L’accueil des personnes handicapées mentales dans l’Église

Extrait Vie et gestion de l'Église
Quel est notre regard sur les personnes handicapées mentales dans l’Église, et quelle est leur place dans la communauté ? Comment les accompagner, ainsi que leurs parents et leurs proches ? L’article met au centre de notre attention des personnes qui se trouvent à la marge, non seulement de la société, mais trop souvent aussi de l’Église. Il est basé sur son exposé « l’Église aux marges de la société » prononcé lors d’un colloque organisé par le Département de la Mission Urbaine (DMU) de l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne. Ce thème fait penser à plusieurs groupes que la société appelle des « marginaux » et que les gens de l’époque de Jésus appelaient « des personnes de mauvaise vie ». Les personnes handicapées mentales se trouvent, elles aussi, aux marges, mais elles n’entrent pas dans une quelconque catégorie de marginaux. Bien au contraire. Elles ont leur place à part entière dans la communauté des croyants.

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L’accueil des personnes handicapées mentales dans l’Église

Le handicap mental dans la société d’aujourd’hui


La Bible n’évoque pas le handicap mental proprement dit. Beaucoup de guérisons opérées par Jésus concernent ceux que l’on appelle aujourd’hui des personnes ayant un handicap physique : des aveugles, des sourds, des paralytiques… Lorsqu’on regarde ce qui caractérise ces personnes, on constate qu’elles se trouvent effectivement aux marges de la société, au bord du chemin : l’aveugle assis à l’entrée de Jéricho, le paralytique resté depuis des années au bord de la piscine de Bethesda, les lépreux mis au ban de la société, etc. C’est bien dans les chemins et le long des haies que le serviteur de la parabole du banquet dans Luc 14 est envoyé pour chercher « les estropiés, les aveugles et les boiteux. »

Or, la situation des handicapés mentaux aujourd’hui ressemble à celle des infirmes au temps de Jésus. Ils se trouvent bien en marge de la société. Il y a deux raisons principales à cela :
  • Premièrement, ils sont un peu comme les lépreux du temps de Jésus : ils font encore parfois peur ou, tout au moins, rendent mal à l’aise ou gênent. La différence pose toujours problème et leur différence continue d’importuner ou d’inquiéter les gens autour d’eux. Cela peut surprendre, on peut penser que ce temps est révolu, mais lorsqu’on souhaite construire un pavillon d’habitation pour des personnes handicapées mentales dans un quartier résidentiel, les gens semblent parfois préférer une centrale nucléaire. Néanmoins cette attitude évolue, bien que ce soit plus facile dans un quartier populaire que dans un quartier huppé. Ces personnes handicapées suscitent trop de questions, font résonner trop de choses en nous, détonnent trop dans notre environnement.
  • Deuxièmement, les personnes handicapées mentales ne correspondent pas aux valeurs que prône notre société : la performance, la réussite, l’intelligence et l’autonomie. Elles n’ont pas leur place dans tout cela. Le fait qu’elles sont différentes est plus visible qu’auparavant, et elles s’en retrouvent davantage stigmatisées. En ce sens leur situation ressemble à celle des aveugles au temps de Jésus : placées un peu à l’écart, attendant une aumône, contentes (ou devant se contenter) du peu que la société veut bien leur donner. Elles ne sont pas des citoyennes à part entière.
Pourquoi le handicap mental n’apparaît-il pas dans le Nouveau Testament ? On peut suggérer plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, ces personnes étaient, à l’époque, mieux intégrées dans la société, parce que la famille en prenait soin. Il y a divers degrés dans le handicap et certaines personnes sont tout à fait capables d’aider dans la famille, de faire certains travaux simples dans l’échoppe du père, de travailler aux champs, etc. Ensuite, le handicap mental d’origine génétique ne se guérit pas. De ce point de vue, il est normal qu’on ne voie pas d’intervention miraculeuse de Jésus pour guérir quelqu’un d’un handicap mental. Cela signifie également qu’aujourd’hui on ne doit pas encourager les fidèles à prier pour la guérison d’un enfant trisomique, ni chasser un prétendu « démon de la trisomie » (ce qui s’est malheureusement déjà produit).

Ceci étant dit, nous ne pouvons pas nier à Dieu le pouvoir d’opérer un miracle de rétablissement d’un handicap mental. Les témoignages de ce genre sont néanmoins plutôt rares.

Le théologien méthodiste Stanley Hauerwas a fait remarquer que le handicap mental est en quelque sorte une « invention de notre société ». Il ne veut pas dire que la déficience mentale n’aurait pas existé avant, mais qu’elle est devenue un handicap aux yeux de la société actuelle.

Comme nous l’avons dit, notre société valorise la performance, l’intelligence et l’autonomie ; et la déficience mentale est rendue visible au vu de ces critères.

De plus, il y a eu, pendant un certain temps, une augmentation de naissances d’enfants ayant un handicap mental, pour deux raisons :
  • Les progrès de la médecine font que des fœtus qui auraient donné lieu à des fausses couches dans les siècles passés deviennent maintenant des bébés viables, mais parfois avec des handicaps plus ou moins lourds.
  • De plus en plus de femmes deviennent mères après 40 ans. Par conséquent, elles augmentent sensiblement le risque d’avoir un enfant trisomique.
Or, aujourd’hui la situation est en train de changer, et c’est là l’un des grands paradoxes de notre société. D’une part, elle prend de mieux en mieux en charge le handicap mental, et le handicap est une branche du médico-social où les moyens financiers attribués restent corrects, malgré la crise. D’autre part, les fœtus ayant une maladie génétique, en particulier la trisomie 21 ou un handicap avéré, sont les premières victimes du diagnostic prénatal. Une fois que l’anomalie est détectée, les pressions médicales (gynéco…) et familiales sont fortes. L’éthicien réputé, Peter Singer, va jusqu’à dire que les parents doivent avoir la possibilité de décider de garder ou non un tel enfant jusqu’à quelques jours après sa naissance.

