La familia dei (Jean 19.25-27)

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La familia dei (Jean 19.25-27)

Comment est née cette prédication 

L’année dernière fut une année difficile pour notre communauté baptiste. Un de ses membres est tombé gravement malade et il est décédé quelques mois plus tard. Ce fut un choc pour notre communauté, tant Jean Chrétien (son nom a été changé) était impliqué depuis de nombreuses années dans la vie de l’Église. Le lendemain d’une cérémonie d’actions de grâce (un samedi), je devais m’adresser à la communauté sans occulter cet événement majeur et douloureux pour l’ensemble de l’Église. Le texte de prédication qui suit est donc une retranscription de l’encouragement que j’ai voulu apporter à mes frères et sœurs endeuillés. Pour ce faire, j’ai choisi de focaliser nos regards sur le Christ : un Christ qui prend soin des siens en les constituant en famille, une famille dont il est la tête. C’est en tant que famille chrétienne, les yeux fixés sur Christ, que nous pouvons nous tenir les coudes dans ces moments difficiles.

Prédication

Une bonne partie d’entre nous s’est retrouvée hier lors du culte d’actions de grâce pour Jean Chrétien, décédé comme vous le savez en début de semaine. Jean était un pilier de notre communauté, depuis de nombreuses années. Un serviteur fidèle, respectueux et respecté de tous. Un sage. Alors, son départ, après de longs mois de maladie, est une véritable épreuve et je ne voudrais pas éluder ce sentiment ce matin. J’ai beaucoup réfléchi à ce que j’aurais voulu dire de pertinent, d’aidant, spécifiquement pour nous ce matin, et tout au long de la semaine, c’est le texte suivant qui m’a habité et qui m’a le plus parlé. Ce texte se trouve dans l’Évangile selon Jean, au chapitre 19. Nous lirons à partir du verset 17, mais c’est sur les versets 25 à 27 que je voudrais que nous nous attardions.

17Portant lui-même la croix, il sortit vers le lieu qu’on appelle le Crâne, ce qui se dit en hébreu Golgotha. 18C’est là qu’ils le crucifièrent, et avec lui deux autres, un de chaque côté et Jésus au milieu. 19Pilate fit aussi un écriteau qu’il plaça sur la croix. Il y était inscrit : « Jésus le Nazoréen, le roi des Juifs. »

20Beaucoup de Juifs lurent cet écriteau, parce que le lieu où Jésus fut crucifié était proche de la ville ; l’inscription était en hébreu, en latin et en grec. 21Les grands prêtres des Juifs dirent à Pilate : N’écris pas : « Le roi des Juifs », mais : « Celui-là a dit : Je suis le roi des Juifs. » 22Pilate répondit : Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit.

23Les soldats, après avoir crucifié Jésus, prirent ses vêtements et en firent quatre parts, une part pour chaque soldat. Ils prirent aussi sa tunique, qui était sans couture, d’un seul tissu d’en haut jusqu’en bas. 24Ils se dirent entre eux : Ne la déchirons pas, mais désignons par le sort celui à qui elle appartiendra. C’était pour que soit accomplie l’Écriture : 

Ils se sont partagé mes vêtements

et ils ont tiré au sort ma robe.

Voilà ce que firent les soldats.

25Auprès de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie-Madeleine. 26Jésus, voyant sa mère et, près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : Femme, voici ton fils. 27Puis il dit au disciple : Voici ta mère. Et dès cette heure-là, le disciple la prit chez lui.

Prions…

Jésus garde le contrôle de la situation

Dans un renversement de perspectives auquel nous sommes habitués si nous connaissons bien l’Évangile selon Jean, dans notre texte, Jésus trône sur une croix où il est inscrit en hébreu, en latin et en grec : « Jésus le Nazaréen, le roi des Juifs ». Je ne sais pas si nous réalisons à quel point cette inscription est étrange, dans ce contexte précis. Comment peut-on déclarer « roi » un homme souffrant le martyre, un homme rompu par le châtiment réservé aux esclaves, un homme humilié, abaissé de la sorte ? Non, une telle déclaration n’a aucun sens à vue humaine ; et pourtant, elle a tout son sens dans cet Évangile. C’est que, dans le Quatrième Évangile, la croix n’est pas le lieu de l’abaissement et de l’humiliation, mais toujours celui de l’élévation et de la glorification du Fils. La croix n’est jamais présentée comme l’échec de la mission de Jésus, mais bien au contraire, comme le lieu de la proclamation de sa royauté. C’est là, alors qu’il semble dépouillé de tout, nu et humilié, que le roi divin, Jésus le Nazaréen, règne sur l’ensemble du monde civilisé (d’où l’usage des trois langues sur l’écriteau). Et de son trône, il garde l’initiative, le contrôle de la situation : il s’adresse aux siens et livre ce qui n’est, ni plus ni moins, que sa dernière volonté.

Jésus, le roi qui prend soin

Ici, les siens sont représentés par quatre femmes et le disciple que Jésus aimait. C’est à eux cinq — les siens, les croyants — qu’il va s’adresser avant de rendre l’esprit. Mais de ce groupe de croyants, l’auteur se focalise simplement sur deux figures importantes de l’ensemble du récit : la mère de Jésus et le disciple bien-aimé. 

