Enfance - Un départ difficile

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Enfance - Un départ difficile

Du Brésil en France

Quand on dit que l’enfance est importante pour la construction de notre identité, c’est vrai. La mienne est marquée par la relation passionnée entre mes deux parents. Ils s’aimaient beaucoup, mais très mal. Malgré leur amour profond, ils vivaient beaucoup de conflits. Ceux-ci ont finalement eu raison d’eux et de leur amour.

Nous habitions le Brésil, un merveilleux pays. Il y fait un temps superbe pratiquement toute l’année. Avec mes yeux d’enfants, je voyais les gens beaux, joyeux… Mon bonheur allait être cependant de courte durée. En effet, ma mère a pris la décision de quitter mon père alors que j’avais six ans. J’ai très peu de souvenirs de mes parents ensemble. Je me rappellerai toujours le jour où nous avons quitté la maison ; ma mère me disait de dire au revoir à mon père et à mon chien, mais je ne comprenais pas la situation, je voulais que mon chien me suive. Je pleurais sans savoir que je ne reverrais mon père que plusieurs mois plus tard.

Nous avons pris l’avion et sommes allées à Montpellier qui est le principal point de chute de ma vie. C’est là que toute la famille de ma mère est installée. Durant ma jeunesse, nous sommes souvent partis vivre à l’étranger mais nous revenions pour les vacances à Montpellier. Pendant un an et demi, j’y ai retrouvé mon demi-frère R. de dix ans mon ainé, né de la première union de ma mère avec B., mon beau-père. Comme il n’existait pas de lycée français dans la ville où nous vivions au Brésil, il avait dû rester chez notre grand-mère maternelle. Ce fut pour lui très difficile.

Un jour, ma mère a décidé de donner une seconde chance à sa première union avec B. Ils se sont remariés dans la plus stricte intimité. Nous sommes partis pour la Hollande sans mon frère qui continuait ses études à Montpellier. Il s’est donc retrouvé à nouveau chez notre grand-mère.

La Hollande

Me voilà donc à huit ans dans un nouveau pays, dans une nouvelle grande maison, avec un nouvel homme à la maison.

Les colères ont été les premiers signes de ma détresse. Je criais jusqu’à m’en abîmer les cordes vocales. Ma mère s’occupait beaucoup de son couple et ne voyait pas que je voulais aussi exister. Une fois, alors que j’étais fâchée contre ma mère, car je trouvais qu’elle ne m’aimait pas comme il faut, j’ai eu l’idée de sauter par la fenêtre. Je me disais que s’il m’arrivait malheur, elle s’en voudrait peut-être et se poserait des questions sur sa façon d’agir. Mais ma volonté de vivre a été heureusement la plus forte. J’étais juste très en colère et triste de me sentir si mal aimée. J’avais besoin qu’on m’aime, qu’on me le dise, qu’on me le montre.

Je me sentais souvent seule car ma mère était souvent invitée à suivre le rythme des femmes d’expatriés : organiser des cocktails, faire les boutiques, jouer au bridge, au golf, faire du patchwork... Je restais souvent seule avec une baby-sitter à la maison lors de ses soirées mondaines. Ou alors, j’allais passer la soirée chez d’autres enfants d’expatriés. Un soir, sans doute parce que je m’ennuyais, j’ai commencé à fouiller dans les placards de mes parents. C’est ainsi que je suis tombée sur une panoplie de cassettes X de mon beau-père. Je savais que c’était interdit mais les images en disaient long et je voulais en savoir plus. C’est donc à neuf ans que j’ai regardé mes premiers films pour adultes.

Il m’est arrivé aussi de voir des films d’horreur avec ou sans mes parents. C’est à neuf ans que j’ai découvert mes premiers Alien, La Chose…C’était terrifiant, mais j’adorais ça.

J’étais parfois gardée aussi chez des copains qui s’amusaient à mettre des films X. Après quoi, on jouait à simuler les scènes. Je me souviens tout particulièrement d’une fois où j’ai dit au garçon : « il ne faut pas que tu forces, sinon je vais avoir un bébé ». J’avais dix ans et lui seize. Il m’a alors expliqué l’histoire des règles, des bébés… Je pense que si je n’avais rien dit ce jour-là, j’aurais eu ma première relation sexuelle à dix ans. Nous nous amusions bien, mais au fond de moi je savais que ce n’était pas normal. On s’amusait à faire les grands sans dépasser les limites et sans jamais s’embrasser. Puis j’ai été gardée par d’autres personnes et ça s’est arrêté. J’ai revu ces garçons des années plus tard et j’ai eu envie de vomir. J’en ai alors parlé à ma mère qui était désolée. Elle m’a répondu : « ça arrive des fois quand on est une fille ». Sur le coup, sa réponse m’a hallucinée mais avec le recul, je crois surtout qu’elle ne savait pas quoi dire et que ça l’ennuyait beaucoup. 

