Pour une prédication vraiment pastorale

Complet La prédication

La prédication est un des actes essentiels et régulier du ministère pastoral. Le danger est grand de se contenter de répéter les formes et les idées reçues. Richard Gelin est pasteur à Bordeaux et enseigne l’homilétique à la faculté de Théologie de Vaux-sur-Seine. Ce texte pose les bases d’une réflexion, mais le sujet est si important et permanent que nous y reviendrons régulièrement dans les cahiers suivants.

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Pour une prédication vraiment pastorale

Entre conviction et incertitude

Rares sont ceux contestant que la prédication demeure un acte pastoral majeur. Cette conviction est corroborée et encouragée par la forte attente de la prédication parmi les membres des Eglises, attente attestée par toutes les enquêtes. Or, les pasteurs, praticiens réguliers, sont assez souvent partagés entre la conviction de son importance et comme une incapacité à expliciter pour eux-mêmes cette importance. Des jugements issus des théories de la communication, tels celui de Kerk (cité par Hollinger ABMS 1988) : « Si une chose mérite vraiment d’être communiquée, ne la gaspillez pas en la prêchant ! » - propos assez typique des années 70/80 - ont participé à créer ce trouble de l’assurance pastorale. Cette difficulté se traduit par exemple par un embarras accru devant la question du choix du texte biblique ou encore par la difficulté à attribuer à la prédication toute la place qui devrait lui revenir dans l’emploi du temps hebdomadaire, entre autres parce que l’on ne sait plus très bien la situer dans la « hiérarchie » des activités du pasteur.

Nous proposons qu’une part de ce malaise tient à un manque de perception de la spécificité pastorale de celle-ci.

Au-delà du fait qu’elle est le plus souvent assurée par le pasteur, en quoi la prédication est-elle « pastorale » ? Quelles sont les caractéristiques et les exigences établissant cette dimension ?

Au Carrefour de la vie de l'Eglise

D’abord, la prédication s’inscrit à l’intérieur d’un ensemble de relations. Elle est comme le carrefour vers lequel convergent toutes les paroles et toutes les rencontres constituant la vie communautaire, non pour s’y embouteiller, mais pour s’y réorienter. Le prédicateur a pu être déstabilisé quand les sciences de la communication réduisaient son sermon à n’être qu’une parole parmi beaucoup d’autres. Mais, selon le témoignage même des paroissiens, la prédication n’est pas une parole à côté des autres, ni en plus des autres, mais au centre des autres. Elle est pour la plupart de ses auditeurs une parole attendue et non une parole subie. On devrait la présenter comme une parole « sabbatique » ; une parole qui repose, qui libère, qui rassemble, par sa fonction de recentrage sur la Parole unique qui éclaire toutes paroles. C’est dans l’esprit biblique du sabbat que le pasteur devrait vivre le ministère qui lui est confié.

Une de ses particularités, sauf quelques expériences rares, est d’être sans réponse immédiate. Cette singularité ne résulte pas d’une confusion entre le discours humain et la parole divine. Le pasteur demeure un frère s’adressant à ses frères. Mais elle est signe que l’Eglise rassemblée attend de l’Esprit qu’il se saisisse de ces paroles fraternelles pour la conduire, elle, à la Parole de Dieu.

Par ailleurs, le pasteur ne s’adresse pas à des inconnus. Il prêche devant des hommes et des femmes dont il partage la vie, dont il est souvent le confident, le conseiller. Parmi ses auditeurs, il y a ceux dont il se sent proche, ceux à l’opinion desquels il est particulièrement sensible, parfois celui avec qui il est en conflit. Une interaction permanente, inévitable, consciente et inconsciente, et même souhaitable quand elle est maîtrisée, joue entre l’élaboration de la prédication et la vie de l’Eglise telle que vécue par le pasteur. Le prédicateur, qui est immergé dans la vie communautaire, doit trouver une juste distance pour que sa parole soit une parole proche - au sens de saisissable - de ses auditeurs et non élaborée au-dessus de leur tête. Elle ne doit jamais devenir de son fait une parole individuelle. Il s’interdit de « viser » l’un en particulier sous le couvert de l’anonymat d’une parole adressée à tous. Cette proximité entre le prédicateur et les auditeurs du sermon, si elle comporte quelques risques de dérapages nécessitant une réflexion éthique sur l’usage et le pouvoir de la parole, est d’abord une espérance, celle de la possibilité d’un sermon pertinent.

