La spiritualité et la pastorale du pauvre dans l’Épître de Jacques

Extrait Relation avec le monde

L’Épître de Jacques est bien connue pour ses enseignements imagés et toujours pratiques. La question de la pauvreté (et de la richesse) est traitée dans l’ensemble de la lettre. Qu’est-ce qui a amené Jacques à évoquer si longuement ces sujets ? Quel message voulait-il faire passer à ses destinataires, eux-mêmes globalement pauvres ? Quelle spiritualité voulait-il communiquer ? Quel soin pastoral désirait-il prodiguer ? Ce sont ces questions que nous poserons à ce texte. Les réponses autoriseront certaines pistes d’applications pastorales pour nos Églises d’aujourd’hui.

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La spiritualité et la pastorale du pauvre dans l’Épître de Jacques

Introduction

Les questions liées à la pauvreté et à la richesse sont clairement centrales dans l’Épître de Jacques, même s’il faut bien reconnaître que l’auteur en parle de façon étonnante, voire dérangeante. Dès le début de sa lettre, il propose un contraste très fort entre les deux :

Que le frère de basse condition mette sa fierté dans son élévation, et le riche, au contraire, dans son abaissement, car il passera comme la fleur de l’herbe. Le soleil s’est levé avec sa chaleur ardente ; il a desséché l’herbe, sa fleur est tombée et la beauté de son aspect a disparu. Ainsi le riche se flétrira dans ses entreprises (Jacques 1.9-11).

Plus loin, Jacques avance également que Dieu « a choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour les rendre riches en foi et héritiers du Royaume qu’il a promis à ceux qui l’aiment » (Jacques 2.5) ; et il interpelle les riches en leur disant : « Pleurez à grand bruit sur les malheurs qui vous attendent ! » (Jacques 5.1). 

Comment comprendre ces textes ? Ceux-ci ne reflètent-ils pas des préjugés trop positifs vis-à-vis des pauvres, et inversement trop négatifs à l’égard des riches ? Les riches seraient-ils à ce point hors de portée de la grâce divine ? Ces questions méritent d’être posées, tant certains théologiens n’ont pas hésité à s’appuyer sur cette Épître pour avancer que Dieu avait une préférence pour les pauvres (les théologiens de la libération parlent de « l’option divine préférentielle pour les pauvres(1) »). D’autres aussi ont même argumenté que l’Épître de Jacques n’envisageait pas que l’on puisse être à la fois riche et chrétien(2). À première vue, il serait effectivement tentant de donner raison à ces interprétations. Il est vrai, par exemple, que dans cette Épître le terme « pauvres » est pratiquement synonyme de « chrétiens »(3). Pourtant, une lecture attentive révèle une vision plus nuancée, sinon complexe, de la perspective théologique et pastorale de Jacques sur ces questions. 

Notre réflexion proposera de relever ce qui fait la richesse et la profondeur de cette thématique dans l’Épître de Jacques. Pour ce faire, elle se fondera sur deux points essentiels à une bonne compréhension du traitement que fait Jacques de la pauvreté et de la richesse. (i) Tout d’abord, Jacques ne fait pas de théologie ex nihilo. Il préfère utiliser et rebondir sur une longue tradition d’enseignements juifs sur la pauvreté. C’est pourquoi, dans un premier temps, notre étude évoquera brièvement la manière dont l’Ancien Testament et certains textes intertestamentaires traitent cette thématique. Nous constaterons que Jacques s’inscrit largement dans cette tradition. (ii) Mais si Jacques ne fait pas de théologie ex nihilo, il ne fait pas non plus de théologie de « tour d’ivoire ». Il était clairement en phase avec son époque et les circonstances qui touchaient la communauté à qui il s’adressait. Ainsi, pour saisir ce qu’il cherchait à communiquer, une reconstruction préalable du contexte de ses destinataires paraît indispensable. Que se passait-il dans la vie de ces chrétiens pour que Jacques évoque ces questions avec eux et pour qu’il les exhorte de la sorte ? 

C’est après avoir évoqué ces deux points que nous pourrons proposer des réflexions théologiques et autres pistes d’applications contemporaines en vue d’une pastorale de la pauvreté dans l’Église.

