Modèles missionnaires différents: l'Eglise locale doit-elle s'en soucier ?

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Modèles missionnaires différents: l'Eglise locale doit-elle s'en soucier ?

Dans notre premier exposé nous avons donné une esquisse du fondement biblique et de la portée théologique et ecclésiologique du thème « l’Église en mission ». Nous allons maintenant réfléchir sur différents modèles missionnaires et leurs implications pour une église locale.

La notion de « modèle » vient des sciences. Une notion similaire est celle de « paradigme », popularisée en histoire des sciences. Appliquée en missiologie, il s’agit de l’ensemble des motivations, des objectifs et buts, des moyens et programmes de la réalité que nous appelons mission, sous une perspective cohérente qui donne une orientation reconnaissable à la mission de l’Église.

Modèles missionnaires
Des historiens et missiologues ont discerné un grand nombre de modèles missionnaires. Il y a par exemple une manière binaire de grouper des modèles différents qui sont vu comme contradictoires ou complémentaires ou bien comme en tension constructive. Mentionnons, entre autres, mission organisée et expansion spontanée, mission d’en haut ou par le sommet et mission d’en bas ou par les basses couches de la population, mission verticale centrée sur l’évangélisation et l’implantation de l’Église et mission horizontale centrée sur l’engagement socio-politique. Et il y en a bien d’autres.

Une autre manière d’élaborer l’idée des modèles ou paradigmes missionnaires est celle proposé par le missiologue David Bosch dans son ouvrage fondamental Dynamique de la mission chrétienne - Histoire et avenir des modèles missionnaires. Bosch établit une corrélation entre les modèles missionnaires et les grandes étapes de l’histoire de l’Église. Bien qu’il parle d’une mutation successive entre ces paradigmes missionnaires, il souligne que les modèles ne sont pas simplement dépassés et remplacés dans la période suivante. Chacun d’eux garde souvent sa vitalité dans le cadre d’une famille confessionnelle ou d’un courant missiologique. C’est ainsi que le spectre missiologique de notre temps se diversifie de plus en plus.

Je ne suivrai pas directement les modèles de Bosch, mais je m’en suis inspiré tout de même. Je présenterai à ma façon une sélection de modèles qui ont une certaine pertinence pour les églises locales. La question que je propose à votre réflexion est la suivante: pouvons-nous, dans notre église locale, apprendre quelque chose du point fort et du point faible de chacun des modèles?

Le modèle centripète
Le premier, que j’appelle le modèle centripète, correspond dans l’essentiel à celui que Bosch appelle le paradigme patristique ou orthodoxe. La perspective missiologique ressemble à celle de l’Ancien Testament, comme nous l’avons esquissée dans l’exposé précédent. Le mouvement principal va de la périphérie vers le centre. Et le centre dans ce modèle-ci, c’est l’église et son culte. C’est pourquoi l’orientation missionnaire principale de ce modèle s’exprime plutôt par le mot "venir" que par le mot "aller". On invite les gens de venir à l’église et à participer à son culte, comptant sur sa force d’attraction.

La communauté célébrante représente un témoignage par elle-même. Le culte - ou la liturgie, pour utiliser le terme des orthodoxes - est donc un événement missionnaire. Le service des chrétiens dans le monde représente pour les orthodoxes « la liturgie qui suit la Liturgie » ou « le sacrement fraternel ». Un verset biblique clé de ce modèle est Jn 3.16 avec l’amour de Dieu comme fondement de la mission et la vie éternelle dans la communion ecclésiale comme son but. Ce verset est aussi centré sur le thème principal de l’incarnation. Sur cette base, les orthodoxes mettent l’accent sur l’inculturation. Chaque peuple a droit à recevoir l’Évangile dans sa langue par un clergé autochtone et l’Église s’identifie étroitement avec le peuple et sa culture. Cela est important mais peut se retourner en point faible avec le danger d’un ethnocentrisme religieux qui nuit et aux relations avec les autres et au mouvement qui cherche toujours à franchir les frontières.

Le point fort de ce modèle, si nous laissons de coté la particularité ecclésiologique de l’orthodoxie, c’est qu’il nous rappelle que la dimension centripète ne peut pas être absente d’une ecclésiologie missionnaire ou d’un modèle missionnaire compréhensif. Dans le premier exposé, j’ai souligné que la vie interne, le « koinonia » de l’église ainsi que le culte, constituent le préalable, le fondement, du mouvement vers l’extérieur, le mouvement centrifuge en évangélisation et dans le service, introduit de force par le Nouveau Testament.

Sans la confession du cœur que « Jésus est Seigneur », digne de louange, exprimée en communauté, un mouvement vers l’extérieur n’a pas de sens et ne devient qu’un prosélytisme en vue de la croissance ou de la survie de notre groupe. Sans une vie communautaire qui manifeste l’amour, le mouvement centrifuge n’arrivera pas à attirer les hommes à la foi et à la communion de l’église. S’ils viennent tout de même à nos réunions, ils vont bientôt nous quitter, car, malheureusement, ils n’y voient pas la grâce de Dieu à l’œuvre et l’amour de Dieu manifesté dans la vie de l’église. Ils ne cherchent certes pas la perfection, mais ils s’attendent à y rencontrer des hommes qui, dans leurs faiblesses, cherchent à vivre leur message.