Une prédication christologique

Tout pasteur évangélique connaît les petites suggestions de prédication émanant des uns et des autres : le trésorier aimerait une prédication sur l’argent et la dîme ; tel parent nous propose de prêcher sur les relations adolescents parents. Or, le prédicateur ne prêche pas sur ceci ou sur cela. Il prêche l’Evangile de Jésus-Christ. Certes, il ne le prêche pas de façon éthérée. Il prêche l’Evangile qui éclaire d’une lumière nouvelle tout ce qui constitue le quotidien du croyant. Mais le prédicateur doit résister à la tentation « d’instrumentaliser » la prédication, de réduire son sermon à une fonction utilitariste : la prédication qui sert à ... La prédication pour être chrétienne doit être christologique. Elle l’est quand elle recentre toute vie, toute situation, toute attente, toute inquiétude, tout projet, sur la personne, l’œuvre et la promesse du Christ, nous conduisant, en lui, à la foi, l’espérance et l’amour. Aucun thème n’est indigne de la prédication tant que celle-ci demeure christologique, c’est à dire tant que la proclamation de Christ demeure le sujet premier. Le prédicateur moderne, rendu attentif à la réception du sermon, a le souci honorable d’être concret. Mais peut-être doit-il quand même méditer cette pensée de Bonhoeffer : « Une prédication est concrète quand Dieu est réellement maître, en elle, de sa Parole » (La Parole de la Prédication, p.42).

Développer un projet homilétique

Dimanche après dimanche, le pasteur prêche ! C’est un grand privilège de pouvoir, semaine après semaine, conduire l’Eglise dans la méditation des Ecritures. Nous sommes ainsi, par l’inscription de la prédication dans le temps, libérés de l’obsession de l’efficacité immédiate. S’il y a des prédications qui, comme des torrents en crue, remuent tout sur leur passage, la plupart ressemblent davantage au ruissellement d’un filet d’eau, presque insignifiant, qui cependant, au fil du temps, creuse le granit.

Toutefois, cette dimension de la persévérance, quoique indispensable, est en elle-même insuffisante. Elle appelle un projet homilétique pour assumer pleinement sa mission pastorale. La prédication ne devrait pas être décidée au coup par coup. Dans le dossier que le magazine libriste « Pour la Vérité » a consacré à la prédication (décembre 1997), plusieurs pasteurs invités à témoigner de leurs expériences de prédicateur, soulèvent la question de la difficulté qu’ils éprouvent face au choix du texte ou du thème, difficulté leur faisant éprouver parfois jusqu’à l’angoisse de « la fièvre du samedi soir ».

Rien ne chassera jamais la nécessaire insatisfaction du prédicateur qui le pousse à toujours compter sur la grâce. Mais certaines difficultés témoignent d’une autre dimension.

Dans la tradition des Eglises évangéliques, il y a plusieurs approches de la planification de la prédication : lectionnaires, série sur un thème, inspiration du moment (en fait, absence de planification !), livre biblique suivi, etc. Chaque méthode a une pertinence provisoire, oscillant de l’exceptionnel au régulier. Il est à noter qu’aucun des prédicateurs « témoins » du dossier de PLV, n’évoque un projet résultant d’un diagnostic pastoral de nature théologique.

Reconcilier Théologie et prédication

Avec la proposition d’un projet homilétique, nous touchons à la substance de la dimension pastorale de la prédication. Une prédication pastorale est une prédication où la compétence théologique est mise au service de la vie de la communauté. C’est une prédication qui s’ordonne à la compréhension théologique que le pasteur a de ceux qui se sont confiés à ses soins. Nous rejoignons ici ce qu’écrit F. Craddock : « la prédication est un élément du travail pastoral en ce qu’elle offre au prédicateur et aux paroissiens la possibilité de rassembler, évaluer, soumettre à examen théologique, tirer au clair et exprimer de vive voix les questions qui apparaissent en ordre dispersé au travers des nombreux contacts et activités pastoraux » (Prêcher p. 40).

Le couple théologien prédicateur semble parfois en instance de divorce. Il arrive que le pasteur prédicateur éprouve même comme une peur de « faire » de la théologie, peur d’ennuyer, peur de ne pas être compris, peur de planer au-dessus des réalités des auditeurs. Certains revendiqueront même : « moi, je prêche l’Evangile, pas de la théologie ». Protestation sympathique, mais naïve. Dès lors qu’un seul mot de commentaire se rajoute à la lecture des Ecritures, il est vecteur d’une théologie. Comme Monsieur Jourdain pour la prose, le prédicateur fait de la théologie, peut-être sans le savoir, peut-être même en le niant, mais nul n’y échappe, sauf à se taire !

Mieux vaut alors essayer de repenser la relation de la théologie à la prédication. La chaire doit être un des lieux de réconciliation entre la formation théologique et l’exercice du ministère. Elle est une théologie appliquée. C’est par la prédication que les affirmations de la foi viennent éclairer le vécu. Il ne s’agit pas de faire de la prédication un exposé de théologie systématique. Il s’agit pour le pasteur de mûrir sa prédication dans le mouvement d’une analyse théologique de la vie de l’Eglise.

