La discipline du secret

Extrait Spiritualité
Parmi les nombreux exercices spirituels que les Écritures proposent aux chrétiens pour leur permettre de croître dans la foi et dans leur capacité à agir de façon juste et appropriée (le jeûne, la prière, l’adoration, le service, etc.)(1) , la discipline la plus méconnue est probablement celle que l’on appelle parfois « la discipline du secret ». Pour l’exprimer simplement, cet exercice tend à s’abstenir de dire ou de faire connaître nos bonnes œuvres et/ou nos qualités. Or, une telle discipline, si elle est importante pour tout chrétien, l’est peut-être encore plus pour les pasteurs et responsables d’Église…

Dans cet article l’auteur tente de montrer à la fois les difficultés et l’importance de se préparer et de mettre en pratique une telle discipline dans son ministère et dans l’Église en général.

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La discipline du secret J’ai récemment dû faire face à un petit dilemme. Il y a quelques mois, comme je le fais chaque dimanche avant le culte de notre communauté, j’ai envoyé un mail à toute l’assemblée contenant en pièce jointe les annonces qui seraient faites pendant le culte. Mais ce matin-là, je savais que le culte que j’avais enregistré deux mois plus tôt sur France Culture passerait enfin à la radio. Mon dilemme était donc le suivant : devais-je inclure dans mon mail qu’il était possible de m’écouter à 8 h 30 sur France Culture ou valait-il mieux m’en abstenir ? D’un côté, ne risquais-je pas, en le faisant, d’être perçu comme faisant ma propre promotion ? Cette annonce n’aurait-elle pas été orgueilleuse de ma part ? Et puis, pourquoi au juste me « mettre en avant » de la sorte ? Mais d’un autre côté, pourquoi ne pas le faire ? Avais-je honte de ce culte radiophonique ? Et si non, pourquoi alors priver les gens de la possibilité de l’écouter ? Au final (après quelques minutes de réflexion), je me suis posé la question de ce qui était le plus aidant pour la communauté, et j’ai décidé de placer une petite phrase à la fin de mon mail : ceux qui ont lu attentivement l’ont remarquée, les autres probablement pas…

Il va sans dire que ce petit dilemme ne m’a pas empêché de dormir, mais il illustre bien les tiraillements que tout chrétien, et plus particulièrement peut-être tout pasteur, peut ressentir à certains moments de sa marche avec Dieu et de son ministère. Ces tiraillements se trouvent généralement entre deux choix opposés :
  • Soit rendre ses actes de foi connus de tous (par fierté, pour en retirer une certaine gloire, de l’admiration),
  • Ou, à l’inverse, garder sa foi et ses œuvres inconnues de tous.

De l’importance de la discipline dans la vie chrétienne 


D’une certaine manière, s’il nous arrive d’être tiraillés entre ces deux choix, c’est parce que nous ne sommes pas réellement prêts à faire le bon choix. En effet, s’il nous faut « à chaud » nous gratter la tête et discerner le mieux et le plus rapidement possible ce qui est juste et bon, c’est que cela ne nous vient pas encore « naturellement ». Et c’est là un indice que nous avons encore besoin d’exercice, de préparation spirituelle préalable.

Je tenterais d’expliquer l’importance de la discipline dans et pour la vie chrétienne en ces termes. Nous connaissons tous des enfants qui idéalisent un joueur de football comme, par exemple, Cristiano Ronaldo (la star du moment). Ces enfants ne rêvent que d’une chose : jouer aussi bien que leur idole, lui ressembler, dribbler comme lui, marquer aussi souvent que lui, etc. Du coup, quand ils jouent avec leurs copains dans la cour de récréation, que font ces enfants ? Ils essaient tous d’agir comme Ronaldo. Ils imitent ses mimiques ou certains gestes pour lesquels il est connu et qui le rendent reconnaissable entre tous. Et puis, bien sûr, s’ils peuvent se le permettre, ils s’habillent comme lui, avec le maillot du Real Madrid, flanqué du numéro 7 dans le dos. Certains vont même jusqu’à avoir sa coupe de cheveux…

Tous ces enfants parviennent-ils pourtant à jouer aussi bien que leur idole ? Bien sûr que non… Même s’ils sont très doués, ils ne peuvent pas jouer aussi bien que lui, et nous savons tous pourquoi Cristiano Ronaldo s’entraîne à dribbler, à jongler et à tirer au but depuis des années. Depuis sa plus tendre enfance, il ne vit que pour le foot, tous les jours. Plus encore, cela fait des années qu’il fait de la musculation, qu’il soigne sa condition physique. Depuis qu’il est tout petit, toute sa vie n’est que football. Toute sa vie n’est qu’exercice et discipline. Et le résultat, bien sûr, est spectaculaire. Sur un terrain, il ne semble pratiquement jamais rien rater. Il court extrêmement vite. Il drible à une vitesse folle. Ses tirs sont toujours cadrés. Et bien sûr, il marque énormément…

De leur côté, les enfants, dans leur cour de récréation tentent bien de l’imiter pendant leurs vingt minutes de récréation, mais sans tout le travail préalable, sans toute la préparation mentale et physique de ce très grand joueur. Et du coup, il est certain qu’à cet instant, ils ne peuvent pas jouer aussi bien que leur idole.

