Comment prêcher la Parole de Dieu à partir d'un texte de terreur ?

Extrait La prédication 13 commentaires

Il est des passages dans la Bible qui ne sont jamais utilisés pour la prédication, soit par négligence, soit parce que nous avons du mal à les concevoir comme une parole du Seigneur pour édifier l’assemblée des croyants aujourd’hui. Parmi ces passages « oubliés » des prédicateurs figurent, notamment, les textes de terreur. Comment construire un message à partir de tels textes ? Voilà le défi relevé par Emma Sykes. Au moment de rédiger son article, Emma Sykes était encore en formation pour le ministère anglican à la Faculté de Théologie St John à Nottingham. En ce moment, elle exerce le ministère pastoral dans une paroisse du centre ville de Birmingham.
La version originale de cet article est parue dans The Preacher Magazine, un journal britannique rédigé par un collectif de prédicateurs. Nous vous en proposons une traduction française, car il revêt un intérêt particulier pour chaque prédicateur soucieux de transmettre « tout le conseil de Dieu ».

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Comment prêcher la Parole de Dieu à partir d'un texte de terreur ?

Une des tâches faisant partie du cours d’Histoire Biblique à la faculté de théologie était de réécrire un récit de l’Ancien Testament en l’adaptant à un contexte contemporain. J’avais été particulièrement fascinée par les « textes de terreur » de Phyllis Trible et je me suis mise au défi de trouver ce que pourrait nous apporter ce genre de textes aujourd’hui. Pourquoi ont-ils été inclus dans l’Ancien Testament ? A-t-on jamais eu l’occasion d’utiliser de tels textes de manière efficace dans une prédication ? Le récit de Juges 19 a touché une corde sensible en moi, parce qu’il m’a fait penser à la façon brutale dont on s’est servi des femmes en période de guerre. Des échos du génocide du Rwanda me sont revenus en mémoire. Le plus grand défi devant moi était de rester fidèle au texte biblique tout en racontant une histoire authentique. La seule information que j’aie reçue du Rwanda provenait de ce que j’avais lu ou entendu dans les médias. J’ai alors passé beaucoup de temps à chercher des récits sur Internet pour pouvoir écrire l’histoire la plus « authentique » possible.

J’ai fait le choix de faire la narration comme si le personnage principal du récit (une femme) parlait depuis l’au-delà, afin de donner une voix à cette femme sans voix, d'amener le lecteur à s’engager émotionnellement, de susciter son indignation, et à son tour de ressentir une soif de justice dans une situation si injuste. Je pense que ces textes se trouvent dans l’Ancien Testament justement pour cette raison ; Dieu veut nous rappeler les profondeurs de l’abîme dans lesquelles l’être humain est capable de s’engouffrer lorsqu’il s’éloigne de lui. Un récit contemporain nous rappelle que ces situations horribles existent encore de nos jours.

Cette narration n’a pas encore été présentée publiquement de façon orale. J’espère qu’un jour elle le sera, car dans mon ministère actuel, j’entre quelquefois en contact avec des femmes demandeuses d’asile qui ont une expérience réelle de la brutalité de la guerre et du viol, qui malheureusement, l’accompagne très souvent. Les cicatrices qu’elles portent sont profondes et durables. Si nous, en tant que pasteurs, devons les accompagner spirituellement de manière efficace en pareille situation, raconter un texte de terreur comme celui-ci pourrait être un moyen de faire entendre leur voix, pour que la guérison divine ait lieu et pour que la justice soit recherchée.

Réécriture de Juges 19

Je m’appelle Immaculée. Je suis morte le 12 avril 1994 à l’âge de quinze ans. Mon nom n’était pas connu à l’époque, mais je faisais partie des statistiques : une des 800.000 personnes assassinées en seulement cent jours ; présente dans les titres des journaux ; figurant dans les interminables images de cadavres découpés en morceaux, non pas par des étrangers mais par des voisins, par des amis, et même par ceux qui jadis les ont aimés.

Mon histoire fait partie de celles racontées par d’autres personnes, par des journalistes, par des colporteurs de nouvelles à sensation… par ceux qui ont ressenti le devoir de tout raconter pour que cela n’arrive plus jamais. Il n’y rien de mal à cela, mais ils m’ont transformée en une statistique. Je suis devenue juste un autre corps découpé, allongé par-ci par-là, et plus tard mis de côté et oublié, et uniquement ramené en mémoire lorsqu’on se souvient de la série des atrocités de l’Histoire.

