Une jambe amputée

Complet Souffrance

Cyril Gallay travaille au siège de l’UEFA, l’Union Européenne des Associations de Football, à Nyon, au bord du lac Léman, en Suisse romande. Le sport compte pour lui, et on l’a engagé malgré son handicap...

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Une jambe amputée

– Comment êtes-vous devenu handicapé, et quel est précisément votre handicap ?

– C’est arrivé de manière très soudaine. C’était un bel été, j’avais environ 9 ans et demi. Et voilà qu’un jour j’ai commencé à avoir des douleurs dans ma jambe gauche. J’en ai peu parlé à mes parents, je n’étais pas du genre à me plaindre. J’ai donc mis un moment avant de m’inquiéter de la chose. Et comme j’ai fini par insister auprès de mon père, il m’a dit : « Écoute, Cyril, ne te fais pas trop de souci, tu grandis, c’est normal ! » C’est vrai que ça s’apparentait réellement à des douleurs de croissance. Mais un matin en me levant, je ne pouvais plus plier le genou. Je suis allé chez un médecin et, par « chance », il avait déjà entendu parler d’un cancer de l’os, il avait même eu à travailler la question dans un centre universitaire où il y avait un cas similaire au mien. Il a donc tout de suite cherché dans la bonne direction, et, peu de temps après, les examens se sont enchaînés les uns derrière les autres. Et le verdict est tombé. J’ai dû prendre la décision, soit d’amputer la jambe, soit de la garder. Dans ce dernier cas, il fallait enlever la partie malade et mettre une barre de fer pour bloquer la jambe –elle serait ainsi raide à jamais.

– Si j’ai bien compris, vos parents s’en remettaient à vous ?

– Oui, à un moment donné, ils m’ont dit : « Écoute, Cyril, c’est toi qui dois prendre la décision. Elle t’appartient. »

– Mais étiez-vous à même de vous rendre compte de la situation ?

– Non, et il ne valait mieux pas ! Mais d’un autre côté, l’enfant sait quand même évaluer où il en est. Sans que je puisse vous l’expliquer, je me suis retrouvé armé pour faire face à ce qui m’arrivait. C’est honnêtement inexplicable ! Les forces sont données au moment voulu, c’est assez étonnant ! Mais on a essayé des chimiothérapies, avec tout ce que cela comporte d’effets secondaires : perte des cheveux et de l’audition en particulier. Et au lieu de ralentir la maladie, cela n’a fait qu’empirer les choses. Le cancer s’est propagé, les médecins ont alors réagi et arrêté ces chimiothérapies qui s’étaient révélées nocives. Ce type de cancer ne se déclare que dans une tranche d’âge bien définie : entre 2 et 16 ans. Tant que l’enfant est actif –s’il fait du sport par exemple –cela ralentit l’évolution de la maladie. Mais la maladie progresse dès qu’il commence à devenir moins actif, en gros quand on lui fait commencer l’école, comme cela a été mon cas, après les vacances d’été. Ainsi celui qui se laisse aller va clairement mourir, et celui qui se bat a plus de probabilité de vaincre la maladie, c’est évident. Il y a un rapport entre l’homme et sa maladie qui est quelque peu insaisissable, et que je trouve intéressant à vivre. C’est comme si la maladie était personnifiée. On sent qu’il y a un combat réel. Cela peut paraître présomptueux, mais je vous assure que je n’ai jamais pleuré. Ce qui ne veut pas dire que je n’en ai jamais eu marre ou que tout ait toujours été facile.

– Pourquoi n’avoir pas choisi de garder votre jambe ?

– À l’âge que j’avais, je ne pouvais pas connaître les tenants et les aboutissants des trois solutions qui s’offraient à moi : 1) je gardais ma jambe, mais raide ; 2) on amputait juste au-dessus de la partie malade ; 3) on amputait de manière radicale, beaucoup plus haut. Il a donc fallu faire le choix entre la peste et le choléra. J’ai choisi la troisième solution. Je ne savais pas à cette époque qu’il est extrêmement difficile d’appareiller une prothèse sur une jambe amputée dont il ne reste que 10 à 12 centimètres de moignon. Ma jambe était déjà raide, je me rendais compte que c’était vraiment un handicap. Je ne pouvais plus jouer par terre à des jeux de sable ou aux Lego. C’était pénible. Cela voulait dire aussi, à l’âge adulte, ne plus pouvoir faire du vélo, de la natation. Restaient des raisons esthétiques. Je viens d’un milieu agricole et l’esthétique n’a jamais été quelque chose de très important chez nous ! Quant à couper juste au dessus de la zone malade, c’était prendre le risque de ré-amputer beaucoup plus haut. On aurait carrément démembré le fémur, et là c’était pire que tout.

Auteurs
Cyril GALLAY

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