La mission par débordement (Jn 15.1-17)

Complet La mission

Le texte ci-après est une conférence apportée lors du Centre évangélique (CEIA), le mardi 29 novembre 2022. La commande était d’offrir une étude biblique sur le sujet de la mission de l’Église. Se basant sur un texte bien connu de l’évangile selon Jean, l’auteur a choisi de se concentrer sur ce qui, en préalable à la mission, la nourrira, la rendra possible et fructueuse. En tant que texte de conférence, il garde certaines marques d’oralité.

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Mission par débordement Introduction

Le titre donné à cet exposé biblique peut paraître étonnant, voire étrange, en tout cas assez énigmatique, je l’admets volontiers. Ce qu’il tend à signifier, c’est tout simplement que la mission de l’Église « déborde » de l’Église elle-même ; qu’afin d’être missionnaire, et de l’être efficacement – dans la logique biblique – l’Église doit être au préalable remplie ; qu’elle fait œuvre missionnaire en débordant… non pas de son trop-plein, et certainement pas de son superflu, mais néanmoins en débordant de toutes les bénédictions spirituelles que Dieu lui donne en abondance dans sa grâce infinie.

Comme le grand missiologue britannique, Lesslie Newbigin, le disait :

« La mission commence par une sorte d’explosion de joie : la nouvelle selon laquelle Jésus, rejeté et crucifié, est vivant est une chose qui ne peut pas possiblement être ni ralentie, ni stoppée. »

Ou encore :

« La mission de l’Église dans les pages du Nouveau Testament est comme les retombées d’une vaste explosion : des retombées radioactives qui ne sont pas mortelles mais qui donnent la vie. »

Il y a dans ces images (l’explosion de joie, les retombées radioactives vivifiantes) le sentiment que l’Église est censée être en ébullition, et que sans cette ébullition, il ne peut y avoir de mission vers l’extérieur. Mission d’annonce de l’Évangile, en parole avant tout, mais aussi en actes, bien évidemment. Lesslie Newbigin touche là du doigt une réalité fondamentale de la mission de l’Église.

Afin de creuser cette thématique de la « mission par débordement », l’évangile selon Jean sera notre compagnon. Ce choix, pour certains, pourrait pourtant paraître étonnant. En effet, l’évangile selon Jean a souvent été décrié car trop « sectaire », dans le sens d’un groupe religieux, isolé du monde, renfermé sur lui-même, « haï » par, et donc rejetant à son tour, son environnement social. Ce qui a fait dire cela à certains critiques, c’est bien sûr une lecture trop rapide et peu attentive aux dynamiques internes de cet Évangile. Cela dit :

  • Il est vrai, bien sûr, que le langage utilisé par Jean à travers son Évangile peut sembler à première lecture très « dualiste » : le bien et le mal, la vérité et le mensonge, la lumière et les ténèbres, les croyants et le monde, la vie et la mort, la foi et l’incrédulité. Jean donne parfois l’impression de diviser le monde en deux parties trop opposées l’une à l’autre, comme s’il n’existait pas d’entre-deux, de degrés, de nuances.
  • De plus, il est vrai aussi que le quatrième évangile insiste fortement sur la qualité de la vie au sein de la communauté de foi. Notre évangéliste souligne l’importance de la fraternité, de l’amour dans, et de l’unité de la communauté. Il insiste également sur le devoir de s’aimer « les uns les autres », là où les évangiles synoptiques appelaient à l’amour du prochain, l’amour de celui qui n’est pas moi, qui n’est pas comme moi.

Mais justement, j’aimerais démontrer que si Jean insiste tant sur la qualité de la vie au sein de la communauté de foi, au sein de l’Église, ce n’est pas – et bien au contraire – pour que l’Église se satisfasse d’elle-même ; ce n’est pas – et bien au contraire – pour qu’elle s’autonomise et apprenne à se suffire à elle-même ; ce n’est pas – et bien au contraire – pour qu’elle se recroqueville et devienne moribonde. Non, c’est l’inverse ! C’est parce que sa vocation est à l’ouverture au monde, l’amour du monde, c’est parce que sa vocation est celle du témoignage au monde, que Jésus, en Jean, enjoint ses disciples à demeurer en lui. Pour Jean, cette double emphase, la qualité de la vie de la communauté et sa mission, demeurer et aller, ne représente pas tant un équilibre qu’il faudrait entretenir tant bien que mal, que les deux faces d’une même pièce : il est possible de les distinguer, mais jamais de les séparer l’une de l’autre.

