La rencontre avec l’autre et ses enjeux : «Les Visites»

Extrait L'accompagnement et l'écoute

Cet article est le texte d’une intervention de Susan Clifton, psychologue, membre de l’équipe de l’École Pastorale, lors d’une session sur les visites en décembre 2008. Cette approche aidera à mieux comprendre difficultés et richesses de la relation à l’autre.

 

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La rencontre avec l’autre et ses enjeux : «Les Visites»

À chaque fois que nous rendons visite à quelqu'un, nous y allons avec tout ce que nous sommes, y compris notre personnalité, notre histoire, nos autres relations, et aussi ce que nous venons de vivre ce matin ou juste auparavant. En somme, nous y allons avec tout notre être et nos capacités relationnelles. Notre « personne » est notre « outil » premier.

Alors que nous sommes « blessés » par et dans nos relations avec autrui, c’est également par des relations saines et fiables que nous sommes fortifiés, édifiés, voire même « guéris ». Même s’il faut admettre que, malgré la meilleure volonté, nous ne vivrons jamais parfaitement nos relations, Dieu nous a créé des « êtres relationnels », avec le projet de nous faire grandir par nos rencontres avec d’autres. C'est un des moyens de grâce qui nous est donnés. Et de ce fait, l'enjeu relationnel est élevé dans nos communautés et notre ministère pastoral.

J'ai choisi de traiter 4 enjeux qui sont liés à la relation avec l'autre et particulièrement importants pour les visites pastorales.

I. L’ENJEU DE L’APPROFONDISSEMENT APPROPRIÉ D’UNE RELATION

Nous vivons des rencontres avec différentes personnes à des niveaux relationnels variés, à des niveaux plus ou moins profonds, avec des buts divers, et différents moyens personnels et relationnels. Chaque rencontre, chaque relation est unique.

C’est comme un « pas de deux », une danse où il faut se mettre au diapason l’un de l’autre, un « art » et pas une science… Puisqu’il faut deux personnes où chacune a sa part à jouer dans la relation, je ne peux pas la maîtriser, et l’autre non plus. On avance ensemble, donnant et recevant, toujours en chemin, et donc, toujours quelque part « fragile ».

Au fur et à mesure que nous allons vers l’autre et que nous passons du temps ensemble, nous nous ouvrons à la possibilité de nous connaître plus, mieux, plus profondément, et aussi au risque d’être mal compris, critiqué, rejeté, blessé…

Schématiquement, nous pourrions parler de 5 niveaux relationnels (avec des besoins et des buts différents…) :

1. échange de politesse
2. partage de faits (faire)
3. partage d'idées, d'opinions (penser)
4. partage des sentiments (ressentir)
5. authenticité, transparence.

Avec ce tableau, je voudrais faire quelques remarques générales concernant nos relations… Nous observons que :

1. L’approfondissement de la relation est lié à la communication verbale, mais aussi non verbale, par la présence, les projets communs, etc. (dans notre société actuelle, la solitude et l’isolement, les relations « virtuelles », ne l’encouragent pas toujours).

2. Chaque niveau comporte une implication de moi-même croissante par rapport au précédent, et entraîne un risque croissant d’être mal reçu, mal compris.
Approfondir une relation exige que je me dévoile, que je sois plus vulnérable, que j’enlève mon masque, etc.
Le risque relationnel réel ne peut jamais être écarté, mais plus le risque est grand, plus la récompense l’est aussi – car le potentiel de vraie communion augmente également.

3. On ne parle « d’intimité » qu’à partir du niveau 4. L’intimité relationnelle est liée à une vulnérabilité mutuelle, profonde, et appropriée.
Bien sûr, un couple va rechercher le niveau 5.
Pour les célibataires, mieux vaut connaître plus qu’une personne au niveau 5… sinon l’exclusivité peut devenir problématique. La forme d’exclusivité qui se vit dans un mariage ne peut exister dans « l’amitié », mais toute personne a besoin de vivre des relations profondes et authentiques.

4. Comme je l’ai dit, il s’agit d’un « pas de deux » – Il faut gagner le droit d’avancer plus loin. Si une personne avance trop vite ou saute des étapes, elle risque de marcher sur les pieds de l’autre. Il faudra reculer et reprendre la relation… Il faut « sentir » quand le moment est venu de progresser plus loin.

5. Plus on avance dans les niveaux, moins il y a de personnes avec qui l’on peut s’impliquer.
Pourquoi ?
• prix à payer,
• besoin de temps et d’énergie, cela représente du travail,
• également avoir le courage de se dévoiler et d’écouter,
• engagement solide, dans la durée,
• patience et tact, gagner la confiance de l’autre petit à petit, ne pas brûler les étapes.

