Les Églises dans les cités - convictions et champs d'action

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Les Églises dans les cités - convictions et champs d'action

Mon propos aura une triple inspiration. Tout d'abord, celle de l'éducateur spécialisé que je suis, puisque je travaille en qualité d'éducateur auprès d'adolescents domiciliés dans les quartiers qualifiés de « sensibles », au sein de l’association Le Valdocco.

Deuxième source d'inspiration, celle du sociologue, travaillant depuis de longues années auprès du politique, puisque durant dix ans, j'étais au Cabinet du président du Conseil Général des Yvelines, chargé, auprès de lui, des actions menées par le Conseil Général sur les territoires qualifiés de « sensibles ». J'ai travaillé dix-huit mois au Cabinet de Christine Boutin, ministre du logement et de la ville. J'étais particulièrement en charge de l'interface avec le secrétariat d'État, Mme Fadela Amara, pour la construction du plan « espoir banlieues ».

Enfin, troisième source d'inspiration, celle du prêtre religieux salésien, responsable de la communauté de Dominique Savio à Tassin la Demi-Lune, à qui l'archevêque de Lyon a confié trois paroisses, aux populations très mélangées, et qui assure la tutelle de l'association Le Valdocco.

La nomination du prêtre catholique que je suis, au cabinet d'un ministère a fait couler beaucoup d'encre : il y a des personnes qui m'interrogeaient avec suspicion sur mes compétences et sur le fait que je sois prêtre. Lorsque, 18 mois après, je l'ai quitté, les journalistes s'interrogeaient sur ce que j'avais fait au Cabinet, sur quels étaient mes bilans, sur l'apport qu'avait été le mien. Et c’est ça qui compte. Pourquoi notre République s'interdirait-elle de s'appuyer sur les compétences des gens qui expriment des convictions religieuses ?

Aujourd'hui, l'insertion de nos Églises dans le tissu social de notre pays évolue, et je m'en réjouis. Avec l'avènement de l'islam, avec la perte de pouvoir de l'Église catholique, nous avons la chance de sortir de la conception de la laïcité à la française : sortir du laïcisme, un État interdisant toute forme d'expression et de pratique religieuse dans ses institutions, pour revenir à la vraie laïcité républicaine, un État qui se pose comme garant de la liberté d'expression et de pratiques religieuses.

Quels champs d'action pour nos communautés, dans notre République laïque et notre société multiculturelle ? Trois champs d'action me paraissent particulièrement importants. Et sur chacun de ces champs, j'exprimerais d'abord une conviction évangélique, puis une conviction politique avant d'ouvrir quelques pistes d'action.

Les jeunes, construits dans trois lieux

La plus grande difficulté rencontrée aujourd'hui par les enfants et les adolescents domiciliés dans ces quartiers que nous qualifions de « sensibles », réside dans le fait de circuler tous les jours dans trois lieux. Ils passent chaque journée du temps en famille, du temps à l'école et du temps dans la rue avec leurs copains. Et chacun de ces lieux est marqué par une culture différente : la culture familiale emprunte des traditions des pays d'origine et nous travaillons dans un milieu pluriculturel, pluriethnique, plurireligieux ; la culture scolaire emprunte des traditions républicaines, et cette culture de la cité, cette culture de la rue, qui est fondamentalement devenue une culture de l'entre pairs, de l'entre jeunes, les adultes ayant peu à peu désertés l'espace public.

La culture d’entre jeunes

Il me semble que l'évolution la plus importante à laquelle nous assistons aujourd'hui auprès de notre jeunesse réside dans le fait que cette culture de l'entre jeunes a tendance à devenir de plus en plus prégnance. Je m'explique : À toutes les époques, dans notre propre adolescence, nous étions capables de communiquer avec nos copains dans notre propre langage, nous permettant de ne pas être compris par les adultes, mais, lorsque nous fréquentions les institutions gérées par les adultes, nous nous alignions sur les codes adultes. Aujourd'hui, je commence à découvrir dans les cités, des adolescents qui parlent à leurs parents comme ils parlent à leurs copains et je rencontre des enseignants sur l'éducation prioritaire qui sont les seuls à parler français, tous les autres parlent banlieue, non seulement lorsqu'ils se parlent entre eux, ce qui, à la limite, pourrait se comprendre, mais même lorsqu'ils s'adressent à l'institution.

