Les sectes, l'état de la question dans notre société

Complet Les sectes

Malgré l’ampleur du titre nous ne chercherons qu'à introduire la question en rappelant certains points et en soulignant de quelle manière ils peuvent concerner des Eglises comme les nôtres.

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Les sectes, l'état de la question dans notre société

I - Quelques rappels et évidences

1) Les mots et la société

La "secte" est à la fois un gros mot et un danger véritable dans une société déstabilisée et qui est à la recherche de repères.

Loin de définir de manière objective et sereine une certaine catégorie d'associations ou de groupes à caractère religieux, le mot secte est avant tout péjoratif. Il relève principalement de l'injure et de l'agressivité. Dans ce sens tout groupe traité publiquement de secte est disqualifié.

Les conditions qui sont favorables à l'éclosion les sectes et à leur développement sont souvent celles même que beaucoup considèrent favorables à l'évangélisation. On le voit bien dans l'Europe de l'Est où le chaos favorise la demande religieuse. La nouveauté et les moyens financiers attirent beaucoup de monde et suscitent la réaction parfois violente et compréhensible des Eglises traditionnelles qui se sentent noyées sous les dollars.

Périodiquement, une vague ante secte domine l'actualité. Généralement, elle suit l'annonce, très médiatisée d'un drame ayant pour origine ou cause directe le phénomène sectaire. Il semble alors que les sectes deviennent pour un temps une sorte de bouc émissaire de tous les maux de la société N'oublions pas, par ailleurs, que nous sommes en France. Pour la culture catholique qui est celle de notre pays, "I'Eglise" est au singulier. Pour beaucoup, tout ce qui n'est pas l'Eglise catholique est donc suspect. Plus la personne est éloignée de la pratique religieuse et plus cette approche est fréquente. D'autre part, toute Eglise et toute foi peuvent être sectaires pour le courant rationaliste qui est une autre des grandes composantes de notre pays.

Si dans les Eglises protestantes reconnues, on peut dire qu'il n'y a pas de sectes, reconnaissons qu'il peut y avoir des tendances sectaires réelles. Il s'agit d'une pathologie qui peut toucher toute foi ou toute Idéologie structurée (marxisme ... ). Reconnaissons enfin que ce sont les Eglises qui ont le souci d'une droite théologie et d'une forte spiritualité qui peuvent être tentées et touchées. C'est donc, au sein du protestantisme, le courant évangélique qui court le plus de risques d'être accusé à tort... ou parfois à raison ?

2) Le rapport parlementaire

Une commission d'enquête sur les sectes, présidée par Monsieur Alain Gest et dont le rapporteur était Monsieur Jacques Guyard, a donné dans son rapport un état Intéressant, quoique discutable sur certains points, de la manière dont le phénomène est aujourd'hui perçu, principalement par les pouvoirs publics.

Le rapport souligne que les sectes ne peuvent avoir en France une définition juridique à cause de la laïcité. Comment alors définir le phénomène? Le terme lui-même apparaît dans notre langue vers les 13 ou 14ème siècles. On ne peut se prononcer entre deux racines latines: l'une qui signifie "suivre" et l'autre "couper". D'où une approche positive lorsque l'on parle par exemple des "sectes bouddhistes" au simple sens d'écoles de spiritualité, ou négative qui signifie alors la séparation de la vraie Eglise.

L'approche sociologique nous permet également d'avancer vers une compréhension plus précise. Max Weber distinguera l'église de la secte. La première est une Institution de salut qui privilégiera avant tout l'extension de son influence. Alors que la secte est un groupe lié par contrat qui met l'accent sur l'intensité de vie de ses membres. Dans ce sens. il est clair que les Eglises de professants répondent à la définition sociologique de la secte.

Cette définition sera encore précisée par Troeltsch. L'église selon lui, est une institution qui s'adapte et passe des compromis avec les états, alors que la secte se retire de la société globale et refuse le dialogue. Il faut noter qu'une adaptation moderne de cette dimension fonctionne à partir de l'oecuménisme. Ainsi, un groupe est il souvent considéré comme plus ou moins sectaire en fonction de son ouverture et de ses relations avec les Eglises les plus officielles. Mais ne nous y trompons pas, certaines sectes se veulent extrêmement ouvertes pour raison de notoriété (par exemple, la scientologie).

