Le poids de l'esclavage dans l'histoire des antilles françaises

Extrait Diversité culturelle 1 commentaire

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Le poids de l'esclavage dans l'histoire des antilles françaises

Quand on étudie l’histoire des Antilles françaises, on est surpris par le poids de l’héritage de l’esclavage dans cet espace géographique. Est-ce un passé qui ne passe pas ? Tout semble l’indiquer.
Il faut rappeler que l’histoire antillaise ne commence pas avec la découverte du Nouveau monde en 1492 par le navigateur Christophe Colomb. Encore moins avec l’installation coloniale au XVIIème siècle. Cet ensemble géographique était habité par des tribus indiennes qui ne nous ont pas laissé beaucoup de traces. On ne connaît les Indiens Arawaks que par ceux qui les ont anéantis, c’est-à-dire les Caraïbes, nom d’un autre peuple indien. Ces derniers nous ont laissé quelques vestiges qui nous éclairent sur leur civilisation. Le père Laba consacre plusieurs pages à décrire leur mode d’existence en Martinique et sur l’île de la Dominique, ancienne possession britannique. Il existe de nos jours, une communauté de Caraïbes présente sur l’île de la Dominique située à 60 kilomètres au sud de la Guadeloupe.

Quand la France entreprend la colonisation de la Guadeloupe et de la Martinique au XVIIème siècle, les premiers contacts entre colons et autochtones sont pacifiques. Mais la situation va très rapidement se dégrader et les deux communautés vont s’engager dans une guerre féroce qui aura pour conséquence la quasi-disparition de la population caraïbe.

Devenues possessions françaises par un jeu d’alliances et de traités entre nations européennes, les deux îles vont avoir une histoire symétrique. Le royaume de France accorde des licences à des compagnies. La Compagnie des Îles d’Amérique, dont l’un des principaux actionnaires n’est autre que le Cardinal de Richelieu, se donne une triple mission : d’abord la conquête territoriale, puis une mission de christianisation des « sauvages » et enfin, l’établissement de colons sur une durée de vingt ans.

On défriche, avec le concours des engagés, c’est-à-dire des petits Blancs, repris de justice ou vagabonds, qui sont placés sous contrat. Ils sont tenus de travailler trois ans durant pour les colons, et, au terme de cette période, le contrat prévoit en leur faveur une concession de terre.

La première culture qu’on développe dans ces îles est le tabac, qu’on abandonne peu à peu au profit de la canne à sucre. Pour cultiver cette plante, les colons recourent à une main-d’œuvre servile dont plusieurs nations européennes trafiquent sur le continent noir. Ainsi se met en place un système esclavagiste promu à un long et sinistre avenir et qui va fortement marquer l’histoire de ces deux îles. Le père du Tertre, un des premiers témoins de la colonisation française dans les Antilles, note la présence des Noirs dès 1640. Dans les années 1660, leur nombre augmente sensiblement et dépasse celui des Blancs. Pour maintenir ce commerce il faut absolument justifier l’esclavage des Noirs.

JUSTIFICATIONS DE L’ESCLAVAGE DES NOIRS

Du XVII au XIXème siècle, les nations européennes vont avancer des justifications de différentes natures : morales, théologiques, juridiques, et scientifiques.

La justification théologique s’appuie sur le texte de Genèse 9.20-27. Noé a maudit Canaan fils de Cham, en déclarant qu’il sera esclave de ses frères. Les théologiens vont assimiler Canaan aux peuples africains lesquels devraient être esclaves des Européens. D’après l’historien O. Pétré-Grenouilleau, les musulmans ont été les premiers à avancer cette interprétation puis ils l’auraient exportée aux Européens.

Un colon du XVIIème siècle, Maurille de Saint-Michel affirmait le plus sérieusement : « Dieu a épandu les Européens dans l’Amérique, pour habiter les demeures des Américains descendus de Sem, et les descendants de Cham, qui sont nos Nègres africains, les y serviront ». Ironie de l’histoire, Bruno Chaunu disait dans un livre que le premier contact des esclaves Noirs avec le christianisme s’est effectué à bord des négriers, lesquels portaient des noms bibliques.

Concernant la justification juridique, elle, est à mettre en rapport avec le Code Noir. C’est un document assez monstrueux qui codifie l’esclavage. On y trouve une série de dispositions restrictives et coercitives à l’encontre des esclaves. Il prescrit au maître de nourrir son esclave, et il autorise l’esclave à recourir aux tribunaux contre le mauvais traitement du maître (art 26) Mais on sait qu’à tous les coups, le maître est disculpé, et l’esclave qui l’a dénoncé est livré à de sévères châtiments.