Autrement dit, nous avons une culture de l'entre jeunes qui, dans ces quartiers, à tendance à devenir de plus en plus prégnante, a parfois tendance à phagocyter l'école, surtout lorsque celle-ci se trouve en plein cœur du quartier et a tendance à renvoyer la famille à la marge. Les parents gèrent à peu près l'espace familial, je suis étonné de voir des appartements très bien tenus dans des immeubles parfois très dégradés, mais des parents qui osent de moins en moins intervenir sur les autres champs de vie de leur enfant tant ils sont désarçonnés par les codes qui les gèrent.

Ce que disent adultes et aînés

Et dans chacun de ces lieux, qu'on le veuille ou non, c'est un constat, des adultes font référence : les parents en famille, les enseignants à l'école, les aînés dans la rue, c'est le poids de l'influence des aînés sur les plus jeunes.

Le drame, pour ces enfants et ces adolescents, c'est que chacune de ces catégories d'adultes – qui, qu'on le veuille ou non, est en position de transmission de repères –, au mieux, s'ignorent, au pire, se discréditent. C'est le discours que j'entends chez certains enseignants sur le thème des parents démissionnaires : « Si je n'arrive pas à faire cours, c'est la faute aux parents, ils avaient qu'à éduquer leurs gamins », ou bien « c'est la faute à l'environnement », « c'est la faute à la cité ».

J'écoute les parents, maintenant, ils me disent : « Qu'est-ce que c'est que ces enseignants aujourd'hui ? Ils se disent professionnels de l'éducation, ils sont même plus capables d'assurer la discipline ! Moi, j'envoie mon gamin à l'école pour qu'il apprenne, il revient ici : rien ! Ça ne sait pas faire son métier et ça veut nous donner des conseils ! » et bien sûr « C'est la faute aux gamins des autres, mon gamin, ça va bien » mais vous le savez tous, les gamins des autres, c'est parfois une calamité.

Et puis vous écoutez les aînés, eux de dire : « Tu sais, que tu bosses ou que tu bosses pas, t'es dans un collège sans avenir », et vous savez comme moi combien le fossé s'est creusé dans notre pays entre les collèges de centre ville et les collèges de quartiers sensibles, car cette carte scolaire, cette mesure qui obligeaient les familles à scolariser l'enfant dans le collège du secteur, cette carte scolaire, qui était une excellente mesure lorsqu'il y avait de la mixité sociale sur le territoire, mesure qui permettait alors à l'enfant de l'employé, l'enfant de l'ouvrier, d'être scolarisé avec le fils du médecin, le fils du notaire, cette carte scolaire est devenue une terrible, terrible mesure dans les quartiers où il n'existe plus la mixité sociale. L'enfant, condamné par la loi, est scolarisé avec celui qui le rackette ; l'adolescent, condamné par la loi à être scolarisé avec les copains de la bande avec lesquels il ne cesse de rigoler, tout le monde sait que dans ces conditions, il ne travaillera pas, mais la loi y obligeait, et je me réjouis des récentes évolutions. Et les aînés de dire : « Tu sais, tes vieux, ceux de nos générations, ils ne comprennent pas grand chose à grand chose. Regarde, sur tous ces outils, ceux de la nouvelle technologie qui te passionne, quelle aide peuvent-ils t'apporter ? »

Autrement dit, l'enfant, l'adolescent, construit par trois lieux, et ceux qui portent des repères sont très souvent dans des attitudes de discrédit. On imagine alors l'ampleur de la crise de l'éducation dans ces quartiers, on imagine alors aisément la difficulté à se construire, comme jeune, dans ces quartiers.
 

