La centralité de la croix pour le culte chrétien

Extrait Le culte

Nul ne niera que la croix de Christ est essentielle, fondamentale, centrale, tant dans la vie du chrétien que dans le culte de la communauté. Pourtant, il est aisé de la perdre de vue. Tellement évidente, elle peut perdre sa saveur, sa primauté et même sa nature « scandaleuse ». À travers cette étude fouillée, Thierry Rouquet nous centre sur l’essentiel : Jésus-Christ crucifié.

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La centralité de la croix pour le culte chrétien

Introduction

Parler de « croix » et de « culte chrétien », c’est déjà tout un programme, et à lui seul, ce titre nous engage dans une direction bien précise puisque nous y parlons de centralité de la croix. Pour cette raison, il m’a semblé utile de cadrer cette thématique en sondant quelques passages mentionnant la croix, tout particulièrement certains textes pauliniens. Dans un deuxième temps, et par incidence, nous verrons de quelle « centralité » il est question pour un culte qui se dit « chrétien ». Bien sûr, si j’évoque la croix ce n’est pas en tant qu’objet (encore moins comme pendentif ou relique), mais dans la perspective théologique que la prédication apostolique donne à ce mot quand elle le mentionne. 

La croix

Un texte majeur : 1 Corinthiens 1.17-25

Dans le contexte d'ébullition charismatique non contrôlée de l'Église de Corinthe, et pour contrecarrer ses détracteurs qui ne cessent de créer des factions à l'intérieur de cette communauté, l'apôtre Paul fait une déclaration fracassante et sans concession sur la raison d'être de son apostolat : 

Car le Christ ne m'a pas envoyé pour baptiser, mais pour annoncer la bonne nouvelle ; non pas dans la sagesse du langage, afin que la croix du Christ ne soit pas vidée de son sens. En effet, la parole de la croix est folie pour ceux qui vont à leur perte, mais pour nous qui sommes sur la voie du salut, elle est puissance de Dieu (1 Co 1.17-18). 

Il y a un point important à relever dans ce passage : « annoncer l'évangile » (v. 17) est équivalent à prêcher « la parole de la croix » (v. 18). Dans ce texte les deux expressions sont quasiment synonymes. Plus loin (v. 21b), l'apôtre décrit cette « parole de la croix » comme une « proclamation » (kèrugmatos), c'est-à-dire une annonce du kérygme évangélique, le message fondamental du salut manifestant la puissance de Dieu pour le pardon des péchés que ni juifs ni grecs ne comprennent, car ils recherchent une autre voie et ne veulent pas croire cette « parole de la croix ». Quelle est cette proclamation ? Celle d'un « Christ crucifié » (v. 23). Au chapitre suivant, Paul enfonce le clou... « Car j'ai jugé bon de ne rien savoir d'autre que Jésus-Christ - Jésus-Christ crucifié » (1 Co 2.2). On pourrait traduire cette dernière proposition par « Jésus-Christ, à savoir le Christ ayant été crucifié ». L'apôtre ne se contente pas de prêcher un Christ, c'est-à-dire l'annonce d'une personne se proclamant le messie, mais il proclame un messie ayant subi l'infamie du supplice de la croix.  

Enfin cette « parole de la croix » ou « langage de la croix » (o logos tou staurou) est « puissance de Dieu » (v. 18b). Or pour l'apôtre, la puissance de Dieu est révélée par l'Évangile, car seul l'Évangile sauve et réconcilie l'homme avec son créateur (Romains 1.16-17). En effet, l'Évangile révèle comment Dieu justifie l'homme par la foi. La parole de la croix, c'est donc l'enseignement de l'Évangile, de tout l'Évangile. La parole de la croix révèle à la fois la sagesse de Dieu en même temps qu'elle manifeste la folie des hommes (1 Corinthiens 1.20-25). Elle est à la fois source d'inspiration et d'émerveillement pour ceux qui l'ont reçue, car c'est la sagesse de Dieu qui s'y révèle en même temps qu'elle manifeste l'impuissance, l'incapacité de l'homme à la comprendre. Ceci doit nous garder de toute suffisance et de l'illusion de la propre justice. 

Manifestement, la prédication de la croix n'est pas une option pour l'apôtre. Ce langage de la croix renvoie à tout un univers théologique riche de sorte qu'il n'a rien de commun avec « la sagesse des sages » (1 Corinthiens 1.19), ni avec « la sagesse de ce monde » (v. 20b). Le langage de la croix, c'est la « sagesse de Dieu » (1 Corinthiens 1.21 ; 2.7). Ailleurs, Paul dira qu'il est vain de croire que la faveur de Dieu nous soit acquise en dehors d'une identification à Jésus dans sa mort sur la croix : « Je suis crucifié avec le Christ... qui a pu vous fasciner, alors que sous vos yeux Jésus-Christ a été dépeint crucifié ? » (Ga 2.20-3.1). C'est ce Christ « dépeint » ou déclaré officiellement crucifié qui constitue l'essence même du « message de la foi » apostolique (2 fois dans le contexte Galates 3.2-5), et c'est exclusivement par ce message que l'Esprit Saint fut communiqué aux Galates (2 fois aussi dans ce même passage, cf. 3.13-14).  