L'approche finalement choisie sera, dans le rapport, celle de la dangerosité. Celle ci sera fondée sur un certain nombre d'éléments qui peuvent se recouper. La déstabilisation psychologique, l'allégeance inconditionnelle, la diminution de l'esprit critique, la rupture avec les références admises. Tout ceci pouvant entraîner des dangers pour la liberté, la santé, l'éducation, la démocratie... Il est certain qu'il est parfois difficile de tracer une frontière nette entre un fonctionnement légitime et sa déformation dangereuse.

Les critères essentiels qui, dans le rapport, permettent d'évaluer cette dangerosité sont les suivants: déstabilisation mentale, caractère exorbitant des exigences financières, rupture Induite avec l'environnement d'origine, atteinte à l'intégrité physique, embrigadement des enfants, discours plus ou moins antisocial, trouble àl'ordre public, Importance des démêlées judiciaires, détournement des circuits économiques traditionnels, tentative d'infiltration des pouvoirs publics.

3) Risques de confusion et risques de dérapages

Il est clair que nombre de ces critères sont subjectifs et dépendent de la manière dont on apprécie une expérience. Toute expérience spirituelle forte et toute conversion en particulier risquent d'être interprétées en terme de déstabilisation mentale. L'incitation à donner la dîme pourra facilement être considérée comme une exigence exorbitante. La conversion risque de susciter une certaine rupture d'avec les habitudes acquises et parfois le milieu ancien... Un regard soupçonneux peut Interpréter les écoles du dimanche ou l'enseignement biblique comme une forme d'embrigadement des enfants. Quant aux démêlées judiciaires, encore faut il savoir sur quoi elles sont fondées et ce qu'il y avait de réel derrière.

La commission semble d'ailleurs avoir été consciente de ces risques et c'est le recoupement de ces divers critères qui peut servir de signal d'alarme.

Compte tenu de ces restrictions. reconnaissons cependant qu'il peut effectivement y avoir parfois, jusque dans nos Eglises, des détournements de pratiques saines qui sont le fait de personnes généralement parfaitement sincères, mais sans grande formation et ne sachant pas résister aux tentations du ministère, particulièrement celles du pouvoir. Les critères choisis par la commission peuvent nous aider à examiner nos activités.

L'évangélisation est autre chose que le prosélytisme ou la manipulation ; prêcher sur la dîme impose de laisser entière la liberté des membres et de se garder de tout risque de culpabilisation légaliste; la conversion n'implique certes pas le rejet du monde dans son ensemble conçu comme tout ce qui est extérieur à l’Eglise ; l’éveil des enfants à la foi est tout autre chose qu’un endoctrinement. etc.

II - Discerner la tentation sectaire

1) Définir la tentation

La tentation sectaire peut être définie comme une pathologie du religieux. Tout groupe, toute Institution religieuse risque effectivement de glisser sur cette pente et l'histoire, comme l'actualité sont pleines d'exemples risibles ou dramatiques. Nous voudrions essayer de cerner d'un peu plus près les trois "lieux" qui nous semblent particulièrement propices à l'éclosion de ce risque.

1.1) Le repli du groupe sur lui même (isolement)

Le "monde" est mauvais, entièrement voué à la perdition à l'exception des adeptes. La mentalité qui se développe est celle de la citadelle assiégée.

A partir de là, la distance d'avec la réalité ne peut que grandir au fur et à mesure que l'on pénètre plus profondément dans le groupe. Le réel est interprété à travers le filtre déformant de l'interprétation reçue et constitutive du groupe. La déformation ne peut que se développer, car toute tentative de remise en question de cette interprétation est immédiatement diabolisée. Cette inaptitude progressive au dialogue et à la remise en question semble une des marques distinctives de l'enfermement sectaire.

1.2) La dépendance du gourou (pouvoir)

Il faut être conscient que cette dépendance répond à un besoin humain, celui de la personne providentielle qui aura les réponses, les solutions à tous nos problèmes. La remise de toute réflexion et de toutes nos responsabilités entre les mains de quelqu'un est le souhait de beaucoup, particulièrement en période de déstabilisation idéologique. La valorisation de la "vertu d'obéissance" facilite une confiance aveugle.

Le maître en question peut parfois être un escroc qui va organiser ce conditionnement en vue de satisfaire ses désirs (argent, pouvoir, etc). Mais Il peut aussi être sincère, au moins en grande partie. On assiste alors à l'imbrication de deux pathologies complémentaires, celle de la volonté de pouvoir et celle du besoin de dépendance.

1.3) La doctrine exclusive et totale (refus de tout esprit critique)

Ce qui a été dit du gourou peut l'être, dans certains groupes, de la doctrine. Tout est expliqué, le monde et ses fins dernières. Tout est écrit, donné dans un enseignement qui nous est certifié infini et parfait. Ce que je ne sais pas encore, je pourrai l'apprendre. Il ne me reste qu'à me laisser porter et à assimiler toujours plus et mieux la doctrine reçue.