Mais si vous restez avec moi pour un instant, vous pourrez trouver une histoire qui crie dans le silence pour se faire connaître. Je suis de l’ethnie tutsie. J’ai grandi dans un village de Nyarubuye au Rwanda. Je n’ai pas été éduquée, ce n’était pas mon rôle. Mon rôle dans ma communauté était d’apprendre à devenir une bonne épouse au foyer, pour cuisiner, planter, labourer et récolter, pour faire plaisir à mon mari.

J’ai connu mon mari dans un bal de l’Église locale ; il se formait pour être pasteur. Il était de l’ethnie hutue. Des mariages entres hutus et tutsis, on n’en avait presque jamais entendu parler, mais nous avons commencé à nous fréquenter. J’avais besoin d’assurer mon avenir. D’un autre côté, nos parents ne voulaient pas de scandale et il fallait aussi tenir compte de la réputation de mon mari. Mes parents ont pensé qu’il valait mieux qu’on se marie.

Il y a toujours eu des tensions entre tutsis et hutus, mais à cette époque-là, les rumeurs étaient devenues de plus en plus menaçantes, les tensions allaient en grandissant. J'avais très peur ; je craignais que notre mariage nous coûte la vie à tous les deux. J’ai quitté la maison et suis rentrée chez mon père avec l’espoir que peut-être, cela nous donnerait à tous les deux une chance, et que même si je n’en avais pas, lui en aurait peut-être une. Il a fallu peu de temps avant que mon mari vienne me chercher. Il ne pouvait pas s’occuper de lui-même sachant qu’il avait toujours eu une épouse qui pourrait cuisiner pour lui, bref, une bonne à tout faire.

Mon père était déterminé à le garder le plus longtemps possible. Les rumeurs n’étaient plus que des rumeurs. Nous avons entendu que quelques tutsis du village voisin avaient été brutalement assassinés par une bande d’hutus qui rôdaient dans les parages et qui tuaient de manière indifférente hommes, femmes et enfants, avec toutes les armes qui leur venaient sous la main.
Mon père ne pouvait pas être plus hospitalier envers mon mari qu’il ne l’était. Je l’ai soupçonné de croire que, si on le voyait bien traiter un hutu, la bande qui sillonnait les parages lui manifesterait un peu de pitié. Mais à ma grande stupeur, un soir mon mari a emballé nos affaires et nous sommes partis.

Il était déterminé à se rendre dans un village où il y avait beaucoup d’hutus. Avait-il oublié que j’étais tutsie ? Cela lui importait-il au moins ? Je me suis sentie malade pendant tout le voyage. Malade, inquiète et tremblante de peur. Est-ce que j'avais bien fait de quitter mon foyer et de rentrer chez mon père ? Était-ce de ma faute si nous étions en train de faire un voyage périlleux ?
Nous sommes arrivés au village, il était étrangement calme. On sentait dans l’air comme une atmosphère de guet-apens, on pouvait presque la respirer. Le peu de gens aux environs étaient pressés de rentrer à la maison ; ils n’avaient pas le temps de s’entretenir avec des étrangers, en particulier avec un homme qui avait une femme tutsie. Ils avaient évidement entendu les rumeurs. À l’occasion, un vieil homme s’est présenté – il était tutsi. Une fois qu’il avait compris que nous avions juste besoin d’un lit pour passer la nuit et que nous apportions nos propres provisions, il nous a invités à le suivre rapidement. L’homme avait une jeune fille. On s’est assis tous ensemble. Mon mari et le vieil homme tutsi ont partagé leurs histoires.

Mon cœur s’est emballé lorsqu'on a cogné à la porte. Le vieil homme s’est levé et a ouvert. Les gens du village avaient entendu qu’il y avait un couple hutu-tutsi dans les environs et ils voulaient prendre mon mari pour l’amener dehors et l’humilier pour sa trahison envers les siens. Le vieil homme a perdu la raison ; il a préféré nous sacrifier, moi et sa propre fille, à la place d’un étranger hutu venu se réfugier chez-lui. J’ai aussitôt réalisé que ma mort était proche. Je pense que ce n’était pas une décision facile à prendre pour mon mari ; la guerre était à la porte de ce vieil homme. Le choix était simple ; sacrifier sa femme tutsie pour sauver sa peau et montrer ainsi sa loyauté à son peuple. Je ne peux pas le blâmer. N’aurais-je pas fait la même chose si j’avais été en mesure de prendre cette décision ?