Parallèlement, le Code Noir renforce le pouvoir des maîtres. L’esclave y est perçu comme bien meuble, il peut donc faire l’objet de saisie au même titre qu’un meuble ou un animal. Des sanctions très sévères sont prises à l’encontre de l’esclave en cas de fuite. Par exemple, l’article 38 dispose :
« L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lis sur une épaule ; et s’il récidive une autre fois à compter pareillement du jour de la dénonciation, aura le jarret coupé et il sera marqué d’une fleur de lis sur l’autre épaule ; et la troisième fois il sera puni de mort ».
S’agissant de l’argument scientifique, il cherche à établir l’infériorité du Noir. Les retards techniques que l’on observe en Afrique « sont interprétés en termes d’arriération structurelle ». On considère que les peuples du continent noir sont restés durablement à l’écart des foyers de civilisation européenne ou asiatique. On pense à Gobineau, auteur de l’Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855) pour lequel le cerveau de l’homme noir serait plus petit que celui du Blanc.

CRITIQUES DE CES THÈSES

Les premiers à s’être insurgés contre l’esclavage sont les esclaves eux-mêmes. Ils ne sont pas restés inactifs en attendant que la liberté arrive. Ils ont été les premiers à prendre en main leur destin en contestant énergiquement le système esclavagiste qui les opprimait. Ils se sont battus courageusement pour arracher leur liberté. La révolte de Saint Domingue en 1791 reste l’exemple le plus significatif. Haïti est devenue ensuite la première République Noire en 1804. On se souvient aussi de la révolte des esclaves de l’ Amistad en 1839. Ces exemples nous montrent que les esclaves n’ont jamais acceptés leur sort. Nous pourrions sous ce registre évoquer le marronnage, les suicides d’esclaves, l’incendie des plantations qu’ils provoquaient… Les esclaves ont été soutenus par un vaste mouvement abolitionniste qui a vu le jour au XVIIIème siècle en Europe et qui s’est développé pour susciter l’adhésion d’une grande partie de la société française.

L’abolitionniste français, Victor Schoelcher apportera un démenti aux arguments scientifiques et anthropologiques qui établissaient l’infériorité des Noirs. Schoelcher déclare que les « annales les plus reculées conservent des traces tellement nombreuses du rôle initiateur que la race nègre joua autrefois dans le monde, qu’il est impossible de le révoquer en doute, à moins de déchirer l’histoire toute entière… » En s’appuyant sur le témoignage d’Hérodote et de Diodore de Cicile, il prétend que : « les hommes noirs furent les premiers civilisés ». Il poursuit sa démonstration en invitant les détracteurs des Noirs à les placer dans les conditions analogues aux leurs, afin qu’ils voient qu’ils sont capables de raisonnement et d’intelligence. Pour lui, en détruisant l’esclavage des Noirs on détruira du même coup « l’objection capitale dont leurs ennemis abusent contre eux ».

La Révolution française est l’événement majeur du XVIIIème siècle européen. Les bases de l’Ancien Régime sont alors anéanties, un discours « nouveau » se fait entendre : les hommes naissent libres et égaux en droit, les privilèges des seigneurs sont révolus… Pourtant, les idéaux de la Révolution française ne s’appliquent pas aux colonies françaises d’Amérique. En effet, la pression des colons empêche les révolutionnaires d’étendre leurs valeurs de justice et de liberté aux Noirs maintenus en esclavage dans les territoires relevant pourtant de la domination française. Il faut attendre 1794 pour assister à la première abolition de l’esclavage par la Convention. Mais cette expérience tourne court puisque l’esclavage est rétabli en 1802 par Napoléon Bonaparte.

En 1848, à la faveur de la révolution de février, le régime de Louis-Philippe s’effondre, le gouvernement provisoire de la République proclame l’abolition de l’esclavage dans toutes les possessions françaises. Les révolutionnaires de 1848 considèrent en effet, que l’esclavage est un attentat contre la dignité humaine, qu’en détruisant le libre arbitre de l’homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir, qu’il est enfin, une violation flagrante du dogme républicain : Liberté, Égalité, Fraternité. Citons un extrait du décret de l’abolition de l’esclavage : « Au nom du Peuple français, le Gouvernement décrète :
« Art 1er, l’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises… À partir de la promulgation du présent décret dans les colonies, tout châtiment corporel, toute vente de personnes non libres, seront absolument interdits… ».

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Auteurs
Eddy NISUS

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Commentaires

douzo yves armand dieudonne

14 May 2015, à 11:33

je suis ivoirien mais je désaprouve l idée de l esclavage je sais que xa fait mal.je compatit a votre douleur

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