Pour élargir l'enquête 

Sous la plume de l'apôtre, le mot « croix » désigne beaucoup plus que l'instrument de torture que les Romains ont utilisé pour crucifier le Christ. D’ailleurs, « L'intérêt que les auteurs du N.T. portent à la croix n'est ni archéologique, ni historique, mais christologique(1) ». 

À ce titre, on oublie bien souvent la dimension théologique dont ce mot était porteur dans la proclamation primitive de l'Évangile. Ainsi, j'ai souvent entendu dire que la croix ne représentait qu'un instrument de supplice (ou un lieu) et qu'il était donc superflu d'attacher de l'importance à ce mot. Discours tenu par des Témoins de Jéhovah qui, par volonté de se séparer du christianisme historique qu'ils jugent apostat, ne veulent pas utiliser le mot « croix » et le remplacent par « poteau » (xulon), terme qui apparait effectivement en quelques passages (Actes 5.30 ; 10.39 ; 13.29 ; Galates 3.13 ; 1 Pierre 2.24), mais qui ne fait que souligner encore plus toute l'humiliation de ce type de supplice(2). Pour d'autres, et dans une optique « moderne », la croix et sa notion biblique de sacrifice dérange parce qu'elle fait référence à la notion païenne d'un dieu cruel ayant besoin de sacrifices pour apaiser sa vindicte. Dans ce dernier cas, on évite la notion sacrificielle de la croix pour lui préférer la symbolique du don de soi, la croix image de l'amour absolu, ou bien la croix symbole de notre humanité dans ses limitations et ses faiblesses. Dans cette perspective, la croix ne serait qu'un modèle éthique à imiter, celui d'un homme se plaçant dans une disponibilité inconditionnelle envers tous ceux qui souffrent. Si tous ces aspects sont bien présents dans la croix, il me semble qu'ils sont ou trop réducteurs ou trop en deçà par rapport à l'usage néotestamentaire.

Le mot « croix » fait office de mot-raccourci pour exprimer toute la richesse qui découle de l'Évangile de la grâce et du pardon des péchés. Paul n'hésite pas à dire qu'il est persécuté parce qu'il prêche « la croix » et non la circoncision. Dès lors le « scandale de la croix » ne doit pas être réduit à rien (Galates 5.11). L'Évangile est scandaleux parce qu'un messie agonisant sur une croix est tout simplement un blasphème pour un juif, une véritable honte, une malédiction (Deutéronome 21.22-23)(3). L'apôtre applique cette dernière affirmation du Deutéronome à Christ, y voyant la malédiction prise par le Christ à notre place pour nous racheter de la malédiction de la loi (Galates 3.13). 

On a relevé cinq représentations de la croix de Christ dans le Nouveau Testament, des schémas explicatifs permettant une vue d'ensemble sur la portée théologique de la mort du Christ en croix(4). La croix comme victoire : c'est à cause du sang de l'agneau que « le serpent ancien appelé le diable et Satan » est vaincu (Apocalypse 12.11). À la croix, Jésus détruit les œuvres du diable (1 Jean 3.8), il le rend impuissant (Hébreux 2.14), il triomphe aussi des puissances et des principautés (Colossiens 2.15). La croix, en tant que nouvelle Pâque (1 Corinthiens 5.7). La croix en tant que rançon (Matthieu 20.28, cf. Ésaïe 53.6). La croix en tant que châtiment (Galates 3.13). La croix en tant que sacrifice : Jésus-Christ est « l'agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde » (Jean 1.29), il est « l'agneau immolé » (Apocalypse 5.12)......

Auteurs
Thierry ROUQUET

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1.
J. B. Torrance, art. « Croix, Crucifixion » in Le grand Dictionnaire de la Bible (Charols, Excelsis, 2004), p. 385.
2.
De toute façon cette distinction est inutile car on utilisait aussi bien des croix en T ou en X que de simples poteaux verticaux. C'est pour cette raison que certaines versions traduisent le terme grec stauros tantôt par croix, tantôt par poteau.
3.
Il semble que dans l'A.T. on ne connaissait pas de crucifixion de personnes vivantes, en revanche il arrivait qu'on exhibe des cadavres en les pendant à un arbre, c'est certainement le sens de Deutéronome 21.22-23 (Josué 10.26 ; Esdras 7.10).
4.
Pour plus de détails sur ces différentes représentations, cf. H. Blocher, La doctrine du péché et de la rédemption (Vaux-sur-Seine, Édifac, 1983), p. 151-164.

Informations complémentaires

Thierry Rouquet est Pasteur de l’Église Baptiste (FEEBF) de Toulouse.

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