Si nous voulons approfondir la conscience missionnaire de notre église, il faut nous examiner sur ces deux points. Croyons-nous vraiment dans l’église que « Jésus est le Seigneur » et comprenons-nous les implications de cette confession et de notre louange ? Vivons-nous la « koinonia » de façon à ce que les hommes puissent dire comme autrefois : voyez comme ils s’aiment ! Si c’est le cas, nous serons mieux placés pour discuter les aspects pratiques de notre engagement missionnaire.

En ce qui concerne le point faible de ce modèle, il faut nous demander si nous sommes en danger de nous identifier tellement avec certains aspects du milieu culturel qui nous entoure, avec l’esprit du temps, que nous nous éloignons de la radicalité de l’Évangile. Ou sommes-nous au contraire en danger de nous isoler dans une sous-culture qui devient un ghetto ? Dans les deux cas, notre invitation aux hommes de venir restera sans effet et notre mouvement missionnaire vers l’extérieur au près et au loin restera sans force.

Le modèle centrifuge
À l’opposé du modèle centripète, nous trouvons ce que j’appelle le modèle centrifuge. C’est le modèle qui met l’accent sur l’aspect « aller » plutôt que l’aspect « venir », sur le mouvement inhérent en Actes 1 8, du centre vers la périphérie, de Jérusalem vers les nations en passant par la Samarie, et plus tard de l’Europe ou de l’Occident chrétien vers les autres continents non-chrétiens. Ce modèle comporte donc dans l’histoire une forte dimension géographique. Théologiquement, le mouvement peut être décrit comme de l’Église vers les gens « du dehors », les non-croyants.

Dans le cadre du mouvement missionnaire protestant, ce modèle se base théologiquement sur la redécouverte, lors de la Réforme, du salut par grâce par le moyen de la foi en Christ et son œuvre de rédemption ainsi que du rôle central des Écritures Saintes et du sacerdoce de tous les croyants. Le texte missiologique clé fut Romains 1.16-17 : « L’Évangile est une puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit…». Les implications pour la mission de l’Église sont évidentes. Malgré cela, les oeuvres missionnaires ne se sont réalisées que tardivement à cause de différentes raisons théologiques aussi bien que d’obstacles d’ordre pratique.

Relevons cependant l’exemple des anabaptistes qui refusaient de limiter leur ministère à un territoire donné ou à une paroisse. Avec leur insistance sur la vie communautaire, sur l’impératif missionnaire et sur chaque chrétien comme témoin de Christ, cela les a motivés de se lancer dans une expansion missionnaire remarquable. Son épanouissement fut cependant empêché par la persécution et l’émigration qui s’en suivit.

Le piétisme a pris la relève au 18e siècle. L’accent sur la foi personnelle a conduit au désir ardent de la partager à tous et partout. C’est pourquoi des oeuvres de mission intérieure aussi bien que de mission extérieure se sont multipliées. Étant un courant à l’intérieur de l’Église, les piétistes ont cependant dû réaliser leurs oeuvres par des sociétés missionnaires à l’intérieur ou à coté des églises. Dans ce sens, ce courant a survécu dans bien des mouvements missionnaires évangéliques jusqu’à nos jours.
 
Le point fort de ce modèle est le fondement théologique et, dans le cas des anabaptistes, des piétistes et de leurs héritiers, l’implication dans un engagement missionnaire fervent pour la conversion des hommes au près et au loin. L’impulsion vers les régions et les peuples encore non-atteints par l’Évangile est louable. Comme texte biblique clé nous pouvons choisir 2 Corinthiens 5.14, 20 : « L’amour du Christ nous étreint… Nous sommes donc ambassadeurs du Christ…» Sur ce point, nous devons donc, dans nos églises locales, examiner notre théologie, notre prédication, pour voir si elle nous pousse à un engagement missionnaire jusque dans les lieux « où le Christ n’a pas été nommé » (Rm 16.20). Sinon, n’y a-t-il pas lieu d’en faire une révision, un approfondissement ?

Le point faible de ce modèle, sauf pour les anabaptistes, les frères moraves et quelques dénominations plus récentes, c’est que l’œuvre missionnaire n’est pas considérée comme la responsabilité de l’Église (l’église) en tant que telle mais plutôt d’une « ecclesiola in ecclesiae », un groupe restreint dans l’église ou une société para-ecclésiastique. Alors, qui porte l’engagement missionnaire dans votre église locale ? L’église est-elle dans sa totalité engagée ? Y a-t-il une interaction entre les dirigeants l’église et ceux qui s’occupent pratiquement de certains aspects de l’œuvre missionnaire ? Ces derniers sentent-ils réellement qu’ils représentent l’ensemble de l’église ? Y a-t-il un comité missionnaire qui rappelle l’église à sa responsabilité et qui lui donne des informations qui encouragent l’intercession, l’offrande et l’engagement ?

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Auteurs
Göran JANZON

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