L'Eglise en mission: Pour une ecclésiologie missionnaire

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L'Eglise en mission: Pour une ecclésiologie missionnaire

"L’Église vit de mission comme le feu vit en brûlant". Cette citation du théologien suisse Émile Brunner suggère que la mission est une raison d’être de l’Église chrétienne et donc aussi de chaque église locale. Elle découle par nécessité de sa nature même. Encore faut-il définir ce que la notion de « mission » signifie ici. Avant que je développe ce thème, j’aimerai préciser que je présuppose une ecclésiologie protestante et plus particulièrement d’église de professants. J’utilise le terme Église (E majuscule) pour désigner l’Église chrétienne en général ou une confession particulière et église (e minuscule) pour désigner l’église locale, manifestation locale de l’Église universelle.

L’Église apostolique - l’Église envoyée

Nous confessons, dans le symbole de Nicée-Constantinople de 381, « l’Église une, sainte, universelle et apostolique ». Cette dernière « nota ecclesiae », marque de l’Église véritable, ne signifie pas seulement qu’elle tire son origine des apôtres du Christ et transmet fidèlement leur foi, la foi apostolique, d’âge en âge. Elle signifie aussi, et cela est de plus en plus mis en avant dans le débat ecclésiologique contemporain, que l’Église est « envoyée », qu’elle a part à un « envoi ».

Il s’agit de l’envoi divin tel qu’il est résumé par Jésus en Jean 20.21 : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. » Le terme « envoi » est la traduction française d’« apostole » en grec et de « missio » en latin. De la mission du Fils découle donc la mission des apôtres, les envoyés mandatés par le Christ selon Luc 10.16 : « Celui qui vous écoute m’écoute, et celui qui vous rejette me rejette, et celui qui me rejette, rejette celui qui m’a envoyé ». Cette mission ne se limite pas aux douze apôtres mais s’étend à tous ceux qui croiront en Jésus par leur parole (Jn 17.20), à savoir l’Église. La « missio ecclesiae » découle de et dépend de la « missio dei », pour l’exprimer dans un langage théologique.

La mission de l’Église ne désigne donc pas une fonction accessoire de l’Église, comme on l’a souvent compris, mais fait partie de l’être même de l’Église, car cet envoi est en continuité profonde avec cet être et une manifestation d’une activité continue de Dieu lui-même. Dieu le Père envoie son peuple d’Israël, son Fils unique et son Église, pour le représenter, le faire connaître, parler et agir en son nom. Être peuple de Dieu, être Église, c’est donc être envoyé. Être Église, c’est donc être « Église en mission ». Nous allons y revenir.

Les trois phases de l’histoire du salut

Rappelons d’abord que la mission de Dieu, dans laquelle s’inscrit la mission de l’Église, est le fil rouge des Écritures Saintes. Nous pouvons le suivre à travers l’histoire du peuple d’Israël et trouver son accomplissement et son point focal en Jésus comme le Messie, le Christ. Il continue ensuite et s’accomplit, dans le temps et dans l’espace, à travers l’Église « apostolique ».

L’action de Dieu dans le monde trouve son arrière-plan dans le fait que l’homme s’est détourné de Dieu, son Créateur. Mais « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jn 3.16). Jésus-Christ est donc le centre de cette histoire du salut. C’est pourquoi nous parlons de trois phases dans cette histoire: le temps de l’ancienne alliance préparatoire, le temps de la transition entre l’ancienne et la nouvelle alliance, à savoir entre la naissance et la mort du Fils de Dieu incarné, et enfin le temps de la nouvelle alliance, après la mort et la résurrection de Jésus. Voyons très brièvement l’essentiel missiologique de ces trois phases.

Le sens missiologique de l’ancienne alliance

Lorsque Dieu choisit Abraham et le peuple issu de lui et entra en alliance avec eux, le but de cet acte « particulariste » était bien en rapport directe avec l’intention « universaliste » du seul Dieu créateur. La signification de l’élection n’était pas privilège mais responsabilité et service. Le peuple élu serait « un royaume de sacrificateurs ». Comme les prêtres pour le peuple, Israël devait remplire une fonction sacerdotale pour le monde. Il serait donc le représentant des peuples devant Dieu et le représentant de Dieu devant les peuples, car « toute la terre est à moi » (Ex 19.5-6).