Travailler sur trois pôles à la fois

L'idée du Valdocco, l’association que je dirige, était originale à sa création, mais largement reprise depuis par M. Borloo dans le cadre de la loi de cohésion sociale. C'est de former un dispositif éducatif, pluriel dans sa composition, composé de salariés et de bénévoles, composé d'éducateurs, d'animateurs, d'enseignants, de psychologues, et qui va à la rencontre de l'enfant dans les trois champs de sa vie. Nous avons organisé notre activité autour de ces trois pôles :

a) le pôle rue, avec le support de l'éducation de rue pour les plus jeunes, support plus en dialogue pour les aînés ;
b) le pôle école, qui doit être au service d'accompagnement éducatif et scolaire et toutes les actions dans le cadre de la prévention du décrochage scolaire ;
c) le pôle famille, toutes les actions menées dans le cadre de soutien à la parentalité : groupes de parents, de paroles, médiation familiale.
 
L'idée du Valdocco, c'est que le jeune tisse des liens avec son éducateur dans le champ du loisir. Fort de ces liens, l'éducateur le convainc de venir aux activités d'accompagnement scolaire. Par choix, nous n'organisons aucunes activités d'animations du soir : tout est centré sur le scolaire, si bien que le gamin qui veut retrouver ses copains du Valdocco et ses éducateurs du Valdocco est « condamné » à fréquenter nos études.

Si un problème se pose en famille, c'est le même éducateur qui intervient : manière de lutter contre les effets pervers d'un trop grand cloisonnement de l'action sociale où telle association s'occupe du champ du loisir, pendant qu'une deuxième association s'occupe de l'aide aux devoirs, et c'est une troisième association qui s'occupe de l'enfant maltraité, pendant qu'une quatrième association s'occupe du gamin consommateur de produits toxiques, mais... c'est le même gamin. Et parfois, la difficulté, c'est que chacune de ces associations intervient en fonction de la déontologie de son service, des objectifs du service, et parfois sans trop de soucis de concertation avec les autres adultes intervenant sur le même champ.

L'idée phare du Valdocco, c'est le concept de médiation famille-école-cité : créer du lien entre les différents adultes qui cheminent auprès de l'enfant. Car il me semble que le premier droit de l'enfant, c'est le droit à la cohérence des adultes qui l'accompagnent sur les chemins de l'éducation.

J'ai beaucoup travaillé sur les questions de violence. J'ai souvent pu établir une corrélation entre le niveau de violence d'un enfant et d'un adolescent, et le niveau d'incohérence des adultes qui l'accompagnent sur son itinéraire de croissance.

BÂTIR LA FRATERNITÉ

Le premier champ d'action est celui de bâtir la fraternité. « Liberté, égalité, fraternité » sont les trois valeurs de notre République. Mais nous sentons bien que si liberté et égalité sont de l'ordre du droit, la fraternité est de l'ordre du devoir. Et nous sentons bien que lorsque le devoir de fraternité s'estompe, les droits fondamentaux de la liberté et de l'égalité sont en danger. Nos Églises donnent sens à ce concept de « fraternité ». Lorsqu'il m'arrive de parler de la Bonne Nouvelle à des jeunes préadolescents, j'aime la résumer en une équation : « dire Dieu et Père égale vivre en frères ». La seule manière que nous avons sur cette terre d'affirmer notre foi en un Dieu Père, c'est de tisser des liens de fraternité. Je crois que ce dont notre pays a le plus besoin, aujourd'hui, c'est de retrouver cette fraternité. Pour nous, chrétiens, cette fraternité est fondée sur la dignité de fils de Dieu qu'a tout enfant, toute femme, tout homme de ce temps. Combien il est important que notre République redécouvre que chaque homme, chaque femme, chaque enfant doit être respecté dans sa dignité d'enfant, d'homme et de femme.
Le premier apport de nos Églises, en particulier dans ces quartiers où la fraternité est parfois si difficile à vivre, c'est de bâtir cette fraternité.