Remarquez, tout d’abord, que ces deux personnages sont anonymes (comme c’est d’ailleurs le cas dans l’ensemble dans l’Évangile). On peut se demander pourquoi, mais je dirais pour ma part qu’en omettant de les nommer, c’est le lien de proximité les unissant à Jésus qui est ainsi mis en exergue : « mère », « bien-aimé » sont deux termes qui marquent bien cette proximité. Jésus adresse son testament, du haut de sa croix, à ses proches, à ses intimes. Lui qui part vers son Père, lui qui sera désormais absent, ne les laisse pas dans le désarroi, démunis. Il prend soin d’eux jusqu’au bout.

Naissance de la famille de Dieu

Mais comment ? Quel est le sens de cette parole du haut de la croix ? Quel est le sens de ce soin ? Jésus s’adresse à sa mère en ces termes : « Femme, voici ton fils ». Puis au disciple qu’il aimait : « Voici ta mère » (v. 27). Jésus, clairement, les confie donc l’un à l’autre. 

Nous pourrions, bien sûr, comprendre cette scène au premier degré, comme une marque d’affection, une marque d’attention portée par Jésus à sa mère, la plaçant sous la protection matérielle du disciple bien-aimé et pourvoyant ainsi à ses besoins de femme âgée. Tout bon juif se devait d’honorer son père et sa mère, et c’est ce que semble faire Jésus ici : il prend soin de sa mère et s’assure qu’elle ne manque de rien, quand bien même il ne pourrait plus s’occuper d’elle.

Oui, nous pourrions nous arrêter à cette compréhension de la scène, mais je pense que nous passerions alors à côté des intentions de l’auteur qui la rapporte. L’intérêt de cette scène va plus loin, la nouvelle relation instaurée par Jésus entre sa mère et le disciple bien-aimé ne se limite pas au droit de succession légal et à l’affection filiale. Bien davantage, cette scène a une portée symbolique très forte : l’annonce de Jésus, du haut de sa croix, de son trône, fonde quelque chose de foncièrement nouveau : une nouvelle famille, la familia dei, la famille de Dieu, l’Église.

Le disciple bien-aimé prend la succession du Fils

Dans cette nouvelle famille, la mère et le disciple bien-aimé représentent tous deux quelque chose d’important.

Tout d’abord, le disciple bien-aimé devient « fils », et donc le successeur de Jésus sur terre. Cela peut surprendre, mais dans notre texte, ce disciple devient en quelque sorte le remplaçant humain de Jésus, recevant (de façon métaphorique bien sûr) la responsabilité du fils envers sa mère. Dans cette famille nouvellement constituée et qui perdurera après le départ de Jésus, le disciple bien-aimé a donc ce rôle spécifique de fils à jouer. Tout au long de l’Évangile selon Jean, le disciple bien-aimé est présenté comme un intime de Jésus, présent lors des moments clefs de la mission de Jésus. Il est donc témoin, oculaire et exemplaire, de ces événements. Par exemple, il repose sur le sein de Jésus quand celui-ci annonce qui va le trahir (13.23) ; il est là lors de l’interrogatoire chez Anne (18.15) ; il est présent ici, lors de la crucifixion (19.25-27) ; puis il sera l’un des tout premiers à se rendre au tombeau vide de Jésus et à croire qu’il est ressuscité (20.8-9).

Ainsi, le disciple bien-aimé, qui est aussi l’auteur de notre Évangile, est présenté comme un personnage parfaitement capable d’assurer la juste interprétation de tous ces événements, la juste interprétation de tout ce qui s’est déroulé pendant le ministère de Jésus. Et donc, quand Jésus le nomme « fils » à sa place, je crois qu’il lui confie cette mission d’interprétation de son œuvre. Tout comme Jésus, en tant que Fils, devait révéler qui est Dieu, c’est maintenant sur le disciple bien-aimé que repose la communication de tout ce qu’a pu révéler Jésus. Si Jésus n’est plus là, ce nouveau « fils » devra continuer l’œuvre de Jésus en l’expliquant, en témoignant, en l’interprétant correctement. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait en écrivant cet Évangile où nous lisons à la fin : « C’est ce disciple qui témoigne de ces choses et qui les a écrites. Et nous savons que son témoignage est vrai » (21.24).

La mère de Jésus représente les croyants

Voici donc pour le rôle, pour la mission confiée au disciple par Jésus. Mais qu’en est-il de la mère ? Que représente-t-elle dans cette nouvelle famille ? Remarquez, tout d’abord, que la mère de Jésus est, dans notre texte, simple réceptrice du soin. Notre texte ne présente pas de réciprocité dans les rôles impartis par Jésus. Non, le disciple bien-aimé est le seul qui est investi d’une mission, si bien qu’à la fin de la scène, reconnaissant le rôle que Jésus lui a confié, il obtempère : « Dès cette heure-là, il la prit chez lui » (v. 27). 