La logique est assez implacable et ne peut que sauter aux yeux. Pourtant, il est à se demander si les chrétiens ne sont pas un petit peu comme ces enfants dans leur façon d’appréhender la vie chrétienne. Nous aimerions « jouer » comme notre maître et Seigneur Jésus-Christ, mais sans y mettre tout le temps, toute l’énergie, tous les exercices et toute la discipline nécessaires. L’erreur que l’on commet bien souvent est de penser que suivre Jésus, c’est simplement agir correctement à sa suite, quand cela est nécessaire, par exemple lorsqu’un choix spécifique doit être fait, mais de vivre le reste de sa vie normalement, comme tout le monde. Quand un choix compliqué se trouve devant nous, certains se demandent : « Que ferait le Christ à ma place ? », et ce n’est pas une mauvaise question en soi. Mais n’est-il pas déjà trop tard pour se la poser ? Et si le fait même de se la poser faisait ressortir une grande lacune dans notre conception de la vie chrétienne ?

Un nouvel exemple, biblique cette fois, vient corroborer ce point. En tant que chrétiens, nous croyons qu’il est important de tendre l’autre joue quand quelqu’un nous gifle, car Jésus nous le demande (Matthieu 5.38-42). Mais le fait est que, si rien dans le reste de notre vie ne nous a préparés à agir de la sorte, il sera extrêmement difficile de tendre l’autre joue lorsque le moment viendra. Pour beaucoup, face à la violence infligée, la réaction immédiate et « naturelle » sera plutôt une réaction revancharde de violence.

Quand nous pensons la vie chrétienne de la sorte (une série d’actes qui doivent être posés à certains moments précis), nous sommes comme des footballeurs de récréation. Et cette « stratégie » ne peut que nous mener à l’échec, car elle est superficielle. Si, par contre, nous voulons « agir comme le Christ », si nous voulons pouvoir suivre Christ dans tout ce qu’il nous demande dans son Sermon sur la Montagne, par exemple, il faut y mettre les moyens. Cela ne tombe pas du ciel. On ne peut pas y parvenir sans une certaine discipline et sans exercice, comme cela fut d’ailleurs le cas pour le Christ, qui prenait du temps à part pour la prière et le jeûne, pour l’étude, la réflexion, etc.

Tellement de chrétiens pensent qu’il est extrêmement difficile de suivre le Christ. Mais si c’est le cas, n’est-ce pas (en partie) parce que sans pratique, sans discipline, et devant une situation complexe, une tentation forte ou encore un choix difficile, ils ne sont pas préparés à faire le bon choix ? « À chaud », quelque part, il est déjà trop tard pour faire en sorte que leurs vies, leurs désirs et leurs orientations soient ce qu’ils devraient être. S’ils ne les ont pas travaillées et réorientées au préalable, leurs inclinaisons naturelles prendront pratiquement toujours le dessus, et ce sera l’échec, la déception et la désillusion : « Je suis encore tombé » ; « J’ai encore fait le mauvais choix » ; « Je ne sais toujours pas comment il faudrait que j’agisse » ; « Décidément, je n’y arriverai jamais ». Une telle vie chrétienne peut être tellement décourageante, sembler tellement impossible à vivre. Et la tentation est grande, dès lors, d’abandonner même le fait d’essayer.

Personne n’a jamais dit : « Si tu veux être un grand musicien, prends un violon et joue un concerto de Beethoven ». Jésus ne fait pas cela non plus. Jésus n’a jamais juste demandé de faire des choses extraordinaires en son nom. ...
Auteurs
Nicolas FARELLY

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1.
Dallas Willard, The Spirit of Disciplines : Understanding How God Changes Lives, New York, Harper San Francisco Inc., 1991, p. 158, distingue utilement les exercices dits d’abstinence (la solitude, le silence, le jeûne, la frugalité, la chasteté, le secret et le sacrifice) et des exercices d’engagement (l’étude, la louange, la célébration, le service, la prière, la communion fraternelle, la confession et la soumission).

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