nous gifler sur la joue droite, nous traîner dans un procès, etc. Tout amour du frère peut devenir parfois amour de l’ennemi et c’est bien pour cela que l’Évangile insiste à ce point sur la nécessité du pardon ! L’union est un combat disait-on dans un autre contexte, l’œcuménisme aussi. Il est lutte contre les préjugés, les jugements, le mépris, l’enfermement dans nos tours d’ivoire qui nous donne la sécurité de celui qui est sûr d’avoir raison. Et le pire, peut-être, parce que le plus pervers, c’est de vivre un véritable œcuménisme contre tel ou tel autre. Imaginez cela en terme de relations interpersonnelles et pensez à ce besoin naturel des groupes de se trouver un ennemi. Est-il faux ou excessivement pessimiste de penser que les Églises se sont souvent conduites de la sorte ? S’engager sur ce chemin, ce n’est pas seulement choisir ses amis (si vous aimez ceux qui vous aiment, que faites-vous d’extraordinaire ?), c’est essayer d’avoir le cœur aussi large que Dieu et accepter que la vie est pleine de risques et que l’amour n’est pas toujours payé de retour. Mais si nous reculons devant cela, comment pouvons-nous encore croire que c’est l’Évangile du Christ que nous annonçons ? « Heureux les artisans de paix, heureux les miséricordieux et peut-être même heureux ceux qui seront persécutés pour la justice, le Royaume des cieux est à eux ». Bon courage !

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1.
Olivier Clément : l’esprit de Soljenitsyne, Stock, Paris 1974, p.231
2.
ibid. p.232

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