On cherche donc à éviter leur venue au monde, mais une fois qu’ils sont là, l’attitude envers eux est bienveillante.

Le handicap mental et l’Église


Ces constats nous amènent à un point important. Aujourd’hui ce sont les confessions religieuses, en particulier l’Église catholique romaine et les Églises évangéliques, qui militent pour le droit à la vie. Ce sont donc principalement les couples croyants qui, attendant un enfant handicapé, vont choisir de garder cet enfant. Par conséquent, c’est surtout dans nos Églises que l’on trouve des parents traversés par des questions difficiles. Et c’est surtout dans nos Églises que vont grandir des enfants ayant une déficience mentale ou un autre handicap prénatal.

Concernant le respect de la vie, nous savons qu’il nous faut être cohérents. Si nous encourageons des femmes à garder un enfant qui va naître avec un handicap, cela nous engage, par exemple, à entourer non seulement des couples, mais aussi les mères célibataires enceintes.

L’accueil de la personne handicapée mentale dans l’Église commence donc déjà à ce moment-là, lorsqu’un couple découvre qu’il attend un enfant handicapé. Une femme témoigne :
« Pendant ma grossesse, j’ai découvert que mon enfant allait être polyhandicapé. Mon pasteur et l’Église ont dit que mon enfant avait le droit à la vie. Et je le croyais aussi. Puis il est né. Et ils ont disparu. »
Il avait droit à la vie, mais on ne voulait pas le voir vivre.

Accueil des parents de la personne handicapée mentale


La période de tests prénataux amène de l’angoisse et parfois des décisions moralement et émotionnellement difficiles. Les conseils médicaux, nous l’avons dit, ne sont pas toujours neutres. Il y a aussi la souffrance spirituelle (« Pourquoi moi ? ») ou la culpabilité (« Qu’est-ce que j’ai fait pour que cela m’arrive ? »). Or, l’accompagnement ne s’arrête pas une fois que le couple a fait le choix de garder (ou non !) l’enfant. Il ne s’arrête même pas une fois que l’enfant est né car, après cela, les parents vont traverser toutes sortes de moments difficiles, de questionnements, de crises.

Et puis, il y a le besoin d’un accompagnement spirituel de l’enfant. Être une famille pour lui, pour ses proches. Ses frères et sœurs ont également besoin d’accompagnement, parce qu’il n’est pas toujours facile d’être le frère ou la sœur d’un enfant handicapé. Il y a l’inquiétude, mais aussi la jalousie à cause du temps que les parents lui consacrent. Cette jalousie amène souvent à un sentiment de culpabilité : ai-je le droit d’être jaloux de ma sœur alors qu’elle est handicapée ?

Lorsque les parents reçoivent, avant ou après la naissance, le diagnostic du handicap de leur enfant, ils vont vivre une sorte de deuil où ils pleurent la perte de l’enfant « normal » qu’ils avaient espéré. Des périodes de deuil seront à vivre tout au long de sa vie : par exemple, le moment où on prend conscience qu’il ne conduira jamais. Cela peut prendre un certain temps pour les parents d’accepter la réalité de l’état de leur enfant et de l’avenir incertain qui les attend tous désormais. Il est très important pour les parents de savoir que l’Église est avec eux dans ces souffrances, et surtout de savoir que Dieu a toujours aimé et accepté leur enfant, à la fois avant et après le diagnostic. La communauté de l’Église locale peut rapidement devenir un des rares groupes de personnes où cette famille peut se sentir accueillie, entendue et acceptée, tout au long de la vie de leur enfant.

Témoignage de la mère de Florence, une fille handicapée qui, pendant un culte manifestait sa joie par des applaudissements et des cris :
« Je pensais en moi : “Florence, s’il te plaît, ne fais rien pour menacer ton acceptation ici !” Si j’étais plus honnête, mon vrai sentiment était : “Ne fais rien pour menacer mon acceptation ici.” »

La période du diagnostic prénatal

Dès lors que le diagnostic de handicap est posé, commence une période de grande angoisse et de fragilité particulière, pendant laquelle les couples sont influençables. L’idée qu’ils ont du bébé à naître est encore très vague, mais au fur et à mesure que la grossesse progresse et que l’accouchement approche, l’attachement à l’enfant se construit. En définitive, ils se pensent suffisamment forts pour accompagner l’enfant, même si cela sera très lourd. Leur amour pour l’enfant est devenu bien plus fort qu’ils auraient pu imaginer. Le philosophe Michaël Bérubé, qui promeut l’idée de l’IVG en cas de détection de trisomie 21, va jusqu’à affirmer qu’il ne peut d’aucune manière souhaiter ou envisager que son fils trisomique ne soit pas né « maintenant qu’il est là ».

L’angoisse est présente, notamment parce qu’on se projette dans l’inconnu et que l’on envisage le pire. À ce stade, les médecins sont souvent incapables de définir l’importance du handicap. Durant cette période, les futurs parents ont donc besoin du soutien et de l’accompagnement de l’Église.

Après la grossesse : les difficultés

Dès lors que l’enfant est né, il convient d’accompagner les parents pour qu’ils réalisent qu’il ne sert à rien de comparer les capacités de leur enfant à celles d’un enfant « valide » du même âge, comme : « À son âge, il devrait pouvoir faire ceci ou cela... », ni à celles d’un autre enfant handicapé avec des difficultés similaires.

Le but de l’accompagnement est de les aider à : ...
Auteurs
Thierry SEEWALD

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