J’ai été violée, abusée ; la torture a été insupportable. J’ai eu la chance à un certain moment de perdre connaissance. Quand j’ai repris un peu de forces, je me suis traînée par terre. Chaque partie de mon corps hurlait de douleur. J’ai juste atteint le seuil de la porte avec ma main… À quel moment le souffle de vie a-t-il quitté mon corps ? Lorsque mon époux a pris la machette de notre maison pour me découper membre par membre, pour démontrer sa loyauté à la bande d’hutus ? Ou à la fin de toute une nuit de viols ? Le moment de ma mort avait-il de l’importance ? Vous avez compris dès le début que cette histoire n’avait pas une fin heureuse. Le massacre que j’ai subi des mains de mon mari a été suivi ce même jour d’une folie meurtrière, où l’on a vu beaucoup d'autres femmes violées et puis brutalement massacrées.

La prochaine fois que vous lirez les statistiques d’innocents assassinés dans la guerre et quand vous observerez que la liste d’atrocités s’étend sur des décennies, si vous avez l'estomac solide, arrêtez-vous un instant et entendez leurs voix comme si elles criaient de l’au-delà, et posez-vous cette question : comment réagirais-je ?

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Auteurs
Emma SYKES

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Traduit de l’anglais par Nelson Lostauna.

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Commentaires

Egli

11 April 2012, à 18:57

Je suis très édifié par votre cite de tous les enseignements que vous présentez. Que Dieu vous bénisse

kiki

03 June 2013, à 01:05

c'est bien

Manwo Loulou

13 July 2013, à 06:55

Juste pour me ressourcer a ameliorer ma maniere de precher.

Loulou MANWO
Vanuatu Oceanie.

paixenchrist

14 July 2013, à 01:23

je veux avoir tous les informations pour que j'arrive a bien precher dieu dans la parole vrai

Administrateur des C.e.p.

26 August 2013, à 12:02

Bonjour cher "paixenchrist",

Il me serait difficile de vous donner toutes les informations dans le but de vous améliorer dans vos futures prédications. Bien sûr, vous trouverez une littérature abondante avec quelques auteurs recommandables pour réfléchir sa manière de prêcher comme Fred B. Craddock pour son livre Prêcher (Preaching pour l'original), mais le livre n'étant plus édité il se trouve seulement en occasion. D'autres auteurs plus récent comme Brian Chapell, John Piper vous apporteront des outils et un approfondissement de votre réflexion.

Mais en plus de toutes ces lectures, je ne peux que vous inviter à vous rapprocher d'un institut, ou d'une faculté de théologie, car l'une des clés pour enrichir sa prédication reste la formation de type universitaire pour être au contact de personnes ayant déjà fait ce cheminement spirituel et intellectuel avant nous.

Fraternellement

elgort

23 January 2014, à 22:06

je suis elgort kbg mon rêve le plus utile est de devenir un serviteur de l’éternel, ce pour quoi je tien vraiment a vous félicitez de nous avoir édifié encore dans la parole que Dieu tourne son regard vers toi Qu'il te donne ce que tu manque!

junior

14 May 2014, à 13:06

je suis interesser de la site sourtout que je suis un jeune serviteur et j'aimerai que vous puissiez commencé a m'envoyé le message et le prédication

Administrateur des C.e.p.

22 May 2014, à 18:29

Merci pour votre intérêt, je vous invite à consulter notre page abonnement pour voir aux possibilités de recevoir nos parutions.

famat

30 May 2014, à 20:50

j'aime jesus christ

dieugo

27 December 2014, à 14:16

merci pour tout

benibeni

22 June 2015, à 22:06

je veux aller loin dans la predication de la parole de Dieu

Gbao Walter

29 August 2015, à 13:40

tu es ma vie seigneur

Kabangu

30 April 2021, à 04:25

Que Dieu vous bénisse

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