CRÉER DES LIENS AU-DELÀ DES QUARTIERS « GHETTOÏSÉS »


J'en viens alors à la conviction politique : l'urgent, me semble-t-il, c'est de bâtir aujourd'hui une fraternité qui sorte des frontières du quartier. J'ai beaucoup réfléchi sur la politique de la ville après cette vague d'émeutes de l'automne 2005. Je m'interrogeais : comment ces enfants, ces adolescents, nés avec la politique de la ville, qui ont bénéficié depuis leur naissance de toutes les actions générées par la politique de la ville – ils ont été en école prioritaire, au collège prioritaire, ils ont bénéficié des opérations « Ville Vie Vacances ». Et voici que ces enfants, ces adolescents se sont montrés des plus offensifs par rapport à nos institutions. Il y a quand même un problème...


L'erreur collective que nous avons commise, a été de trop « zoner » ces politiques de la ville. C'est-à-dire que l'on a développé une politique pour ces quartiers qui a consisté essentiellement à financer des activités menées dans les quartiers, pour les gens des quartiers. Et que cette politique n'a pas réussi a enrayé la spirale de « ghettoïsation » dans laquelle ces quartiers se sont peu à peu installés. Il me semble qu'aujourd'hui, le problème central qui se pose à la population de nos quartiers sensibles, c'est celui de l'enfermement, celui de l'enclavement.



Le sociologue Lapeyronie, dans son ouvrage consacré à nos quartiers, Les ghettos urbains, décrit cette ambiance de ghetto, qui est à la fois une prison et un cocon. Une prison, parce qu'on se sent un peu rejeté et exclu par l'ensemble du reste de la population, mais aussi un cocon, parce que se développe dans ce ghetto une sorte de bain culturel dans lequel on est à l'aise. Et combien je vois de jeunes de plus en plus en difficulté pour pouvoir saisir l'opportunité d'un emploi hors quartier, saisir l'opportunité d'une scolarité hors quartier. Ils sont là, englués dans cette culture de quartier. Nous devons refonder une politique de la ville sur l'éducation à la mobilité, sur l'apprentissage de la mixité sociale plutôt que de financer des activités menées dans les quartiers, pour les gens des quartiers.


Aujourd'hui, la priorité des priorités devrait consister à financer des activités hors quartier à condition qu'elles soient ouvertes aux gens des quartiers et à financer des activités dans les quartiers à condition qu'elles soient ouvertes aux gens hors des quartiers. Ce dont notre pays a le plus besoin aujourd'hui, c'est de créer des liens au niveau de toute la ville, au lieu de penser en termes de culture de quartier. Christine Boutin avait raison de dire : « je ne crois pas à un plan banlieue, je crois seulement à un plan ville, la solution au problème des quartiers n'est pas dans les quartiers, elle est dans la ville, elle est dans le fait de relier ces quartiers à la ville, elle est dans le fait de retrouver une vie de ville ».


Toutes les mesures que j'ai préconisées sur le volet éducatif, du plan « espoir banlieues », sont dans cette philosophie. Par exemple, le « bussing » : non pas scolariser les enfants dans l'école du quartier, avec tous les copains du quartier – où ils ne vont apprendre que l'école des quartiers et le langage des quartiers –, mais les scolariser dans des écoles à l'extérieur – où ils vont se rendre en bus.


Le fait d'oser détruire les collèges dans les quartiers signifie qu'on est capable de détruire des logements sociaux dégradés pour les reconstruire ailleurs. Je crois qu'il faut avoir, aujourd'hui, le courage de détruire les collèges dans les quartiers pour les reconstruire ailleurs. Je crois qu'il est scandaleux, dans notre pays, de scolariser un gamin de 2 à 16 ans en bas des tours, on fabrique alors un jeune scotché à son quartier. Il faut transformer certains lycées, des beaux lycées, en pôle d'excellence, y installer les filières les plus nobles, de manières à ce que ces lycées de quartier puissent devenir attractifs pour les jeunes du centre ville.

