Nouvelles formes d'Eglises pour les jeunes

Extrait Vie et gestion de l'Église

Pasteur à Valence, Jean-Pierre Civelli est le président du Département jeunesse de l’Union des Églises Évangéliques Libres de France. Dans cet article, il nous fait partager sa réflexion sur la place des jeunes dans l’Église, fondée sur son expérience et sa connaissance des courants de pensée qui sont le fond culturel des jeunes d’aujourd’hui.

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Nouvelles formes d'Eglises pour les jeunes

I. Comprendre les jeunes

Mt 19.16-22 : Et voici qu'un homme s'approcha de lui et lui dit : « Maître, que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? » 

Jésus lui dit : « Pourquoi m'interroges-tu sur le bon? Unique est celui qui est bon. Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements. » - 

 « Lesquels ? » lui dit-il. Jésus répondit: « Tu ne commettras pas de meurtre. Tu ne commettras pas d'adultère. Tu ne voleras pas. Tu ne porteras pas de faux témoignage. 

Honore ton père et ta mère. Enfin : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » 

Le jeune homme lui dit : « Tout cela, je l'ai observé. Que me manque-t-il encore ? »

Jésus lui dit : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi ! » 

À cette parole, le jeune homme s'en alla tout triste, car il avait de grands biens.

Trois préliminaires :

1. Les jeunes ne sont pas un problème mais une chance : ils « réfléchissent » ou reflètent, comme un miroir, l’apport de leur environnement. Ils n'ont pas de lien affectif avec le passé (nostalgie de "notre" jeunesse) et rejettent les réalités sans perspectives réelles. Par contre, ils gardent celles qui démontrent leur solidité. Contrairement aux idées reçues, ils aiment les « valeurs sûres » : elles leur permettent d’être eux-mêmes créatifs…

2. Le décalage entre l’Église et les jeunes existe depuis deux générations : la génération qui a connu la dernière guerre mondiale a pensé mai 68 comme une crise d’adolescence… qui allait passer ! Or, il s'agit déjà d'un réel commencement de changement de paradigme qui se confirme avec la génération suivante. Ces deux générations ont préparé ce changement l'une sous forme violente, l’autre sous forme évolutive. À la génération du devoir a succédé :

a. La génération « baby-boom » qui a misé sur l’action, la prospérité et la relativisation des valeurs des pères : l’holocauste, la bombe atomique, la guerre du Vietnam, la science et… l’Église représentent autant de fossés avec les "pères"!

     1. Ils sont donc contestataires et pragmatiques. On ne peut rien imposer à cette génération(1) : tolérante sur le plan éthique et souvent libérale sur le plan économique. 

     2. Ils refusent toutes hiérarchies et sont agnostiques sur le plan religieux (quand il n'y a pas agressivité vis-à-vis de l'Église)

b. La « génération X » qui mise sur l'être, l'authenticité… Elle exprime son manque affectif et son propre désaccord face à l’engagement matérialiste des parents :

     1. Conscient des incertitudes de l’avenir et de la fragilité de l’existence, elle préfère la « bande » et le plaisir immédiat au succès personnel et professionnel des parents. Alors que ces derniers pensent avoir conservé un dialogue avec leurs enfants, il existe bien souvent une incompréhension réciproque même si le fossé est complètement différent : au fossé « autoritaire » a succédé le fossé « herméneutique » (le regard sur la vie a changé)

     2. Ils sont indifférents à la politique et au religieux… sauf quand cela les concerne directement(2) !

 Malgré ces différences entre générations, il demeure une continuité de changement de paradigme : Les sociologues et les philosophes lisent les origines de ce changement de paradigme dans l'œuvre de Kant.

Hölderlin : « À la limite extrême du déchirement il ne reste en effet plus rien que les conditions du temps ou de l'espace (là Hölderlin parle kantien). À cette limite l'homme oublie soi-même parce qu'il est tout entier à l'intérieur du moment. Le Dieu oublie soi-même parce qu'il n'est rien que temps ».

La ligne du temps est passé du circulaire à la ligne droite : les histoires n'ont plus ni commencement ni fin : il n'y a plus de « superviseur » mais seulement des « points de vue » sur l'histoire. Les jeunes ne « vieillissent » plus !(3) Cet « aplatissement » spatio-temporel ramène toutes les philosophies à des « lunettes » qui colorent des événements qui, au fond, s'enchaînent sans aucun lien les uns avec les autres… La seule certitude qui reste, c'est qu'il n'y a pas de certitude ! Ainsi, le mythe qui parle est celui d'Œdipe (qui détruit systématiquement toute certitude), l’art contemporain renonce de plus en plus au figuratif et le cinéma préfère le "style" au scénario… Ce qui nous conduit directement à notre troisième préliminaire.

