L'apport antillais dans les églises de Métropole

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L'apport antillais dans les églises de Métropole

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 État des lieux

La population antillaise de nos Églises est en pleine croissance. La plupart des Églises de Paris et de sa couronne comptent un fort pourcentage d’Antillais. Sans ces chrétiens antillais, certaines Églises n’existeraient pas et d’autres auraient de la peine à bien fonctionner. Cet apport est donc précieux pour l’Église de la Métropole, non seulement sur le plan numérique, mais aussi dans le domaine financier et de l’engagement.

Quelles sont les raisons de cette croissance ? Les Antillais, en général, sont très frileux à l’idée d’une Église antillaise. Conscients que des Églises à forte majorité antillaise peuvent être un obstacle pour les « blancs », ils veulent être avec ces derniers. Comment bien gérer cet apport pour que le « vivre ensemble » soit agréable dans nos Églises ?

 Raisons de l’apport antillais

Nous distinguons plusieurs raisons essentielles :
les nombreuses naissances dans les familles antillaises. Aujourd’hui la natalité antillaise s’est rangée dans la norme nationale, et la taille des familles antillaises ressemble désormais à celles de la Métropole. Toutefois, les nombreuses naissances du passé ont encore une répercussion numérique, essentiellement sur nos Églises parisiennes. Actuellement, ce sont les enfants des immigrés du BUMIDOM qui sont actifs dans nos communautés.
les liens familiaux. La société antillaise est communautaire. Les liens et les rapports sont très resserrés, et cela favorise l’évangélisation. Les chrétiens antillais invitent leurs familles facilement aux rencontres spéciales de leur communauté. Ensuite, le suivi est facilité par le contact familial.
la disposition aux choses spirituelles. La culture antillaise est marquée par le magico-religieux et la croyance. Les Antillais sont très ouverts aux diverses spiritualités.
le dynamisme d’évangélisation. Les chrétiens antillais ont le contact facile avec leurs compatriotes. Les entrées en matière sont tout indiquées : partage des nouvelles du pays, connaissances communes… En plus de cela, et en contraste avec la société métropolitaine, Dieu et la religion ne sont pas une affaire privée, ils sont présents dans toute la culture antillaise. L'Antillais comprend le langage religieux, et l’expression courante « à demain, si Dieu le veut » est dans la bouche même des athées.
les retombées des nombreuses campagnes d’évangélisation aux Antilles. Arrivés en Métropole les nouveaux convertis sont orientés dans les Églises où il y a déjà des Antillais, qui deviennent pour eux des repères spirituels.

 L’engagement et la présence des Antillais dans les Églises

Jusqu’à récemment, l’engagement des Antillais dans les Églises se limitait essentiellement à la simple participation aux réunions et au domaine des services matériels. Ce fait n’est pas étonnant, car il reflète la position dans la société métropolitaine de la génération du BUMIDOM, qui fut une génération de service. Les choses commencent à changer, nous le verrons plus loin. Aujourd’hui, sans l’apport antillais, certaines Églises auraient de grandes difficultés à se maintenir. C’est le constat que je fais pour mon Union d’Églises, l’Alliance des Églises Évangéliques Interdépendantes. Les compétences pratiques antillaises ont joué un rôle déterminant dans plusieurs de nos efforts de construction de bâtiments. Très présents dans les différentes rencontres (agapes, prière…), dans les services pratiques, les Antillais trouvent au service du Seigneur dans son Église un accomplissement de soi. Vu le passé des Antillais, ce fait est important. Son identité de disciple de Christ lui permet de retrouver sa fierté, et son engagement dans la communauté lui permet d’enrichir l’autre.

Ils ne s'engagent pas dans les ministères de service par défaut. Les Antillais aiment rendre service, et encore plus quand il s’agit de l’œuvre de Dieu. Cet engagement dans le domaine pratique est vrai pour tous les niveaux sociaux et intellectuels de la communauté antillaise. Les Églises devraient honorer cet apport et le reconnaître à sa juste valeur. Cette reconnaissance sera bénéfique pour le « bien vivre ensemble », elle dynamisera l’engagement des Antillais et les poussera à progresser dans leur service pour Dieu. À ce propos, les responsables d’Église feront bien de se soucier de l’hétérogénéité des équipes, afin d'éviter l’impression que les ministères pratiques sont uniquement l’affaire des Antillais.

Malgré l’engagement actif et pointu du plus grand nombre, il y en a d’autres qui ont tendance à rester à la périphérie de leur communauté, en participant aux réunions de l’Église sans plus. Est-ce la peur de l’engagement qui les bloque ? Se sentent-ils incompétents pour un ministère ? Ont-ils l’impression d’être tenus à l’écart des grandes responsabilités de l’Église de peur que celle-ci ne devienne trop « foncée » ? Sont-ils tout simplement des « enfants dans la foi » qui ont besoin de progresser spirituellement ? Un travail d’entretien sera nécessaire pour faire évoluer ces chrétiens en disciples du Christ. L’Église devra aussi tenir compte de tous ses composants dans l’organisation de sa vie, et être ouverte au leadership antillais. Certains mouvements d’Église le font déjà. L’AEEI, par exemple, a depuis longtemps entrepris ce travail de bien mélanger les individus, Noirs / Blancs, dans les différents ministères. Ainsi, dans certaines de nos Églises, nous avons des équipes très hétérogènes. Je signale qu’aujourd’hui, l’AEEI comprend 30% d’Antillais environ.