Cependant, l’une est première. Demeurer est premier. Cette face est le fondement de l’autre. Sans elle, la mission est vouée à l’échec. Mais en demeurant, et en demeurant toujours, alors l’Église débordera pour rejoindre le monde.

Avant d’aller plus loin et d’expliquer davantage cette dynamique, le texte de Jean 15.1-17 mérite d’être lu.

« C’est moi qui suis la vraie vigne, et c’est mon Père qui est le vigneron. Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l’enlève ; tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant, pour qu’il porte encore plus de fruit. Vous, vous êtes déjà purs, à cause de la parole que je vous ai dite. Demeurez en moi, comme moi en vous. Tout comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s’il ne demeure dans la vigne, vous non plus, si vous ne demeurez en moi. C’est moi qui suis la vigne ; vous, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi, comme moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit ; hors de moi, en effet, vous ne pouvez rien faire. Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment et il se dessèche ; on ramasse les sarments, on les jette au feu et ils brûlent. Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voudrez, et cela vous arrivera. Mon Père est glorifié en ceci : que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez mes disciples. Comme le Père m’a aimé, moi aussi, je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure dans son amour. Je vous ai parlé ainsi pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète. Voici mon commandement : que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés. Personne n’a de plus grand amour que celui qui se défait de sa vie pour ses amis. Vous, vous êtes mes amis si vous faites ce que, moi, je vous commande. Je ne vous appelle plus esclaves, parce que l’esclave ne sait pas ce que fait son maître. Je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai entendu de mon Père. Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et institués pour que, vous, vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure ; afin que le Père vous donne tout ce que vous lui demanderez en mon nom. Ce que je vous commande, c’est que vous vous aimiez les uns les autres. »

La communauté divine

Ce qui est particulièrement frappant dans ce texte, c’est combien il présente un Dieu relationnel (ce qui est, soit dit en passant, un aspect tout à fait central de la théologie johannique). Comme nous allons le voir, cette idée maîtresse de la théologie johannique est, en fait, ce sur quoi se base la mission, selon Jean.

En quoi Dieu est-il un Dieu relationnel ? Premièrement, dans notre évangile, le Père et le Fils ne font qu’un ; ou plutôt, ils « demeurent » l’un avec l’autre et l’un dans l’autre. Jésus disait par exemple à Philippe en Jean 14.10 :

« Ne crois-tu pas que, moi, je suis dans le Père, et que le Père est en moi ? Les paroles que, moi, je vous dis, je ne les dis pas de ma propre initiative ; c’est le Père qui, demeurant en moi, fait ses œuvres. »

De plus, le Père et le Fils s’aiment l’un l’autre, « mais c’est pour que le monde sache que j’aime le Père et que je fais ce que le Père m’a commandé », disait Jésus en 14.31. L’amour que le Père et le Fils se portent l’un l’autre est bien sûr constitutif de leur communauté.

Et puis, le Père et le Fils partagent l’un avec l’autre : « Le Père aime le Fils et il a tout remis en sa main », dit Jésus en Jean 3.35. Le Père et le Fils partagent ensemble, de toute éternité, et le Fils témoigne de cela. Il dit ce qu’il sait, ce qu’il connaît du Père parce qu’il est un intime du Père. Il témoigne de ce qu’il voit du Père, parce qu’il est un proche du Père : « Amen, amen, je te le dis, nous disons ce que nous savons, et nous témoignons de ce que nous avons vu », disait Jésus à Nicodème (Jn 3.11).

Sur ces bases, on peut clairement parler de Dieu comme d’ « une communauté d’amour et de biens ». Une communauté d’intimité et de partage.

Une communauté divine ouverte

Ainsi, la Trinité est relationnelle en son sein. Mais, ô mystère et merveille, cette communauté divine n’est pas fermée sur elle-même. Au contraire, elle s’ouvre sur le monde, le monde des ténèbres, du péché et de la mort. Le monde qui rejette Dieu :

« Dieu a tant aimé le monde – le monde incrédule, le monde qui vit dans les ténèbres de la mort et du péché – qu’il a donné son Fils unique afin que quiconque croit ne meure pas, mais qu’il ait la vie éternelle. » (3.16)

Oui, la communauté divine s’ouvre sur le monde pour l’intégrer dans son cercle d’amitié, dans son cercle d’amour, de vérité et de vie.

