Le ministère des aumôniers militaires

Extrait Ministère pastoral

L’aumônerie aux armées est un ministère de l’Église souvent peu ou mal connu. Ce texte de Bernard Laffont éclairera bien des aspects de ce service et pourra permettre à l’Église de mieux comprendre et par là de mieux accueillir et accompagner ceux qui y sont engagés.

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Le ministère des aumôniers militaires

En préambule à la réflexion qui va suivre, qu'on me permette de citer ce témoignage de Menno Simons (1496-1561), le « leader » anabaptiste bien connu :
« Nous prêchons autant que possible, en tout temps, de jour ou de nuit, dans les maisons et dans les champs, dans les forêts et les déserts, ça et là, au pays ou à l'étranger, dans les prisons et les châteaux, au soleil ou sous la pluie, sur une estrade ou sur un chariot, devant les lords et les princes, par la parole et par la plume, dans le confort ou dans le sang de la persécution, à la vie ou à la mort. Nous l'avons fait pendant bien des années et nous n'avons point honte de l'Évangile de la gloire de Christ. »

Malgré les décalages de temps et de lieux, quel aumônier ne sera frappé par les similitudes de ce ministère avec le sien ? Pour ma part, modestement, je m'y retrouve…
« Le ministère des aumôniers militaires » … Disons d'abord qu'aumônier « militaire » est impropre. Pas plus qu'il n'y a d'aumônerie « militaire », même si l'expression est facile. Ni une aumônerie, ni des aumôniers, pour exercer leur ministère en milieu militaire, n'ont besoin d'avoir la qualité spécifique attachée à la fonction militaire « stricto sensu ». On parlera donc, plus justement, d'aumônerie ou d'aumôniers « aux armées ».

Pour ce qu'on dira de ce ministère « spécialisé », je pense qu'on peut et qu'on doit l'envisager sous trois angles absolument complémentaires :
 1)  sous l'angle personnel (à cet égard, chacun détient une richesse d'expérience qui l'autorise et lui permet, lui seul, d'en témoigner).
 2)  sous l'angle, ou sous le regard, de l'institution militaire (qui nous emploie et au service de laquelle nous sommes: elle a forcément son mot à dire sur notre rôle et sur notre travail !).
 3)  sous l'angle et dans la vision de l'Église (qui nous envoie et « prête » nos ministères à l'institution d'état dont il s'agit, l'Église indépendamment de laquelle ceux-ci n'ont plus ni légitimité ni sens).

Tel se veut mon propos.

1/ UN POINT DE VUE PERSONNEL

Pour le pasteur qui passe du monde des assemblées à celui de l'aumônerie - et plusieurs d'entre nous connaissent un tel cheminement après, parfois, un assez long temps de ministère « civil »- le dépaysement est énorme. Surtout lorsqu'il s'agit à la fois de découvrir et de pénétrer un milieu, un monde aussi typé que celui des armées.

Paradoxalement, le sentiment qui prédomine alors est celui, très déconcertant, d'une intense remise en question. Que l'Église de nos temples et de nos cultes se trouve loin ! Bien que pleinement prévu, reconnu, respecté dans sa fonction d'officier, et alors même strictement encadré par tout un arsenal administratif, réglementaire, et financier très sécurisant… rien n'empêche que tout et tous sont là comme pour vous montrer qu'il vous faudra inéluctablement « faire vos preuves ». Comme on dit : il va falloir « payer de sa personne » !

Privé de chaire et d'auditoire tout désigné, on accède à une autre dimension de la parole… celle d'un silence qui s'impose de soi. Frustré d'interlocuteurs motivés et motivants, on est confronté à une multitude d'attentes nouvelles que l'on pressent plus qu'on ne les voit. Personnages brutaux et grossiers, situations inconfortables ou dangereuses, temps d'interminables qui-vive, contraintes apparemment dérisoires, sophistications impénétrables aux non-spécialistes que nous sommes, contretemps et imprévus dérangeants de tous ordres personnels et collectifs, accaparement dans l'inutile ou le désagréable, empêchements liés à la promiscuité, rudesse voire violence des rapports les plus ordinaires… Nous avons connu et nous connaissons bien cela.

Ah ! Qu'on est loin du confort douillet de nos communautés, de leur chaleur et de leur familiarité. Comme on regrette le temps perdu, autrefois, à de vaines querelles, à de vains soucis…
Au début surtout, peut-être, dois-je avouer combien j'ai eu du mal à ne pas oublier pour qui et pour quoi j'étais là ? Certes, c'était pour JÉSUS-CHRIST et pour l'annonce de son ÉVANGILE ! Mais quelle annonce faire, quelle prédication avoir à l'adresse de gens en apparence aussi peu demandeurs… nos militaires aux motivations professionnelles fortes et claires, aux vies hyper-structurées, à la santé, au dynamisme, à l'enthousiasme débordants ?

Pour moi, la découverte fut triple. Triple fut aussi, par conséquent, le profit que j'y ai trouvé :
 a) l'Évangile n'est pas prisonnier de l'Église, et sa communication demande à être, autant que faire se peut, actualisée voire sécularisée. À mon grand étonnement, avec le temps aussi, j'ai compris que si le culte et la prédication classiques (ecclésiale et ecclésiastique) m'étaient en quelque sorte « confisqués », parce que les conditions ne s'y prêtaient pas, le témoignage ne s'en accomplissait pas moins. Beaucoup plus d'ailleurs, dans ce cas-là, par ce que l'on est en tant qu'homme et chrétien que par ce que l'on dit en tant qu'homme de religion. Au travers des menues circonstances de la vie la plus ordinaire qui s'en trouve ainsi, pourrait-on dire, valorisée malgré son inépuisable banalité, sanctifiée jusque dans sa stérilité… Osera-t-on  parler de sa « profanité » ?
  b) une exigence d'approfondissement spirituel et de rigueur intellectuelle est inhérente à l'exercice de tout ministère. Ma surprise fut grande en découvrant le niveau de culture et l'ouverture d'esprit du personnel militaire en général. Dans cet environnement où le principe d'autorité hiérarchique garantit l'efficacité, la compétition est permanente et la discipline relève constamment le niveau. L'aumônier doit pouvoir suivre, partager la problématique et entrer dans le questionnement. Une culture où l'esprit de disponibilité peut conduire au sacrifice non seulement d'intérêts personnels légitimes mais aussi de sa propre vie, induit pour chacun la maîtrise de soi et la clarification constante de ses motifs. Ses raisons d'être là. Pour l'aumônier, comme pour tout autre, cette obligation existe. Et sur cela seul, peut-être, seront jugés le bien-fondé de sa présence et la qualité de son ministère.
  c) devoir herméneutique donc, interrogation éthique ensuite… l'une autant que l'autre, et toutes deux ensembles, induisent la constatation rapidement faite par tout pasteur civil devenu pasteur aux armées : l'Église, la communion des frères lui est absolument indispensable ! Ce ministère apparemment si étranger à nos communautés familières, non seulement n'existerait pas sans elles mais n'a aucun sens indépendamment d'elles. Il a besoin d'elles ! Tout nouvel aumônier doit largement se reconstruire en tant que « pasteur aux armées », il doit redéfinir son ministère en l'apurant de tout ce qui l'encombre. Il n'en faudra retenir que l'essentiel, cette « essentialité » qui lui permettra de servir le Seigneur « en tous temps et en tous lieux ». Or institutionnellement et spirituellement, où trouverons-nous la chance et les moyens d'une telle adaptation, sinon dans l'Église même, pourvu que nous l'expérimentions encore ?

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