Sept thèses sur l'autorité dans l'église

Complet Vie et gestion de l'Église

Dans ces 7 thèses, Alain Nisus, pasteur de l'Eglise baptiste de Grenoble, rappelle quelques éléments fondamentaux de l'ecclésiologie protestante et particulièrement de celle de la tradition dont il fait partie. Si certaines affirmations seront facilement acceptées, d'autres pourront sembler plus inattendues. Mais il est bon de méditer les unes comme les autres lorsque l'on veut être un peu plus au clair dans ce domaine délicat.

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Sept thèses sur l'autorité dans l'église

Pour introduire l'exposé, je vous invite à lire le texte d'Ephésiens 4.4-16. J'aimerais développer 7 thèses dans cet exposé.

1. L'Eglise est une christocratie

La première thèse n'est guère contestée, elle est unanimement reconnue, mais ce sont les conséquences que l'on peut en tirer qui diffèrent dans les différentes Eglises.

Je l'énonce de la sorte : L'Eglise est le corps du Christ. Christ est la tête de son corps.

C'est lui qui détient l'autorité absolue sur son corps. C'est Jésus qui dirige son Eglise, ainsi l'Eglise n'est ni une autocratie, ni une oligarchie, ni une démocratie, mais une christocratie.

« L'Eglise reste une communauté chrétienne dans er mesure où elle se soumet à cette autorité seule. Il ne faut jamais oublier dans la pratique la distance qualitative existant entre cette autorité du Christ et les autorités humaines, individuelles ou institutionnelles »(1).

Ce qui signifie que toute autorité humaine, doit être relativisée, limitée.

Celui qui règne sans partage au niveau de l'Eglise risquera de porter ombrage à l'autorité du Christ sur son Eglise et sera soumis à une tentation plus grande d'autoritarisme, sous couvert d'autorité pastorale, ou prophétique, etc.

Il serait important de remarquer que la divinisation du pouvoir est toujours contestée dans le Nouveau Testament, non seulement la divinisation du pouvoir impérial, mais aussi du pouvoir sur l'Eglise (Mt 23.8-11 : « ne vous faites pas appeler maître, père ou directeur ». En 3 Jn 9-10, l'apôtre fustige Diotréphès qui aime à tout régenter et semble avoir une attitude dictatoriale dans l'Eglise).

De même en Colossiens 4.17, Paul demande aux fidèles d'interpeller leur responsable Archippe.

Ce qui signifie que l'autorité dans l'Eglise est une autorité en Christ, elle n'est jamais absolue, toujours seconde, soumise à la souveraineté du Christ et à l'autorité de la Parole. C'est une autorité déléguée et qui doit rendre compte.

Nous verrons plus loin qui délègue cette autorité et à qui ceux qui la détiennent doivent rendre compte.

2. Nous ne sommes plus au temps de l'Eglise apostolique

Ma deuxième thèse est la suivante : Il convient de faire une distinction en matière d'autorité entre l'Eglise apostolique et l'Eglise post-apostolique.

En effet, l'Eglise du Nouveau Testament est l'Eglise des apôtres.

Les apôtres jouent un rôle unique dans l'histoire du salut, ils sont les messagers du Christ, ses représentants, ils sont investis de l'autorité même du Seigneur en matière doctrinale. Ils communiquent la révélation de Dieu, leur parole est parole de Dieu.

L'apôtre Paul en particulier a une conscience aiguisée de la spécificité de la fonction apostolique : « le Christ parle par moi » (2 Co 13.3) ; « quand vous avez reçu la parole de Dieu que nous vous faisions entendre, vous l'avez reçue non comme parole d'homme, mais comme ce qu'elle est réellement, la parole de Dieu » (1 Th 2.13) ; « celui qui rejette ces instructions, ce n'est pas un homme qu'il rejette, c'est Dieu, lui qui vous donne son Esprit Saint » (1 Th 4.8).

Il s'agit ici de la fonction apostolique au sens fort. Les apôtres sont le fondement ou la fondation de l'Eglise, selon Ephésiens 2.20. Il est vrai que ce texte comporte une difficulté, car il dit exactement : « vous avez été intégrés dans la construction qui a pour fondation les apôtres et les prophètes ». On peut s'interroger sur l'identité de ces prophètes qui sont aussi fondation de l'Eglise.

On peut exclure l'idée qu'il s'agirait des prophètes de l'Ancien Testament à cause d'Ephésiens 3.5.

Je ne voudrais pas passer trop de temps sur cette question, mais je signale que la démonstration de Wayne Grudem me semble assez convaincante. Grudem a consacré sa thèse de doctorat sur la prophétie dans le Nouveau Testament, et il a écrit un ouvrage de vulgarisation sur la question : « The gift of prophecy in the Nouveau Testament and today ». Je signale que Bob Woolven a en fait une excellente recension dans le n°4 des cahiers de l'école pastorale.

Grudem démontre, de manière assez convaincante selon moi, qu'il s'agirait du même groupe de personnes : ce sont les apôtres qui sont aussi prophètes. Car un tel privilège, de fondement de l'Eglise appartient aux apôtres (cf. Ap 21.14).

Si on ne veut pas identifier ces prophètes aux apôtres, il faudrait alors dire qu'il s'agirait de personnages qui appartiennent au cercle des témoins apostoliques, dont le canon du Nouveau Testament dérive, comme par exemple Luc et Marc.

Si on veut de toute façon y voir des prophètes, alors il conviendrait de noter qu'il y a une très grande variété de prophètes dans le Nouveau Testament. Il y aurait entre autres ceux-là, avec une autorité très forte (dont il faudrait dire qu'ils n'existent plus, pour respecter le principe du « sola scriptura »), et d'autres avec une autorité bien moindre, car leurs prophéties doivent être évaluées (cf. 1 Co 14 et 1 Th 5).