SE RASSEMBLER POUR CONTRER LA SÉGRÉGATION


Nos Églises doivent œuvrer à la construction d'une fraternité qui dépasse les frontières du quartier. Je me réjouis d'intervenir devant cette assemblée marquée par le pluriculturalisme, et c'est la spécificité de notre Église. Lorsque j'interviens dans le milieu des associations de quartier, je ne vois qu'une population issue de l'immigration, alors que le lendemain, j'interviens devant une population de chefs d'entreprise, je ne vois qu'une population blanche. Il nous faut lutter de toutes nos forces contre cette ségrégation, contre toutes ces formes de discriminations.


Le rôle majeur que peuvent jouer nos Églises, c'est de créer ces rassemblements où on ne cantonne pas les gens du quartier dans le quartier, où on leur permet de s'ouvrir à d'autres, de s'ouvrir à d'autres réalités ; ces rassemblements, où l'on permet aux gens du centre ville de découvrir la richesse de ces populations de quartier, car, pour nous, la différence, c'est une richesse. Je crois que la différence est vécue comme une menace lorsqu'on ne se connaît pas. Pour que la différence soit vécue comme une source d'enrichissement, encore faut-il apprendre à se connaître.


Une toute petite anecdote : Dans les années 70, lorsqu'a été construite “La Dalle d'Argenteuil”, un grand ensemble de 17.000 habitants, uniquement en logements sociaux, les chrétiens se sont battus pour qu'existe un lieu de culte dans le quartier. La mairie communiste s'y est toujours opposée, c’est pourquoi nous avons une grande cité de 17.000 habitants sans aucun lieu de culte.


Aujourd'hui, ce choix qui y a été fait s'avère une chance, car la paroisse Saint-Jean est installée dans une église dans la zone pavillonnaire juste à coté sur les coteaux, et cette paroisse est devenue le seul lieu de mixité sociale. Se côtoient dans cette paroisse la communauté bourgeoise de la zone pavillonnaire, la communauté plutôt africaine de la cité. Il y aurait eu une Église dans la cité et une Église dans la zone pavillonnaire, on aurait eu une communauté africaine d'un côté et une communauté blanche de l'autre, sans aucun lien entre les deux.
Le plus grand apport de notre Église sur Argenteuil, c'est d'offrir ce lieu de rencontre. Car ces populations font leurs courses dans des endroits différents, scolarisent leurs enfants dans des endroits différents, ont des activités culturelles différentes, ont des activités de loisirs différentes : comment bâtir la fraternité si on ne se rencontre pas ? Le premier champ d'action pour nos Églises, c'est la construction de cette fraternité au-delà des frontières du quartier.

L'ATTENTION AUX PLUS PETITS

Le deuxième champ d'action, c'est l'attention aux plus petits. « Ce que vous faites aux plus petits d'entre les miens, c'est à moi que vous le faites » (Mt 25.40). Voilà ma conviction évangélique que j’exprime avec force. Bâtir une relation de frères avec celui qui pense comme nous, qui vit comme nous, qui agit comme nous, c'est facile, tout le monde peut le faire. Par contre, bâtir une relation fraternelle avec celui qui est mis au ban – vous savez que le mot « banlieue » au départ, signifiait « mettre au ban » – ; celui qui est exclu ; celui qui est regardé de travers, alors, cette relation de fraternité avec cette personne exclue, devient un signe de notre attachement à Dieu le Père. Mettre le petit au centre, et voir dans le petit un trésor pour le groupe.


En s'identifiant aux petits, Jésus nous interdit d'entrer dans une démarche simplement d'assistance sociale où il s'agirait d'aider le petit. Il nous invite à une démarche de reconnaissance, des trésors qui sont placés dans le cœur de chacun des petits.
Mettre le petit au centre : je crois qu'une pastorale ecclésiale qui n'est plus préoccupée de mettre le petit au centre, est une pastorale qui s'éloigne du message évangélique.

