L’amour plus fort que la haine

Complet Réflexion

Pour bien comprendre et évaluer son combat en faveur des droits civiques des noirs, nous avons choisi la perspective historique.

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L’amour plus fort que la haine

L’esclavage est aboli aux États-unis en 1865 à la faveur de la guerre de Sécession opposant les Sudistes aux Nordistes. Mais la situation des Noirs, jadis esclaves, ne va pas changer complètement. Ils sont exclus de la vie politique et se voient progressivement imposer «un système légal de ségrégation» qui va durer plus d’un siècle.

Une inégalité qui ne dit pas son nom

Dans les États du Sud, la pratique de la ségrégation raciale se développe très rapidement. En 1896, la Cour suprême consacre le système dans l’arrêt «Séparés mais égaux». Les juges font remarquer que la Constitution n’interdit pas que les races soient séparées. Ainsi, «du berceau au cercueil, rien n’échappe à la ségrégation. Elle est officielle dans le Sud, de fait ailleurs».

Cette pratique contredit pourtant les bases élémentaires de la morale en créant l’inégalité. La séparation des races retarde, pis encore, empêche le progrès socio-économique de la communauté noire. Conséquence inéluctable: les Noirs passent pour des paresseux, des incapables, des sous-hommes.

Il ne faudrait pas croire cependant que les Noirs aient accepté ces conditions sans broncher. Dès le début, ils ont contesté ces lois infamantes par le boycott des autobus et des journaux profondément racistes. Des meetings de protestations se tenaient aux risques et périls des participants.

L’engagement du pasteur M. L. King

C’est sur ce terrain déjà labouré par ces prédécesseurs qu’apparaît M. L. King.

Il est né le 15 janvier 1929 dans une famille de classe moyenne. Son grand-père et son père étaient pasteurs. Ils ont tous les deux combattu la ségrégation raciale. M. L. King découvre très tôt la brutalité de la ségrégation en Amérique. Il dit en avoir souffert personnellement, au point de vouer de la haine aux Blancs.

C’est pour cela qu’il se sent attiré par les études de droit et de médecine. Mais son père, Daddy King, comme il le nomme, préfère qu’il devienne pasteur. King junior est aussi influencé dans son choix par quelques professeurs. Il entreprend donc des études théologiques à Chester, dans l’état de Pennsylvanie. Il y reçoit une solide formation intellectuelle et pastorale puisqu’il en sort avec le grade de licencié en théologie. Mais le jeune diplômé ne s’arrête pas là, il veut absolument poursuivre des études pour se débarrasser définitivement des stéréotypes dont les Blancs affublent les Noirs. C’est ainsi qu’on le retrouve à la faculté de théologie de Boston en 1951 tout en suivant des cours de philosophie à Harvard.

En 1954, un an après son mariage, il commence un ministère pastoral à Montgomery situé dans l’État de l’Alabama.

L’année suivante, un événement anodin va complètement bouleverser sa vie. Mme Rosa Parks, une couturière, après une journée de travail harassante, refuse de céder sa place dans l’autobus à un blanc. Elle est arrêtée. Bien que l’événement n’ait rien d’extraordinaire pour l’époque, il va déclencher chez les Noirs une longue période de lutte pour obtenir les droits civiques. Ils préfèreront aller au travail à pied plutôt que de rouler dans les autobus de l’humiliation.

Très vite, le jeune pasteur de Montgomery est catapulté à la tête du mouvement de boycott des autobus. Il va se révéler comme un leader incontestable, car il est intelligent, excellent orateur, capable d’électriser son auditoire. Ferme dans ses convictions, c’est aussi un homme d’action, animé d’un courage et d’une foi fondés sur l’espérance que le mouvement qu’il soutient réussira. «We shall overcome» («Nous serons vainqueurs») est un mot d’ordre qui ponctue ses différents discours.

Par ailleurs, en prenant la tête du mouvement, King y voit une occasion de mettre en œuvre la résistance non-violente qu’il a apprise de Gandhi en réclamant l’intégration immédiate des Noirs dans la société américaine. Il se démarque des gradualistes qui pensent que les Noirs obtiendront progressivement le droit à l’égalité civique et civile.

Ses idées sont exprimées dans un de ses ouvrages: Révolution non-violente.

Une arme: la non-violence

Plusieurs s’obstinent à n’envisager Luther King que sousl’aspect de résistance non violente pour lequel il est essentiellement admiré. Ceci l’assimile fâcheusement à l’Oncle Tom, le héros du roman de Harriett Beecher Stowe. Mais il ne faudrait pas se méprendre sur cette méthode. Si King l’emploie, c’est parce qu’il y voit le seul moyen de triompher de la violence dont sont victimes les Noirs. Il déclare d’ailleurs dans un discours: «Je ne suis pas doctrinaire du pacifisme, mais j’ai essayé d’embrasser un pacifisme réaliste qui voit dans la position pacifiste le moindre mal pour les circonstances actuelles». Cette technique devait à priori attirer la sympathie de l’opinion publique, sinon internationale, tout en condamnant la violence exercée contre les Noirs du sud des États-Unis.

Il ne faudrait pas non plus oublier que les mouvements noirs se radicalisent à partir de 1966. Les ghettos sont séduits par l’expression black power, dans laquelle ils voient une occasion de s’affirmer. Les Noirs ne doivent plus éprouver aucun sentiment d’infériorité. Ce qui est noir est beau. Par ailleurs, il y a manifestement un retour à tout ce qui rappelle l’Afrique: vêtement, coiffure, chants, danses de l’esclavage. Cette revendication de la négritude devient, comme l’indique l’historien A. Kaspi, «la qualité majeure, un signe de ralliement, l’annonce de la victoire prochaine.»