L'exercice de la raison est souvent fortement critiqué comme exercice d'un orgueil inacceptable. Même en l'absence de gourou unique ou repéré, il existe le plus souvent des interprètes autorisés de cette doctrine. Ainsi, si c'est un livre qui sert d'autorité suprême, c'est en fait l'interprétation reçue par le groupe et non le texte qui a autorité car toute instance critique ne saurait être acceptée. Elle risquerait en effet de remettre en cause le caractère absolu et intouchable de la doctrine reçue.

2) Dans les Eglises évangéliques ?

2.1) Le danger d'étroitesse

Ce qui correspond au repli du groupe sur lui même est bien proche de l'attitude de ces Eglises qui refusent tout contact et tout dialogue avec les autres. Bien souvent, elles se referment sur elles-mêmes par peur de ne pas soutenir le choc de la rencontre. Peut être, le pasteur n'a-t il reçu aucune formation particulière et craint il que son autorité, fortement affirmée, ne soit discutée lorsque des comparaisons pourront être faites avec ce qui se passe dans les Eglises voisines? Il ne faut donc pas qu'une influence extérieure vienne détourner les membres de la vérité.

Dans une telle Eglise, un éloignement progressif de ce qui se passe dans la société est inévitable. Les membres doivent d'ailleurs passer l'essentiel de leur temps au service de l'Eglise ou dans le témoignage en vue de faire d'autres disciples. Ainsi l'emploi du temps est il rempli par les groupes de maison, de prière, d'étude biblique, d'évangélisation, etc. Ils n'ont ainsi plus ni l'envie, ni le temps de participer à la vie de la cité qui est pourtant le lieu normal du témoignage chrétien.

2.2) La tentation du pouvoir

Il peut s'agir du pasteur ou du groupe restreint d'anciens. Ils sont alors les détenteurs de l'autorité absolue dans l'Eglise. Par rapport à eux, les membres de l'Eglise sont des disciples. La soumission, l'obéissance seront valorisées et cela d'autant plus que ceux qui détiennent le pouvoir seront investis de l'autorité de Dieu par le Saint Esprit. C'est souvent un pasteur auto-proclamé, ou investi par un autre pasteur jouant un rôle d'apôtre qui glissera dans ce sens. Les deux désirs de pouvoir s'épaulant et se justifiant. Le regard des frères ne joue aucun rôle et nul n'est autorisé, dans la communauté ou en dehors à remettre en cause des décisions qui ne peuvent venir que de Dieu. L'existence d'Eglises parfaitement Indépendantes et qui apparaissent comme la propriété du fondateur favorise bien sûr ce type de problème.

2.3) La vérité totale

Dans de telles communautés, aucune distinction n'est possible entre l'essentiel et le secondaire, entre les vérités sur lesquelles repose la foi (et qui sont soulignées normalement dans la confession de foi) et la théologie qui est toujours oeuvre humaine, donc faillible et réformable. La doctrine reçue et son Interprétation sont la Vérité et en remettre un élément en cause, c'est s'opposer à Dieu. On assiste ainsi parfois à une destruction méthodique de tout esprit critique. Ceux qui, par leurs questions ou la liberté qu'ils manifestent, pourraient faire de l'ombre au pasteur et troubler les fidèles, seront exclus ou éloignés d'une manière ou d'une autre de la communauté.

EN CONCLUSION PROVISOIRE

Reconnaissons que la question est bien difficile. Dans une époque comme la nôtre, les dérapages possibles sont nombreux.

Il est tentant d'assimiler toute Eglise non officiellement reconnue à une secte. Le danger est réel dans les médias, auprès des pouvoirs publics, voire de la population Inquiète de voir les dangers possibles du fléau. Il pourrait même arriver que des Eglises utilisent plus ou moins directement l'argument pour lutter contre une concurrence considérée comme gênante.

Mais surtout, il nous faut comprendre que le danger nous concerne bien et que certaines Eglises s'y laissent prendre. Parfois, Il ne s'agit que de l'image malheureuse que nous donnons de nous mêmes, parfois, certains peuvent glisser plus profondément, dans les travers mentionnés, par des pratiques discutables dont ils ne perçoivent pas les conséquences réelles.

Soyons donc attentifs les uns aux autres et si une remarque nous est faite, avant de nous défendre, commençons par examiner la part éventuelle de vérité que cette accusation peut comporter...

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