3. Le monde contemporain est en train de passer de la modernité à la postmodernité : d'un Monde rationalisé de manière systématique (évacuation de l’irrationnel sur le plan politique, scientifique, économique et social) on est passé à un regard virtuel désintéressé par le réel. Si la motivation a changé, la vision sur le monde est semblable. Pour schématiser, on pourrait dire que l'on est passé sur le plan philosophique de la problématique de Descartes -« je pense donc je suis » qui fonde la réalité sur la rationalité - à celle de Kant - ce que j'appelle « réalité » n'est en fait que « phénomène » : projection ou vision de la réalité. D'où la tolérance qui est le refus de choisir un paradigme valable pour tous. Au « il est interdit d'interdire » a succédé le « il est interdire de penser universel » contemporain. La « réalité en soi » n'est pas accessible: on appelle cela en philosophie « la rupture nouménale ». Si le sens ultime de la réalité existe, il ne m'est pas accessible. La position de Kant est donc « agnostique». On peut entendre un discours chrétien et on le tolère dans un vaste champ de discours ! Nous sommes à Athènes et nous pouvons écouter Paul ! 

Bien que ce raccourci soit trop schématique, il montre juste que les paradigmes modernes et postmodernes sont bien philosophiques avant d'être utilitaire, technologique, commercial ou médiatique. L'humain travaille désormais sur les « instruments » (lunettes) pour capter et orienter la réalité plutôt que sur la « vérité » (le sens de la réalité) qui lui semble être une notion dépassée qui a conduit l'humanité à l'impasse : les guerres de religions et idéologiques ont discrédité les unes et les autres. Les hommes ont tout essayé pour se mettre d'accord: la diplomatie et la guerre n'ont pas permis de réduire les différends humains! Les catholiques et les protestants, la religion chrétienne et les autres, la gauche et la droite doivent apprendre à cohabiter, à n'être que des points de vue qui sont légitimes à condition de ne pas prétendre à l'universalité: nous sommes à l'ère de la tolérance et de la relativité absolues. Il n'y a donc plus de « vérité » au sens absolu du terme, du point de vue postmoderne, mais des visions relatives et libres de cette dernière qui reste inaccessible. 

Voilà la vision qu'un professeur de philosophie donne de la religion chrétienne :

La force de la religion

La religion mobilise diverses émotions très puissantes : la peur (des châtiments), la reconnaissance (d'être sauvé), le respect face à ce qui nous dépasse (Dieu est incompréhensible au sens de la raison humaine), la culpabilité (si j'ai péché), l'angoisse (et si tout ça était illusoire ?), l'émerveillement (face à la beauté de la création), le plaisir (d'être reconnu dans une communauté de croyants), etc. La religion implique en effet l'appartenance à un groupe, à une institution. Les grandes Églises sont riches et prospères, elles ont une influence politique et sociale considérable et leurs structures sont toujours hiérarchisées. La religion est donc aussi un phénomène social et idéologique.

Les excès de la religion

Puisque chaque religion prétend détenir la vérité, forcément chacune tente de convertir les incroyants et de combattre l'influence plus ou moins néfaste des autres confessions. Dans certains cas, cela peut mener à la guerre, à des massacres ou tout simplement à l'intolérance culturelle. Les exemples de guerres inspirées par les religions sont nombreux. Il est arrivé qu'on cherche à détruire ou à soumettre en esclavage des peuples entiers au nom d'une foi religieuse. Encore aujourd'hui, le fanatisme, une forme spécialement virulente de foi, mène des groupes extrémistes à faire sauter des bombes dans les supermarchés et à tuer des innocents. Dans ces cas, il faut remarquer que la religion est conjuguée avec la politique : une combinaison explosive ! 

Le discrédit de la religion

Par ailleurs, la religion s'est longtemps opposée à la science. Ce n'est que tout récemment que l'Église catholique a reconnu son erreur dans le procès de Galilée ! Même si la religion ne s'oppose pas toujours à la science, elle prend souvent des formes naïves et superstitieuses, surtout parmi les populations peu éduquées. Alors se multiplient les "miracles", les guérisons "inexplicables en dehors de la foi", l'adoration de statuettes (idolâtrie) et autres attitudes semblables relevant de ce qu'il est convenu d'appeler la pensée magique.

                Robert Tremblay, Professeur de Philosophie, Montréal

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Informations complémentaires

1. Il est interdit d'interdire.

2. cf. les manifestations lycéennes et la comparaison qui en a été faite avec mai 68... les parents ont réalisé à cette occasion que leurs enfants n'étaient plus sur la même longueur d'onde !

3. Johnny est toujours un rocker à 60 balais.

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