Président de la SCLC (1), le pasteur de Montgomery coordonne les différents efforts des diverses communautés noires en soutenant l’enthousiasme et le maintien de la discipline non-violente. Ce qui se vérifiera lors de la célèbre Marche sur Washington qu’il entreprend le 28 août 1963. C’est une Marche avant tout symbolique qui rappelle le centenaire de l’Acte d’émancipation des Noirs. C’est au pied du mémorial A. Lincoln que King prononce son discours le plus célèbre: «Je fais un rêve», véritable hymne à l’égalité raciale.

Cette Marche n’était pourtant pas au goût de tout le monde. La Maison Blanche a tenté par tous les moyens de l’annuler. Malcolm X, qui incarne l’aile radicale du mouvement, l’a trouvée trop molle et a méprisé les organisateurs en ces termes: «Oui, elle a même cessé d’être une marche, pour devenir un pique-nique, un cirque…». Mais au total, on peut dire que cette Marche à été une réussite, elle s’est déroulée dans une très bonne discipline rassemblant près de 250000 personnes et renforçant davantage la popularité du pasteur M. L. King.

Des résultats significatifs en 1964

Dès 1955, la notoriété de King, couplée à la popularité, ne cesse de croître. Aussi, en 1964, il est élu l’homme de l’année par l’hebdomadaire Time; c’est le premier Noir à être ainsi choisi.

Le président Lyndon Jonhson fait voter en 1964 une loi, le Civil Rights Act, qui déclare anticonstitutionnelle la ségrégation raciale dans les bâtiments publics et les écoles. Un an après, leVoting Rights Act autorise les Noirs à être inscrits sur les listes électorales.

La même année, M. L. King reçoit le prix Nobel de la Paix. Cette récompense couronne dix ans de combat pacifiste et chrétien contre la ségrégation. Cette distinction n’est pas au goût de tous puisque la branche plus radicale du mouvement noir critique le «nobélien». Malcolm X, par exemple, affirme avec une ironie mordante que King a reçu le prix et eux le problème.

Après avoir beaucoup voyagé pour sensibiliser l’opinion internationale, le pasteur M. L. King effectue une visite éclair en France du 24 au 25 octobre 1964, répondant ainsi à l’invitation des Protestants de France. Il y donne un message dans l’église Américaine, quai d’Orsay et prononce un discours au Palais de la Mutualité le 24 octobre devant 5000 personnes en plaidant pour la liberté des peuples asservis (2).). Enfin, il anime une rencontre pastorale le 25 octobre, soulignant que l’Église qui est «la communauté morale la plus importante dans la société, a un rôle fondamental à jouer pour libérer tous les enfants de Dieu». Elle doit combattre inlassablement l’inégalité «raciale». La Fédération Protestante a été convaincue du bien fondé de l’engagement de King et n’a pas hésité à soutenir financièrement son mouvement.

Le temps des épreuves

En dépit de ces résultats, la lutte piétine. À partir de 1965, des émeutes raciales embrasent les villes du Nord que King connaît mal. D’autres leaders noirs radicaux apparaissent, jugeant trop molles les positions du prix Nobel de la Paix. Son influence commence à s’affaiblir, surtout dans le Nord, ce qui l’amène à durcir son discours.

Sa popularité s’effrite également auprès des Blancs, surtout lorsqu’il prend position en 1967 contre la guerre du Viêt-Nam. Selon lui, ce conflit gêne la réalisation de la «Grande Société» et freine l’amélioration des conditions de vie des pauvres.

Le FBI répand alors sur son compte des calomnies. On le présente comme proche de l’idéologie communiste. Il se voit obligé de se défendre dans un discours (comment un chrétien voit le communisme) où il démontre que le christianisme et le communisme sont fondamentalement incompatibles. Il fait l’objet d’une surveillance accrue, il est considéré comme subversif et «un dossier est monté contre lui, utilisant ses nombreuses conquêtes féminines. On peut s’interroger sur la fiabilité de ce dossier. Est-ce de l’ordre de la calomnie ou du complot? King y a vu tout simplement une atteinte à sa personne.

Un combat qui demeure

Que reste-t-il du combat de M. L. King au moment où justement une «question noire» semble se poser dans notre société? Les historiens ne sont pas unanimes. Pour beaucoup, la situation des Noirs aux États-Unis a été sensiblement améliorée. On y rencontre des Noirs dans toutes les sphères de l’activité économique. Ils sont patriotes et participent pleinement à la vie intellectuelle, culturelle, sociale et politique de leur pays. Pour d’autres, leur condition est loin d’être comparable à celle des Blancs. Ils sont placés au plus bas de l’échelle sociale et la réussite de quelques-uns ne doit pas cacher la réalité beaucoup plus préoccupante de bon nombre d’entre eux.

Il y a près d’un demi-siècle, un homme s’est levé pour combattre par sa parole, sa foi chrétienneet son action, l’injustice qu’il voyait se développer sous ses yeux. Il a vu dans le christianisme une force capable de transformer non seulement les individus mais également la société tout entière.

Son assassinat, le 4 avril 1968, n’a pas interrompu l’espérance qu’il a su faire naître dans le cœur de beaucoup d’hommes. Son action et son message nous interpellent aujourd’hui. Ils nous invitent à devenir un maillon de la chaîne de fraternité qu’il a tissée, en luttant nous aussi contre toutes les formes d’injustices et d’asservissement de l’homme par l’homme. Bien qu’il ait été durant toute sa vie victime de la haine, Martin Luther King a légué au monde le témoignage que l’amour chrétien est plus fort qu’elle.

Auteurs
Eddy NISUS

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1.
Southern Christian Leadership Conference.
2.
Des extraits les plus significatifs de ces discours à Paris paraîtront dans le prochain Croire et lire (n°11

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