Un exemple du NT

Avec l’Epître aux Hébreux, le NT propose le témoin d’une prédication pastorale éminemment théologique. Si l’on accepte, avec la quasi totalité des exégètes, que cette épître fut initialement un sermon, transformé en lettre par l’addition d’une salutation finale, nous avons là, la seule prédication d’édification du NT. Nous utilisons les catégories de JM Chappuis, la « prédication d’édification » qui s’adresse aux croyants, en distinction de la « prédication missionnaire » destinée à convaincre les non-croyants. Qui niera, à la lecture de cette épître, que le sermon d’origine n’était, à la fois et complémentairement, hautement théologique et pastoral ?

Le prédicateur, un homme d’écoute !

L’une des spécificités du pasteur, pour laquelle il a reçu une formation, c’est d’être capable de discerner les champs théologiques dans lesquels une communauté donnée construit sa vie, sa foi, son témoignage, sa relation au monde, et d’être capable d’apporter les éléments de la Bonne Nouvelle qui participeront à édifier l’Eglise, parfois en en corrigeant un déséquilibre. Cette spécificité implique que le prédicateur soit d’abord un homme d’écoute. Il peut sembler paradoxal de présenter ainsi celui qui a charge d’adresser la parole à la communauté. S’il n’était qu’un orateur, il lui suffirait de savoir parler sans susciter de l’ennui chez ses auditeurs. Il est prédicateur. Il annonce l’Evangile. Il éclaire la réalité invisible - cette vie cachée en Christ - parce qu’elle est la condition pour que le visible puisse être vu dans sa vraie lumière. Il est pasteur ; il a la charge d’une communauté particulière qu’il doit mettre au bénéfice de sa foi et de ses compétences. Quand on parle d’écoute, aujourd’hui c’est le mot psychologie qui fait écho. Mais pour le pasteur, l’écoute est premièrement de nature théologique. A partir de ce qu’il constate, de ce qui lui est confié, de ce lieu carrefour où il se tient, il cherche à comprendre les champs religieux, spirituels, les représentations de Dieu, de la foi, du sacré, de la volonté divine, de la bénédiction ... avec lesquels les croyants vivent. La prédication est pastorale quand elle accepte de proclamer la Parole de Dieu pour enseigner, convaincre, éduquer dans la justice et ainsi corriger les représentations religieuses ambiguës. Bien des prédications s’évaporent sur les lèvres qui les ont prononcées parce qu’elles sont nées non d’une écoute pastorale mais de l’angoisse d’avoir quelque chose à dire qui nous fait transformer la Bible en réserve à sermons. C’est l’écoute pastorale, formulée dans le champ de la théologie, qui permettra à la prédication d’être elle-même écoutée. C’est par l’écoute théologique nourrissant la prédication que le pasteur fera face aux besoins profonds de la communauté. Cela ne retire rien, mais ajoute à l’accompagnement de prière et de piété dont il accompagne sa préparation.

L’exercice de ce discernement théologique est tout aussi indispensable dans le rapport de la prédication à l’actualité. Les chrétiens ne sont pas surnaturellement à l’abri des influences du temps. Les medias exercent leurs manipulations sur notre perception du monde en nous proposant du sacré, des conceptions de la gratuité, du mérite, etc. toutes choses qui interfèrent dans la construction de la foi. L’actualité sera présente dans la prédication parce qu’elle est présente dans la vie de chacun. Mais là, à nouveau, cette référence à l’actualité n’aura de légitimité que dans la capacité à analyser théologiquement les propositions sous-jacentes aux discours médiatiques. Annonçant l’Evangile, ici et maintenant, le pasteur doit assumer ce que J. M. Chappuis appelait la fonction homilétique de « démythologisation de l’information du monde ».

Faut-il préciser qu’une prédication pastorale se réclamant d’une démarche théologique ne sera ni absconse, ni ennuyeuse, si le conseil de J. Wesley est écouté : «il faut penser la prédication pour les plus exigeants et parler pour les plus simples » ?

Tout le conseil de Dieu

Reconnaître la prédication comme une dimension essentielle de la pastorale, ce n’est donc pas seulement constater son cadre ecclésial et ministériel, encore moins assurer la survie d’une tradition, c’est d’abord en reconnaître l’exigence théologique, tant dans l’analyse qui fait naître le sermon que dans son expression. C’est une conviction, parce que la foi ne peut pas se construire de façon durable sans une pensée théologique rendant compte de tout le conseil de Dieu dont nul ne doit se priver ou être privé.

Auteurs
Richard GELIN

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