RAPPELER AUX POLITIQUES LA VALEUR INESTIMABLE DE CHACUN

Cette conviction évangélique s'accompagne d'une conviction politique. De même que l'on mesure la force d'une chaîne à la résistance du maillon le plus faible, on mesure la qualité d'une société à l'attention qu'elle doit accorder aux plus petits et aux plus fragiles de ses membres. Dans notre société en perte de valeurs, qui, avec cette crise financière, voit se crever toutes ses valeurs artificielles liées à l'enrichissement immédiat, je crois qu'il est important de rappeler avec force que la vie d'un enfant sans papier vaut plus que tout l'or du monde. Je crois qu'une société qui commencerait à ignorer que la vie du plus petit est un trésor, est une société qui deviendra alors incapable de réguler les phénomènes de violence.
J'intervenais, voici quelques mois, auprès d'étudiants de l'enseignement supérieur dépendant de l'enseignement catholique, sur le thème des valeurs. Et j'avais fait précéder mon intervention par un sondage. J'avais choisi de prendre le mot « valeur » au sens basique du terme : « ce qui vaut pour vous ».


Résultat du sondage : toutes les valeurs liées au spirituel, au religieux représentaient moins de 5%, loin derrière les valeurs de la réussite sociale, de la réussite professionnelle, de la réussite familiale. Et je disais alors à ces étudiants : « Si vous, dont on vous dit que vous allez constituer l'élite de la nation, n'accordez plus aucune espèce d'importance à la réflexion spirituelle, ne vous étonnez pas alors que dans nos quartiers je commence à voir des adolescents qui pensent que la vie de la boulangère vaut moins que le contenu de la caisse ou que la vie du chauffeur du camion vaut moins que le contenu du camion qu'il conduit ».


Si nous ne sommes plus capables, dans notre société, de rappeler la valeur inestimable de chacun de ses membres, alors ne nous étonnons pas que nous assistions à une formidable montée de la violence où des jeunes, dans leur stratégie d'action vont mettre en jeu la vie des gens pour satisfaire leur besoin d'argent. Je crois que notre société a grandement besoin, aujourd'hui, d'hommes et de femmes qui rappellent la valeur inestimable de la vie de chacun.

« J’AI BESOIN DE TOI »

Quels champs d'action pour nos communautés religieuses, dans ces quartiers ? Premièrement, le service des plus petits. Tous les efforts menés par l'Armée du Salut, par le Secours Catholique et par tant d'autres associations qui tentent d'actualiser ce message, « ce que vous faites aux plus petits d'entre les miens, c'est à moi que vous le faites », répondent aux vrais besoins de notre société. Quelle que soit l'ampleur des dispositifs d'action sociale, quelle que soit l'ampleur des montants dépensés en termes d'assistance, il y a toujours des enfants, des hommes et des femmes sur le bord de la route. La priorité d'action de nos communautés doit toujours être centrée sur ces petits là. Il en va de notre cohérence avec la Bonne Nouvelle, il en va aussi de la construction d'une véritable réponse aux attentes de notre société.


Servir le petit et faire découvrir à l'ensemble du groupe les richesses de ce petit. Dans le Nouveau Testament, Luc résume le message de Jésus ainsi : « Il est plus important de donner que de recevoir ». Et n'oublions pas que s'il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir, le plus grand bonheur que l'on puisse faire à l'autre, c'est lui permettre de donner. Ce dont les plus petits de notre société ont le plus besoin, c'est de rencontrer des gens qui les sollicitent, comme Jésus savait solliciter la Samaritaine dans ce « donne-moi à boire » qui l'a complètement ébranlée.


Lorsque je m'adresse aux politiques, j’aime souvent dire que ce dont les jeunes ont le plus besoin, ce n'est peut-être pas tant d'adultes pour les aider – il y en a pléthore –, mais c'est des adultes capables de leur dire « j'ai besoin de toi ». Je rencontre parfois des ados au bord du suicide qui ont rencontré des centaines d'adultes qui leur ont proposé leur aide, mais qui n'ont rencontré aucun adulte capable de leur dire avec force « j'ai besoin de toi, tu as une place irremplaçable dans la société, nous sommes six milliards d'individus sur cette terre, mais il n'y en a pas un seul qui soit comme toi ».