Tel est le projet de Dieu. Le Père envoie le Fils, puis l’Esprit est envoyé par le Père et le Fils, pour révéler qui est Dieu (1.18), et pour convaincre de le rejoindre. Pour que les humains puissent le rencontrer et partager la vie de la communauté divine : la connaissance de Dieu, une relation avec lui. « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent. » (17.3) Et ce texte que nous avons lu en Jean 15 dit bien cela :

« Comme le Père m’a aimé, moi aussi, je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. […] Je vous ai parlé ainsi pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète. […] Je ne vous appelle plus esclaves, parce que l’esclave ne sait pas ce que fait son maître. Je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai entendu de mon Père. »

Dans ce texte, nous découvrons une communauté divine, ô combien relationnelle, en son sein propre, mais aussi une communauté à laquelle les disciples (les croyants) sont appelés à se joindre pour y participer. Ils y sont invités. La communauté divine est une communauté accueillante, ouverte à ceux qui désirent la rejoindre.

L’amour du Père pour le Fils est un amour que le Fils étend à ses disciples pour qu’ils y participent. C’est, très clairement, un privilège immense qui leur est donné : celui de participer à l’amitié divine, celui d’être invités, en tant qu’amis, dans le cercle de la Trinité. Les disciples sont les amis de Dieu.

Dans le monde ancien, l’amitié était considérée comme une relation très forte et peu commune. On ne l’offrait pas facilement. Des traités entiers ont été écrits sur le sujet, notamment par Aristote et Cicéron. Et ces traités démontrent que l’amitié était une relation basée sur la vertu, sur l’égalité, la similarité de caractères et d’intérêts. Les vrais amis devaient partager leurs joies et leurs tristesses, se soutenir mutuellement, mais aussi s’abstenir de flatteries indignes pour faire le choix de l’honnêteté et de la vérité. Cette loyauté, cette affection, signifiait qu’un ami était quelqu’un pour qui on était prêt à se donner entièrement, à suivre jusqu’à l’exil si nécessaire. Un ami était quelqu’un pour qui on était prêt à mourir. C’était donc clairement une relation forte, intime, impliquant de nombreux bénéfices, mais aussi des obligations. Et c’est bien ce type de relation, belle et exigeante à la fois, que Jésus invite ses disciples à partager avec lui : « Vous, vous êtes mes amis. » (15.14) Or, tout comme « personne n’a de plus grand amour que celui qui se défait de sa vie pour ses amis » (15.13), Jésus a démontré qu’il prenait cette relation au sérieux, allant jusqu’au bout de cette amitié, en se donnant pour ses disciples, par amour pour eux, sur la croix.

Néanmoins, si Jésus se fait l’ami des disciples, il reste souverain, maître. En effet, il les appelle à rentrer dans une relation d’amitié dans laquelle les disciples doivent « garder son commandement ». Mais ces deux types de relations ne s’excluent pas mutuellement. L’obéissance que Jésus demande à ses disciples n’a rien à voir avec l’obéissance aveugle qu’un maître autoritaire demanderait à ses esclaves apeurés. Non, dans ce cercle d’amitié, les disciples deviennent des serviteurs qui sont aussi des amis, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas gardés dans l’obscurité quant aux intentions de leur maître, qui est aussi ami. Ils connaissent ce maître intimement et ils savent que ce qu’il leur demande est juste et bon. Ils reconnaissent que c’est avant tout une relation d’amour qu’il veut entretenir avec eux et qu’il n’y a rien d’oppressif dans celle-ci.

D’ailleurs, le commandement que Jésus donne par deux fois à ses amis dans notre passage, « Aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés » (15.12,17), appuie clairement ce point. Jésus, qui a été l’ami fidèle des disciples, qui les a aimés jusqu’au bout, les invite à se greffer à cet amour et à le mettre en pratique à leur tour en se donnant pour l’autre, en élevant l’autre, le valorisant et le servant. Maintenant qu’ils font partie de la communauté d’amitié de Dieu, Jésus désire que ses amis aient les uns pour les autres un amour aussi radical et généreux que l’amour qu’il a pour eux. Jésus élargit son cercle d’amitié pour que les disciples apprennent à vivre dans une communauté marquée par la réciprocité de l’amour.

Demeurez dans mon amour

Un verbe, dans le texte de Jean 15, apparaît à une fréquence assez remarquable : 11 fois en 17 versets ! C’est le verbe « demeurer ». « Demeurez en moi et moi en vous » ; « Demeurez dans mon amour » ; etc. Oui, clairement, la communauté divine, qui s’est ouverte aux disciples pour qu’ils y participent, est une communauté d’amis dans laquelle les disciples doivent rester, demeurer.