Bien plus tard, j’ai vu un sosie de ce garçon. Malgré toutes les années passées, j’ai failli l’agresser physiquement. Il m’a fallu du temps pour que je me rende compte que ce n’était pas lui ! J’avais une telle rage que je l’aurais frappé alors qu’il n’y était pour rien. Je voulais saisir l’occasion de rendre la monnaie de sa pièce à celui qui avait sali mon jeune corps.

Ma mère et mon beau-père fréquentaient des camps naturistes l’été. C’était très étrange de voir tous ces corps nus partout, même pour faire les courses. Mais j’ai vite appris à ne pas juger les gens sur leur apparence, qu’ils soient nus ou très bien habillés. Petite, je ne me posais pas de questions, je suivais mes parents c’est tout ! Moi, je gardais ma culotte car il n’était pas question pour moi de montrer mon corps. Il y a bien eu un type qui m’a laissé une cicatrice de cinq centimètres près de la poitrine, en me griffant sans aucune raison. C’était à la piscine. Le règlement obligeait chacun à être tout nu. L’homme était posté près des toboggans, on faisait tous la queue, il n’était pas français. Il a voulu peut-être me toucher ou me pousser. Qu’importe ! Il avait les ongles longs : ma mère a été furieuse et l’a pris pour un pervers. Encore un homme qui m’a laissé une marque à vie.

J’avais huit ans quand mon père a refait sa vie avec G., une femme brésilienne. Comme ils vivaient loin de nous, je ne les voyais que deux fois par an. Au début, ça s’est bien passé avec ma belle-mère jusqu’à ce qu’elle mette au monde M., mon petit frère. Je me suis alors sentie rejetée par elle. Je n’étais plus du tout importante à ses yeux, quelque chose s’était cassé. Je n’arrivais plus à recevoir l’affection que je voulais, ni de ma mère, ni de mon père, ni de mes beaux parents. J’avais beau passer mes vacances avec mon père : il me manquait terriblement. J’étais déchirée à chaque fois que je devais lui dire au revoir. J’aurais tellement voulu le prendre dans mes valises, qu’il ne soit qu’à moi, qu’il me protège, qu’on rattrape le temps. Mais il avait refait sa vie lui aussi, et j’avais l’impression de passer d’un monde à un autre à chaque période de vacances. Avec mon père je redevenais cette petite fille qui cherchait à se faire aimer, chouchouter, protéger. Avec ma mère, c’était un monde d’adultes : elle me racontait ses problèmes avec B. et son ex-femme, avec ma demi-sœur… J’avais envie d’être avec ma mère et mon père dans notre maison, mais c’était impossible. Ma mère et mon père ne se parlaient pas, j’étais leur intermédiaire. C’était très désagréable, ça me rendait triste. Rares étaient les fois où nous mangions ensemble tous les trois. Je me souviens d’une fois sur une aire d’autoroute pour faire mon échange pour les vacances. Ils avaient l’air heureux de se voir ; mon père a fait de l’humour et ma mère a rigolé. Ce fut bref, mais j’ai apprécié toutes les secondes de ce petit moment dont j’avais tant rêvé : c’était ma bulle…

L’Afrique

Comme mon beau-père travaillait dans le pétrole, nous sommes partis vivre en Afrique, au Nigéria, où nous sommes restés deux ans. C’est là où j’ai fait ma dernière année du primaire et où je suis entrée dans le secondaire. Durant ces deux ans, les choses se sont tassées, j’avais un petit copain, on se faisait des petits bisous mais rien de plus. J’étais terrifiée à l’idée d’aller plus loin. J’étais bien dans ce pays, à la fois hostile et luxueux pour les expatriés. J’avais vu un mort, des blessés graves, des estropiés, des victimes de la guerre, des armes à feu, des militaires violents, des fous se promenant nus dans la ville, des affrontements éclatant en pleine journée… 

Ce nouveau pays me plaisait. Tous les week-ends, nous partions en bateau rejoindre la côte et nous retrouver entre expatriés dans des mini-villages pas très loin de la plage, créés pour le confort des étrangers. Nous étions une bande de jeunes, et nous partions toute la journée. On s’éclatait à surfer sur les vagues. On risquait parfois notre vie, mais c’était génial : je me sentais exister, libre, heureuse. Le théâtre, le sport m’aidaient à sortir de ma bulle, je me sentais bien dans ce monde privilégié.

J’étais loin toutefois d’imaginer à l’époque ce qui m’attendait…

Auteurs
Corinne CHARDIN

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