L’ÉDUCATION

Le troisième champ d'action, c'est celui de l'éducation. Conviction évangélique : « Celui qui accueille un enfant en mon nom, c'est moi qu'il accueille » (Mt 18.5). Si nos Églises ont depuis les origines, accordé une telle importance à l'œuvre éducative, ce n'est pas seulement pour permettre aux chrétiens d'avoir un lieu où exercer leurs bonnes actions, mais c'est parce que très tôt, les chrétiens ont compris que la relation à l'enfant possède une dimension sacramentelle : « celui qui accueille un enfant en mon nom, c'est moi qu'il accueille ». La relation éducative peut être le lieu de notre rencontre du Christ. Et voici que nous sommes invités à développer une relation à l'enfant dans le même registre que la relation que nous développons vis-à-vis de Christ, une relation fondée sur le croire, espérer, aimer.


La caractéristique commune de toutes les pédagogies qui se réclament de l'Évangile, qui ont pu être mises en œuvre par tous les grands éducateurs que l'histoire de l'Église a comptés, c'est que la manière dont l'éducateur entre en relation avec le jeune se résume par le triptyque suivant : « Je crois en toi, je te fais confiance, je me fie à toi. J'espère avec toi, ensemble on va construire un monde plus juste, plus fraternel. Je t'aime, je t'aime comme tu es et non pas comme je voudrais que tu sois, je t'aime comme Christ t'aime ».


Si nous sommes invités à œuvrer dans le champ éducatif, c'est pour développer cette posture auprès des enfants et adolescents : « je crois en toi à la manière dont Christ croit en toi, à la manière dont j'expérimente que Christ croit en moi ; j'espère avec toi à la manière dont Christ espère avec toi, à la manière dont j'expérimente que Christ espère avec moi ; je t'aime à la manière dont Christ t'aime, à la manière dont j'expérimente que Christ m'aime ». La tâche éducative a toujours été une tâche centrale de notre Église.

CONTRE LA VIOLENCE : L’ÉDUCATION

S'ajoute à cette conviction évangélique une conviction politique. Le principal défi lancé à notre société aujourd'hui, c'est celui de l'éducation. On parle beaucoup de la montée de la violence, en particulier dans ces quartiers sensibles. Nous sommes tous un peu inquiets, stupéfaits, angoissés, face à ces comportements d'enfants, d'adolescents marqués par la violence. Mais n'oublions pas que la violence est naturelle. La manière naturelle d'exprimer sa colère, et de régler un conflit, c'est la violence. Ce qui n'est pas naturel, et qui est le fruit de l'éducation, c'est la convivialité et la paix, la capacité de nouer une relation pacifique avec celui qui est différent de soi, ce n'est pas inné, ça s'apprend.


Tous les scénarios d'enfants sauvages sont des scénarios d'enfants violents. Chaque fois que je suis interpellé sur ces questions de violence, j'aime répondre que le problème de la violence est peut-être moins un problème de jeunes qu'un problème d'éducation.


J'entends des parents, des instituteurs, des animateurs, me dire « Que se passe-t-il ? Ces enfants, ces adolescents deviennent de plus en plus violents, de plus en plus tôt ». J'aime répondre : « Le bébé du XXIème siècle ne naît pas plus violent que le bébé du XXème. Ils naissent tous les deux tout aussi violents, l’un comme l’autre ; tous les deux sont incapables de résister à la moindre frustration. Vous confiriez un flingue à votre bébé, il vous tuerait pour un biberon en retard ».


Le problème de la violence des enfants et adolescents, c'est un problème d'adultes. La question qui se pose à nous tous, c'est : “Comment se fait-il que notre génération d'adultes se trouve plus en difficulté que les précédentes pour effectuer l'apprentissage de la maîtrise de l'agressivité, pour qu'elle ne se transforme pas en violence ?” Car il revient toujours à l'adulte d'apprendre à l'enfant, à l'adolescent qui grandit, à maîtriser son agressivité pour qu'elle ne se transforme pas en violence. Le problème central, c'est bien celui de l'éducation.