Jésus, en expliquant à ses disciples qu’ils ont été admis dans le cercle d’amitié composé jusqu’alors du Père, du Fils et de l’Esprit, les enjoint maintenant à rester, à demeurer dans une telle communion. À demeurer comme le Fils demeure dans l’intimité du Père, en posant sa tête sur son sein. À demeurer comme le disciple bien aimé demeure dans l’intimité du Fils quand il repose sa tête sur son sein. Demeurer dans l’amour de Dieu, l’expérimenter, le vivre, le voir, le toucher d’une certaine façon. Voilà ce qu’un auteur décrit comme le mode basique de l’existence chrétienne. Demeurer, c’est rester en Christ jusqu’au bout, jusqu’à la fin. Mais bien plus, demeurer c’est habiter avec, puiser sa vie et sa subsistance de Dieu lui-même. C’est être rempli encore et toujours de sa présence, de sa Parole, de son enseignement, de son amour, de sa grâce, de son intimité… Être là, disponible, présent à Dieu comme il est présent à nous…

En fait, comme le remarque l’exégète Craig Koester, ce terme « demeurer » est si plaisant que l’on pourrait s’y complaire. Ce terme et ses connotations sont si plaisants qu’on serait presque tentés de demeurer en Dieu comme on demeure dans un cocon douillet. Dans un canapé de luxe, au confort inégalé, pour s’y reposer, voire s’y divertir…

Demeurer pour aller

Mais non. Non, car faire cela serait se tromper, très clairement, sur les intentions de Dieu pour la communauté de vie qu’il forme en lui.

Car bien sûr, cette communauté formée en lui, à son invitation, est une communauté appelée à « porter du fruit ». C’est le sens de l’image de la vigne (Jean 15.1-8). Dans la littérature biblique, la vigne – comme l’olivier ou le figuier – symbolise Israël, le peuple de Dieu. Et si Jésus est la vraie vigne, c’est donc parce qu’il est le véritable représentant d’Israël, celui qui fait pour Israël ce qu’Israël ne pouvait pas faire lui-même. Il est la vigne qui porte du fruit, qui accomplit la volonté de Dieu dans et pour le monde. Mais à Jésus, le cep, sont attachés les sarments, c’est-à-dire les disciples, le peuple que Dieu forme en lui. Il est donc absolument essentiel de comprendre que cette image de la vigne, du cep et de ses serments, encourage non seulement l’attachement, l’unité, l’union, l’intimité, mais qu’elle sert aussi (et surtout) l’enseignement selon lequel les disciples doivent porter du fruit. Ils doivent porter du fruit, sans quoi ils seront retranchés par le vigneron.

Tout comme n’importe quel vigneron sait combien les branches qui ne portent pas de fruits ne servent pas à grand-chose, il sait aussi que, quand un sarment a une relation saine avec le cep de la vigne, c’est alors qu’il peut porter du fruit. La raison d’être de ces branches, bien sûr, c’est de porter du fruit.

Ainsi, l’insistance dans l’évangile selon Jean sur la qualité des relations au sein de la communauté divine, ne promeut pas du tout une communauté sectaire ou renfermée sur elle-même. C’est tout le contraire : l’amour de Dieu, et l’amour mutuel, sont porteurs de vie, propagateurs de vie. Pas seulement au sein de la communauté divine, incluant maintenant les disciples, mais au-delà. Le Dieu relationnel qui s’ouvre au monde continue de le faire en utilisant à cette fin les disciples, maintenant les croyants, l’Église, qui doivent aller témoigner de la vérité de Jésus-Christ pour inviter ceux qui vivent dans les ténèbres à rejoindre le cercle élargi de l’amitié divine.

Amour et unité

D’autres passages de l’évangile selon Jean, éclairent aussi ce point. En voici deux exemples :

« Je vous donne un commandement nouveau : que vous vous aimiez les uns les autres ; comme je vous ai aimés, que vous aussi vous aimiez les uns les autres. Si vous avez de l’amour les uns pour les autres, tous sauront que vous êtes mes disciples. » (Jn 13.34-35)

« Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous, nous sommes uns, moi en eux, et toi en moi, pour qu’ils soient accomplis dans l’unité et que le monde sache que c’est toi qui m’as envoyé et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. » (Jn 17.22-23)

Dans ces deux passages, l’amour et l’unité sont présentés comme les fondements de la mission que Jésus confie aux disciples. C’est sur leur base, et sur leur exercice, dans la communauté de foi, que « le monde » sera interpellé et attiré vers Dieu. C’est sur leur base et leur exercice que les disciples pourront représenter Dieu dans le monde. Ainsi, Jean décrit une communauté de foi débordant d’elle-même. La vie de la communauté n’est jamais restreinte à la communauté, elle se déverse dans le monde.