Israël avait cependant du mal à laisser la gloire de Dieu se manifester dans la vie du peuple et ainsi attirer l’intérêt des nations. Il avait aussi du mal à remplir sa fonction vis-à-vis des étrangers qui venaient, par un mouvement centripète (de la périphérie vers le centre), au temple de Jérusalem pour y connaître le Dieu dont ils avaient entendu parler. C’était par de tels étrangers qui repartaient chez eux, que « tous les peuples de la terre » devraient connaître le nom de Dieu pour le craindre comme Israël, selon la prière du roi Salomon lors de l’inauguration du temple (2 Ch 6.32-33). Mais les nations furent davantage vues comme une menace sur le plan politique et une tentation sur le plan religieux que comme un défi sur le plan missiologique.

Le but universaliste et donc missionnaire de l’élection jaillit cependant sur le plan liturgique, dans certains Psaumes (Ps 67, 97, 110, etc.). Et les prophètes annonçaient, dans une perspective eschatologique, le temps à venir quand le Serviteur de l’Éternel, le Messie de Dieu, accomplira la vocation du peuple d’Israël d’être « la lumière des nations » afin que le salut soit manifesté « jusqu’aux extrémités de la terre » (És 49.6). C’est alors que la conscience missionnaire vétérotestamentaire, de caractère centripète, laisse jaillir à certains moments des rayons d’une conscience missionnaire centrifuge, vue cependant comme faisant partie de l’avenir messianique.

Le sens missiologique du temps de transition

Quand ce Serviteur de l’Éternel arriva, dans la personne de Jésus le Messie, il a d’abord concentré sa mission sur le peuple d’Israël. Le message du salut et du règne de Dieu devait être annoncé d’abord à ceux qui avaient reçu les promesses, avant qu’il soit transmis aux nations. L’offre du salut avait aussi comme condition que son fondement soit la mort expiatoire de Jésus et son résurrection (Mt 10.5-7 et Jn 12.20-34).

Dans les évangiles, reflétant le temps de transition, nous voyons cependant comment Jésus montrait à ses disciples en paroles et en actes que l’amour de Dieu ne s’arrêtait pas aux limites d’Israël. Les dirigeants Juifs comprirent, avec raison, ces ouvertures vis-à-vis des non-Juifs comme une prétention messianique (Mt 15.21-16.4).

Le sens missiologique de la Nouvelle Alliance

Le temps de franchir les frontières ne vint cependant qu’après la mort et la résurrection de Jésus. Son ministère et sa prétention ou son droit messianique avait alors reçu la confirmation de Dieu lui-même (Ac 17.30-31). Si Jésus n’était pas ressuscité, nous aurions été encore dans nos péchés, car il n’y a pas d’autre Évangile, il n’y a pas d’autre nom par lequel nous pouvons être sauvés (1 Co 15.14-20, Ac 4.12). Après la résurrection, Jésus s’est installé à la droite de Dieu le Père. Et la conséquence est claire : « Tout pouvoir m’a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez, faites de toutes les nations des disciples… »  (Mt 28.18-19). Celui qui est le Seigneur de l’univers a été donné par son Père « pour chef suprême à l’Église » (Ép 1.20-23). Par la mission de l’Église, l’invitation à confesser cette seigneurie de Jésus-Christ s’étendra aux nations.

Le mouvement principalement centripète de l’Ancien Testament est alors changé en un mouvement principalement centrifuge. Ce mouvement de franchissement ou de dépassement de frontières allait commencer lorsque l’Esprit aurait donné aux apôtres la puissance à devenir les témoins de Jésus « à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1.8). Le jour de Pentecôte, la limitation au peuple d’Israël fut abolie symboliquement par l’annonce de l’Évangile dans d’autres langues. Successivement, la perspective s’ouvrait alors au peuple à moitié juif dans la Samarie et ensuite aux peuples non-juifs. La révélation et la foi enracinées dans le judaïsme commença alors à faire son chemin, à travers l’histoire et la géographie, vers le but décrit dans Apocalypse 7.10-13 : « une grande foule… de tous peuples et de toutes langues… se tenait devant le trône ».

Une implication de ce survol biblique est bien sûr que tous les prédicateurs dans toutes les églises sont chargés d’annoncer, d’expliquer et d’appliquer cette dimension missiologique de la révélation biblique, en même temps que « tout le dessein de Dieu » (Ac 20.27). Ce n’est qu’ainsi qu’ils accomplissent leur vocation de serviteurs du Seigneur et de l’Église et ce n’est qu’ainsi que chaque église peut retrouver ou manifester sa nature missionnaire.

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Auteurs
Göran JANZON

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