6. Un niveau n’est pas « pire » qu’un autre. Nous avons besoin de relations à chacun d’entre eux. Chaque stade répond à des besoins différents : on se détend dans une relation plutôt superficielle, mais si on ne vit que de cette manière, il y a un sentiment de vide, d’isolement, d’insatisfaction.

7. La plupart du temps, c’est dans notre famille d’origine, ou dans nos relations primaires, que nous apprenons à communiquer. Donc, le niveau de communication prédominant, lié à notre famille, va être le niveau le plus « automatique » dans nos relations d’adulte avec les autres. Ce n’est pas une fatalité. Quand on en prend conscience on peut évoluer et changer, apprendre à se lier avec d’autres…

(Une difficulté à se lier avec l’autre peut être due à des blessures ou des carences – abandon émotionnel, attaques, sentiments niés, ou absence de modèles, d’aide, de présence – c’est à dire, soit des expériences négatives, soit absence d’expériences positives).

Et qu’en est-il pour le pasteur, le visiteur ?

Avec telle personne, dans telle situation, qu’elle est l’attitude appropriée ? Dans la visite pastorale, nous sommes dans le domaine de souci pastoral, de compassion, d’amitié, de partage, et non pas dans le soin ou l’accompagnement suivi. Mais nous ne sommes pas toujours non plus dans une relation réciproque. Quand il y a visiteur et visité, la position est plutôt asymétrique, et cela peut poser des difficultés.

• Si le pasteur/visiteur n’a pas d’amis proches dans l’Église, il peut se lancer de plus en plus dans la relation d’aide ou les visites, sans se rendre compte que finalement il y cherche une profondeur qui lui manque dans sa propre vie. Il y a danger à trouver l’intimité dans ce rôle, ou au pire, dans une sorte de voyeurisme.
• Dans le domaine de la visite, nous sommes parfois appelé à « sauter » les étapes et aller rapidement vers quelque chose d’intime de niveau 4 ou même 5… un drame, une mort, une maladie, des pertes… Le pasteur/accompagnateur, se retrouve au milieu des larmes, des cris, des angoisses, des peurs, et de la confusion. Il y vit quelque chose d’intense, de profond, presque d’instantané, et plus tard, cela peut rendre difficile une relation à un niveau inférieur, et pour lui, et pour la personne visitée. Quand on a montré son côté vulnérable, son côté sombre ou fragile, on se demande si on va retrouver la possibilité d’être regardé autrement, ou même d’aller bien !

Par exemple, si un jeune pasteur visite une personne âgée de l’Église, il peut se demander si elle s’attend à ce qu’il parle de sa mort ? Doit-il lui proposer d’en discuter ? Peut-être qu’elle aimerait bien aborder le sujet, mais n’ose pas, et espère qu’il l’aide. Il faut beaucoup de sensibilité ! Il faut tendre des perches, et voir comment l’autre répond, mais sans forcer l’interlocuteur. Si on écroule les murs de protection de la personne visitée, cela peut être très déstabilisant. Offrir son aide, inviter au dialogue, et respecter le rythme de la personne sera une attitude essentielle.

TRAVAIL :

Réfléchir d’abord seul à vos relations actuelles… car ce que vous vivez sur le plan relationnel aura un impact sur votre ministère en tant que visiteur.

1. Quel était le niveau prédominant d’échanges dans votre famille d’origine ? Quels effets en voyez-vous dans votre vie aujourd’hui ?
2. Qui mettriez-vous dans les différents cercles de votre vie aujourd’hui ? Avez-vous des relations aux niveaux 4 et 5 ? Si oui, avec qui ? Seulement avec votre conjoint ? …ou seulement avec ceux qui viennent se confier à vous ou que vous visitez ? Si vous n’en avez pas, pourquoi ?

Et puis par petits groupes de 3 :

1. Prenez quelques minutes pour partager vos réflexions sur les deux questions personnelles posées ci-dessus.
2. Puis témoignez d’une difficulté, d’un encouragement, ou d’une question par rapport à ces différents niveaux relationnels dans votre ministère actuel… visites, groupe de maison, etc.

Dans toute cette réflexion par rapport aux niveaux de profondeur relationnelle, il y a toujours besoin de sagesse, de maturité, et de discernement pour trouver ce qui est approprié à chaque situation.

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Auteurs
Susan CLIFTON

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