 « Le bien vivre ensemble »

On ne peut parler d’apport antillais sans évoquer « le bien vivre ensemble ». Leur apport ne sera efficace et percutant que dans ce cadre. De quoi s'agit-il, si ce n’est partager les mêmes valeurs ? Les chrétiens évangéliques n'ont-ils pas les mêmes valeurs spirituelles en Christ ? Ils ont donc tous les atouts pour vivre et servir ensemble, pourvu que ces valeurs spirituelles transcendent les valeurs culturelles. Il ne s’agit pas ici de tomber dans un système basé sur l’oubli de ses origines. La France l’a utilisé pour l’intégration de ses colonies et des personnes venues d’ailleurs. Il est néfaste pour la personne humaine.

Ce « bien vivre ensemble » est un grand défi pour nos Églises multiculturelles. Comment mettre ensemble des personnes de races, de culture, de tradition, de couleurs différentes ? Comment les engager dans une même vie d’Église locale ? Cela est possible si chacun met en avant son identité en Christ pour accueillir l’autre comme le Christ l’a accueilli. Ces Églises sont en effet une belle représentation de ce qu’est le corps du Christ. Chacun doit être conscient de sa responsabilité dans ce programme voulu de Dieu.

Malheureusement, nombreuses sont les personnes blanches qui ont quitté leur Église locale parce que le pasteur était noir ou parce que l’Église elle-même était devenue majoritairement noire. Certains l’ont fait parce qu’ils ne voulaient pas être avec trop de Noirs. D’autres, étouffés par une présence antillaise trop prononcée à leur idée et peut-être pas assez attentive à leur égard, ont préféré trouver une Église locale où ils croyaient pouvoir mieux s’épanouir. Cette dernière démarche s'applique à certains Antillais qui ont quitté certaines communautés métropolitaines. Dans certains cas, ils ont été priés d’aller ailleurs.

Certains pasteurs blancs ou noirs ont volontairement appliqué une politique de « quotas » pour éviter que leur Église ne devienne trop foncée. Pour l’avoir vécu, celle-ci consistait à donner délibérément les tâches les moins en vue aux Noirs pour qu’ils ne soient pas un obstacle à l’évangélisation des Métropolitains, alors que ces Églises avaient un pourcentage d’Antillais assez conséquent. L’explication donnée fut la suivante : « Tu comprends, si les gens voient trop de Noirs sur l’estrade, ils seront choqués et ne reviendront pas… »

Je soulève sans doute un problème épineux, mais il convient de s’y atteler pour que Noirs et Blancs vivent et œuvrent ensemble pour la gloire de Dieu dans le corps du Christ en Métropole. N’est-ce pas le miracle de l’Église ? Au sein de nos Églises, l’Antillais comme le Métropolitain doit faire un travail pour s’accueillir mutuellement et vivre une vraie communion, sans arrière-pensée, dans le Seigneur. Cette communion ne doit pas se limiter au seul cadre des rencontres communes. Accepter d’inviter l’autre chez soi et le convier à pénétrer sur son territoire privé le temps d’un dialogue sont déjà de grands pas. Pour cela, l’attachement à l’autre, à la manière de Ruth à Naomi, est un bon exemple. Pour s’attacher, il y a toujours une démarche de détachement. Une réflexion personnelle pour voir les détachements possibles et nécessaires est primordiale, pour que naissent d’autres solidarités.

Une chose est sûre, la communauté antillaise de nos Églises a besoin de se sentir accueillie. L’accueil étant l’une de ses valeurs essentielles, elle peut être frustrée de ne pas l’être. Vu le rapport tronqué entre Blancs et Noirs, dans l'héritage de l’esclavage, les Antillais ont besoin d’être approchés, pris en compte, aidés si besoin, mis en confiance... et que l’on ne s’arrête pas à la couleur de leur peau et aux clichés reçus. Ceci est vrai d’autant plus que les Antillais de la Métropole vivent des temps difficiles et que les chrétiens antillais n’échappent à cette crise. Nos Églises doivent être pour eux une oasis de paix, en montrant leur différence par rapport à la société métropolitaine. Malheureusement cette différence n’est pas toujours nette.

L’accueil implique un rejet, de la part de l’accueillant, des clichés reçus et de tout racisme larvé. L'accueillant doit voir en celui qui vient d’ailleurs une richesse et un atout pour l’Église de la métropole. Et comme dit précédemment, ce travail doit être réciproque. Dans les Églises où les Antillais sont nettement majoritaires, ils doivent être vigilants à leur tour à l’égard des Métropolitains. Cette vigilance se résume par une attention de tout instant dans la façon d’être, de parler, d’organiser la vie de l’Église et de vivre en Église.

Certains chrétiens antillais doivent encore sortir de leur peur de s’engager. Ils ont besoin de travailler sur eux-mêmes afin de dépasser les préjugés et les a priori. Pour cela une prise de conscience de leur nouvelle identité en Christ est nécessaire. Par un comportement exemplaire, ils peuvent briser les clichés qui les stigmatisent. Pour cela, il faut oser en parler et leur expliquer, même si certains sont simplement à traiter avec humour. Dans le domaine pratique, un travail de sensibilisation, d’information et de formation doit être entrepris. Laissant de côté la peur et tout complexe d’infériorité, les uns et les autres doivent élargir leur cercle d’amitié dans les autres groupes de l’Église. Ce travail sera réussi si les autres groupes en face sont attentifs aussi à cette démarche.

Comment trouver l’équilibre ? C’est un travail en Église. Et c’est là que se manifeste la force de l’amour du Christ dans nos cœurs. Cet amour fait partie des valeurs spirituelles reçues en Christ.

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