A. Jacques comme héritier de la grande tradition juive d’enseignement sur la pauvreté et la richesse

Comprendre l’arrière-plan juif lié à ces notions de « pauvres » et de « riches » est essentiel pour saisir la pensée de Jacques, tant ce dernier est pétri des écritures et de la tradition juive à laquelle il appartient(4). Or, ces écritures et cette tradition sont d’une grande complexité sur ces questions et ne semblent pas toujours, de prime abord, d’une grande cohérence. Par exemple, nous ne pouvons feindre d’ignorer qu’il existe un certain nombre de textes vétérotestamentaires qui glorifient la richesse et la considèrent comme une bénédiction de la part de Dieu. C’est même comme cela qu’elle est clairement interprétée par certains auteurs (par exemple, Genèse 24.35 et 26.13). Ainsi, ces textes rappellent que la Bible n’encourage pas l’ascétisme, ou en tout cas ne force personne à l’adopter comme mode de vie. Dans l’Ancien Testament, si on reproche généralement quelque chose aux riches, ce n’est pas leurs richesses en tant que telles, mais bien plus la manière dont ils en usent (ou la manière dont ils les ont obtenues). 

Mais inversement, l’Ancien Testament explique régulièrement que l’obéissance et la fidélité à l’Alliance peuvent conduire à la pauvreté. D’ailleurs, les termes « pauvre » et « juste » (saddiq) vont de pair dans certains textes. Dans le Psaume 109 verset 22, par exemple, David se dit « pauvre et déshérité », lui qui est fidèle à Dieu (voir également Psaumes 40.17 et 86.1). Par contre, être méchant ou injuste, c’est ne pas agir avec justice, s’éloigner de Dieu dans ses actions, être infidèle. Or ces méchants-là, bien souvent dans l’Ancien Testament, se sont enrichis en profitant des pauvres/justes, des honnêtes gens. Étant sans scrupules, ils ont asservi toujours davantage les plus démunis, les plus pauvres. Ainsi, selon cette pensée, certes simpliste, pauvre = juste et riche = méchant. 

Rappelons pourtant que ce que pratiquent les méchants à l’égard des pauvres n’est pas toujours illégal. Ceux-ci sont néanmoins sévèrement critiqués, notamment par les prophètes, car leur manière d’agir est clairement une abomination aux yeux de Dieu. Amos est bien connu pour avoir élevé sa voix contre de telles personnes :

Voici ce que déclare le Seigneur :

J’ai plus d’un crime à reprocher aux gens d’Israël.

C’est pourquoi, je ne reviendrai pas sur ma décision.

Je leur reproche en particulier ceci :

ils vendent l’innocent comme esclave

pour de l’argent qu’il n’a pu rembourser ;

ils vendent le malheureux pour une paire de sandales.

Ils n’ont qu’un désir : voir les faibles humiliés ;

au tribunal ils font rejeter la requête du pauvre (Amos 2.6-7).

L’Ancien Testament est donc clair et très sévère envers ces profiteurs, ces oppresseurs des pauvres. Mais il va plus loin encore : il ne condamne pas seulement...

Auteurs
Nicolas FARELLY

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1.
Il faut noter que cette expression désigne généralement, chez les théologiens de la libération, une option contre l’injustice et en faveur de la dignité humaine. Elle n’a donc pas une vocation exclusive, mais vise à la promotion d’une société de justice socio-économique pour tous. Cela dit, ces théologiens ne sont pas toujours clairs dans leurs propos et ont été critiqués (à l’intérieur même de leur mouvement) pour leur tendance à placer « les pauvres » (au lieu de Dieu et Jésus-Christ) comme principe opérationnel de leur théologie.
2.
Pedrito W. Maynard-Reid, Poverty and Wealth in James (Maryknoll, NY, Orbis, 1987), p. 63 ; Elsa Tamez, The Scandalous Message of James (New York, NY, Crossroad, 1990), p. 48.
3.
Peter H. Davids, The Epistle of James, NIGTC (Grand Rapids, MI, Carlisle, Eerdmans/Paternoster, 1982), p. 45.
4.
Pour une bonne introduction à cette question et son impact sur la pensée de Jacques, voir ibid., p. 41-44. Pour une étude plus complète, les lecteurs bénéficieront de l’ouvrage de Craig L. Blomberg, Ne me donne ni pauvreté ni richesse, Coll. Théologie Biblique (Cléon d’Andran, Excelsis, 2001).

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