Mais attention : si l’amour et l’unité des disciples sont fondamentaux et irremplaçables, ils ne constituent évidemment pas, en eux-mêmes, la mission des disciples. Non, ces deux piliers que sont l’amour et l’unité doivent obligatoirement être accompagnés d’un « aller ». C’est aussi ce qu’a déclaré Jésus en 15.16 : « C’est moi qui vous ai choisis et institués pour que vous, vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure. » Et plus encore, les disciples sont aussi envoyés dans le monde avec un message. En 17.20, Jésus dit : « Ce n’est pas seulement pour ceux-ci que je demande, mais encore pour ceux qui, par leur parole, mettront leur foi en moi. » Les disciples sont donc envoyés avec une parole à partager, à proclamer. Un témoignage.

Demeurer, oui, encore et toujours. Mais aussi « aller ». Aller témoigner de la vérité de Jésus-Christ, à sa suite et accompagnés de la puissance de l’Esprit, du Paraclet qui convainc de jugement, de justice et de péché. Voilà comment Jésus a encouragé ses disciples avant de retourner vers son Père : « Et vous rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement. » (Jn 15.27)

Conclusion

Il m’a semblé important, intéressant peut-être aussi, d’insister sur cette apparente contradiction, cette dualité : demeurer et aller. Demeurer pour aller. Demeurer en allant.

Mais pourquoi ? Pourquoi choisir d’insister sur ce point ? Pour rappeler, tout simplement, que la relation à Dieu prime sur la mission qu’il nous confie. Je conclurai en donnant trois raisons qui me font avancer cette idée :

  1. Tout d’abord, si la relation à Dieu prime sur la mission qu’il nous confie, c’est parce qu’avant d’être « missionnaires », nous sommes des amis de Jésus. Notre mission est une émanation de cette amitié. Dieu ne nous confierait pas de mission si nous n’étions pas des intimes. Il ne nous ferait pas confiance pour le représenter dans ce monde, pour témoigner de lui, si nous ne nous aimions pas mutuellement, si nous n’étions pas amis. Cette relation qui nous unit est donc en soi la condition sine qua non de la mission de témoignages des disciples que nous sommes.

  2. Deuxièmement, si la relation à Dieu prime sur la mission qu’il nous confie, c’est parce que le jour vient où nous n’aurons plus à être témoins de Christ. Le jour vient où notre message n’aura plus lieu d’être. En effet, le jour vient où la connaissance de Christ aura rempli toute la terre. Le jour vient, pour reprendre une expression de Paul, où « Dieu sera tout en tous ». Alors, nous le célébrerons, mais nous n’aurons plus à le faire connaître. Et ceci signifie quelque chose qui me semble fondamental : la mission n’appartient pas à l’être même de l’Église. Non, la mission fait aujourd’hui partie intégrante de sa vie, mais là où la mission cessera, dans la nouvelle création, l’Église, elle, continuera éternellement.

  3. Et enfin, et peut-être de façon plus « pratique », se souvenir que la relation à Dieu prime sur la mission qu’il nous confie, c’est aussi se souvenir que, si nous ne nous nourrissons pas de Dieu, de son intimité et de son amour, notre mission est vouée à l’échec. Je le vois autour de moi. Des gens s’activent, ils s’affairent. Ils œuvrent. Ils veulent (à juste titre) témoigner de Christ, de son amour et de sa grâce. Ils veulent aussi être les bras, les mains, et les pieds de Jésus lui-même dans un monde qui ne connaît pas Dieu. Et il est beau, et il est sain cet « élan missionnel ». Mais si l’Église n’apprend pas à se ressourcer, à demeurer sur le sein de Christ, alors l’Église va se vider, s’épuiser. Elle va se perdre dans l’activisme. Par contre, si elle demeure ancrée en Dieu, elle pourra aller.

Que le Seigneur, dans son amour, nous garde en lui. Que nous apprenions à demeurer toujours davantage en lui et lui en nous, pour pouvoir déborder de son amour et de sa joie dans notre monde. Clairement, mieux nous demeurerons, et plus nous déborderons.

Auteurs
Nicolas FARELLY

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