Donc, si le disciple devient « fils » à la suite de Jésus, la mère de Jésus demeure, elle, « mère ». Cette remarque est importante, parce qu’elle remet quelque part en cause une interprétation courante de cette scène, une interprétation qui voudrait que la mère de Jésus devienne ici « mère de tous les croyants », des croyants qui seraient représentés dans notre texte, justement, par le disciple bien-aimé. Or, ici, c’est le disciple qui agit envers la mère, c’est lui qui accueille et prend soin. C’est lui qui reçoit une mission. Et la mère est celle qui est réceptrice de ce soin et de cette mission. 

Alors, que représente la mère de Jésus dans cette scène ? Eh bien, toujours dans le cadre symbolique qui est proposé ici, la mère est loin d’être l’unique destinataire de la mission, du témoignage fidèle du disciple bien-aimé. Au-delà de sa propre personne, elle représente tous ceux qui sont réceptifs au salut, tous ceux qui croient et suivent Jésus, tous ceux qui se tiennent aux pieds de la croix de Jésus pour recevoir son soin, sa vie. Au-delà simplement de la mère de Jésus, ce sont tous ceux-là, les membres de la famille de Dieu nouvellement constituée, qui sont confiés au disciple bien-aimé, à ce témoin par excellence, digne de confiance. 

Conclusion

Voici donc l’interprétation, symbolique, que je vous propose de cette scène : Jésus nomme le disciple bien-aimé comme son successeur, afin que celui-ci prenne soin de sa famille, la famille de Dieu, en interprétant pour elle qui est Jésus et ce qu’il a accompli. 

Mais pourquoi ai-je choisi cette scène, pour nous, aujourd’hui ? Pour nous qui sommes endeuillés ? Pour nous qui sommes encore sous le choc du départ de Jean Chrétien ? Pour nous qui avons besoin de réconfort et de consolation ?

Tout d’abord parce que ce texte nous révèle un Jésus qui, alors même qu’il se meurt, prend soin de nous en nous donnant d’appartenir à une famille, l’Église, une communauté qui dépasse les simples liens du sang. Et ceci n’est pas anodin du tout. Jésus ne nous sauve pas, Jésus ne nous donne pas la vie, pour que nous puissions vivre nos vies de disciples chacun dans notre coin. Non, il nous donne une famille, une famille dont les membres peuvent se tenir les coudes dans l’épreuve, se soutenir mutuellement, notamment lorsque la mort les frappe. Je pense que notre communauté a expérimenté quelque chose de très fort à travers la maladie de Jean. À chaque fois que j’allais le voir, il me disait combien celle-ci, sa famille spirituelle, était un soutien pour lui, combien il en avait besoin, ce qu’elle lui apportait. Et maintenant que Jean est parti, nous sommes là, encore disponibles les uns pour les autres, prêts à nous servir mutuellement, à nous soutenir dans l’épreuve. Ne sous-estimons jamais l’importance de la famille que nous formons. Nous avons besoin les uns des autres, de tout un chacun. Jésus savait cela, il connaissait l’importance de la communauté pour vivre notre foi, et il nous a donné de vivre dans la communion fraternelle. C’est une grâce, une bénédiction extraordinaire qu’il nous donne là. 

Mais la deuxième raison qui m’a poussé à choisir ce texte est que celui-ci nous rappelle que cette famille n’a de raison d’être qu’en et par Jésus. C’est lui qui forme et qui fonde cette famille. Ceux qui la composent sont ceux qui suivent Jésus. Ce sont ceux qui désirent toujours mieux le connaître, ceux qui désirent expérimenter toujours davantage le sens de la vie qu’il nous offre. Et donc, si nous retirons Christ de cette famille, elle n’a plus sa raison d’être, elle n’existe plus, elle n’est plus. Voilà pourquoi il a choisi des successeurs, comme le disciple bien-aimé, qui avaient la charge de remettre Christ constamment au cœur de la famille chrétienne. Voilà aussi pourquoi les Écritures sont si importantes pour nous : parce qu’elles communiquent Christ, parce qu’elles interprètent pour nous qui est Christ, parce qu’elles nous dirigent et nous guident vers celui qui est et qui donne la vie, vers celui qui donne tout son sens à la famille que nous formons.

Oui, notre texte nous rappelle que nous faisons partie d’une famille, une grande et belle famille, mais une famille qui n’a de sens que parce que Christ est en son cœur. Et Christ, à travers elle, continue de prendre soin de chacun de nous. Alors, nous tous qui sommes tristes ce matin, nous tous qui avons besoin de réconfort, de consolation, nous tous qui allons devoir sécher nos larmes et continuer à vivre : n’oublions pas, jamais, que Christ est là, qu’il veut et peut prendre soin de nous, et qu’il le fait en nous plaçant au sein de cette famille, une famille dont il est la tête et vers qui tous nos regards doivent être tournés. 

Prions de nouveau !

Auteurs
Nicolas FARELLY

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Commentaires

adelin faity

26 May 2015, à 10:53

cette prédication m'a fait du bien. que Dieu vous bénisse!

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