Telle était la conviction de Don Bosco. Aux autorités italiennes d'alors qui ne cessaient de dire : « Ces jeunes qui viennent des campagnes arrivent dans les faubourgs de nos villes et développent des comportements monstrueux. Une seule solution : enfermons-les ». Et malheureusement, je commence à réentendre parfois ce type de discours parmi les politiques. Mais Don Bosco de répondre : « La violence de ces comportements est le signe de la faillite de nos accompagnements éducatifs. Une seule solution : “Retroussons les manches et tous ensemble, éduquons-les” ».


En 1883, lors de son voyage triomphal en France, ce même Don Bosco disait à ces hôtes : “Ne tardez pas à vous occuper des jeunes, sinon, ils ne vont pas tarder à s'occuper de vous” ». Pertinence prophétique de ce grand éducateur : si nous tardons à donner une véritable place à chacun de ces jeunes quelle que soit sa couleur de peau, son appartenance ethnique, culturelle ou religieuse, si nous tardons à l'aider à préparer un véritable avenir, ne nous étonnons pas alors qu'il commence sérieusement à s'en prendre à nos institutions.

CRÉER DES LIEUX POUR NOUER DES LIENS INTERGÉNÉRATIONNELS

Il est essentiel aujourd'hui de rappeler à chaque citoyen, à chaque adulte, qu'il doit être acteur de cette mission éducative. J'aime ce proverbe africain : « Il faut un village pour éduquer un enfant ». Il ne faut pas seulement une famille, pas seulement une école, il faut aussi une ville. Et ce qui est terrible dans nos villes d'aujourd'hui, c'est qu'avec la montée de l'individualisme ambiant, le citoyen moyen ne se sent plus légitimé pour intervenir auprès de l'enfant qui n'est pas le sien : ce n'est pas mon gosse, ce n'est pas mon problème. Et si je constate qu'un gamin commet un écart sur la place publique, s'il est petit, je rigole, s'il est grand, j'ai peur et je ne bouge plus. Combien il est important de réveiller toute cette génération d'adultes à sa responsabilité éducative.


Un champ d'action de nos communautés religieuses au sein des quartiers, c'est de participer à cette prise de conscience, c'est d'offrir, de créer des lieux où des adultes vont pouvoir renouer ce lien intergénérationnel, vont pouvoir effectuer ce compagnonnage avec ces enfants, avec ces adolescents dont ils ont tant besoin.


Je vois toutes ces petites communautés, parfois de sœurs âgées dans l'Église, qui construisent vraiment au sein de l'escalier, de la tour, un lieu d'échange dans leur appartement, qui s'engagent dans le service des plus petits, l'accueil des plus petits, l'accompagnement des plus petits et qui vont participer à des activités d'accompagnement éducatif et scolaire le soir après l'école. Je crois que sans théoriser, elles mettent en œuvre l'essentiel.

ŒUVRER DANS LE TEMPS

Bâtir la fraternité, servir le petit, être responsable sur le plan éducatif. Voici pour moi les trois grands champs d'action.
Pour terminer, Je dirai simplement, qu'il faut du temps pour mener ces actions. Les populations de nos quartiers n'ont pas besoin de ce flux, de fonctionnaires et de responsables associatifs qui, à la première difficulté rencontrée plaquent tout, et s'en vont tous. Ils ont besoin d'expérimenter dans la durée une relation de fraternité. Récemment, je l’ai rappelé encore à ma ministre après une réunion : « Ayez bien conscience, Madame le Ministre, que le temps de l'éducateur est différent du temps du politique. Le politique veut toujours un peu des résultats immédiats pour inscrire dans son mandat, tandis que l'éducateur, lui, sait qu'il faut beaucoup de temps pour apprivoiser, pour rencontrer, pour accompagner, que tout ces champs d'action qui s'ouvrent à nous soient des champs où l'on apprend à œuvrer dans le temps ».

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