Les apôtres ont donc une autorité très forte et leur fonction est non transmissible. Il ne peut pas y avoir de successeurs des apôtres, dans ce rôle de fondation. Comme l'a démontré Cullmann, on pourrait parler d'ephapax apostolique(2).

En effet, comme le fait remarquer Blandenier(3), personne ne peut aujourd'hui dire comme Jean : « ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du verbe de vie … ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons » (cf. 1 Jn 1.1-3).

L'apôtre est témoin du ressuscité (Ac 12.2 ; 1 Co 9.1), il faut qu'il soit en relation directe avec le Seigneur. Sa dignité unique c'est d'avoir reçu une révélation directe, sans intermédiaire humain, c'est-à-dire que son témoignage est direct et non dérivé. C'est pourquoi en Galates 1.12, Paul nie expressément avoir reçu l'Evangile de la part des hommes.

Nous sommes, selon la prière de Jésus en Jean 17.20 ceux qui croient à cause du témoignage des apôtres. Les données du Nouveau Testament relatives aux apôtres ne peuvent pas être transférées directement sur d'autres ministères d'aujourd'hui.

Ainsi, il faut donc faire une différence très nette entre le fondement de l'Eglise, qui a eu lieu au temps des apôtres, et l'Eglise post-apostolique qui repose sur ce fondement apostolique. Pendant la période apostolique, au niveau textuel, l'autorité dans l'Eglise consistait dans l'Ancien Testament, les circulaires apostoliques, les lettres apostoliques (qui constitueront notre actuel Nouveau Testament), les directives apostoliques.

Pour nous il n'y a pas de succession apostolique, mais le témoignage apostolique nous est conservé au moyen des textes du Nouveau Testament.

L'autorité du Christ sur son Eglise est alors médiatisée par la Parole et par l'Esprit. La Bible fonctionne comme l'autorité objective, extérieure, et l'Esprit travaille au niveau de l'intériorité. Mais contre toute dérive illuministe, il faut affirmer que la Parole et l'Esprit sont liés. Ainsi, il n'y a plus, de nos jours, d'apôtres au sens fort. Je dis bien au sens fort, car en effet, dans le Nouveau Testament, certains hommes sont appelés apôtres alors qu'ils n'appartiennent pas au groupe restreint des apôtres.

Dans un passage, ce mot semble pouvoir s'appliquer à tous les chrétiens, il s'agit de Jean 13.16 où Jésus dit : « l'apôtre n'est pas plus grand que celui qui l'a envoyé ». Etant donné que tous les chrétiens sont envoyés dans le monde et sont témoins de l'évangile, ils sont apôtres en ce sens faible.

A deux occasions, ce mot est utilisé pour parler des délégués, des envoyés ou des représentants des Eglises (2 Co 8.23 et Ph 2.25). Ce sont des émissaires dépêchés par une Eglise en vue d'une tâche particulière. Leur rôle serait d'affermir les liens entre les différentes Eglises, c'est-à-dire de favoriser le maintien de l'unité au sein de l'Eglise universelle.

Troisième sens du mot : ministère d'implantation d'Eglises, équivalent de missionnaires. Il convient donc d'être attentif quant à l'utilisation de certains termes bibliques. Il faut être sûr d'éviter toute confusion, être sensible au fait que les termes peuvent avoir des sens dérivés, atténués, et ne pas transférer l'autorité apostolique au sens fort, sur les apôtres au sens restreint.

Et plus généralement, il faut faire attention à la manière dont nous utilisons aujourd'hui des termes bibliques surtout en ce qui concerne les ministères. Certains mots ont évolué au cours des siècles et ont pris des significations qui n'ont plus rien de commun avec leur sens initial.

3. Une articulation entre tous et quelques-uns

Troisième thèse : l'Eglise du Nouveau Testament est une Eglise apostolique. Les apôtres n'ont pas d'insertion locale durable, mais un ministère supra local. Ils détiennent une autorité très forte sur les Eglises (cf. les interventions de Paul au niveau de l'Eglise de Corinthe) ; néanmoins ils ne dérivent pas vers un autoritarisme. La thèse est la suivante : même si les données du Nouveau Testament ne nous permettent pas de définir un modèle élaboré, uniforme et normatif en matière de structures ecclésiales, dans l'Eglise du Nouveau Testament, on assiste néanmoins à une ingénieuse articulation entre tous et quelques-uns.

En effet, dans le Nouveau Testament sont affirmés le sacerdoce universel de tous les chrétiens (1 Pi 2.9 ; Ap 1.5) et l'appel de certains pour un ministère particulier.

Prenons quelques exemples(4) :

Après la défection de Judas, Pierre ne s'appuie pas sur l'éventuelle autorité qu'il a reçue du Christ pour procéder seul, ou même avec les dix autres, à son remplacement. Le remplacement d'un apôtre est pourtant chose sérieuse. Pierre s'adresse à l'assemblée des 120 disciples et leur propose de procéder au remplacement de Judas. Le texte est ici imprécis, car il nous est dit : « ils en proposèrent deux ».

Quel est ce « ils » ? Les apôtres ou l'assemblée des 120 ? Compte tenu du contexte, il semblerait qu'il s'agisse plutôt des 120. Donc, il ne s'agirait pas d'une décision unilatérale venant des apôtres.

De même pour résoudre le conflit qui se noue au sein de l'Eglise de Jérusalem entre Hébreux et Hellénistes, les 12 convoquent l'assemblée des disciples. Les apôtres font une proposition, et le texte nous dit que cette proposition fut agréée par toute l'assemblée (Ac 6.5).

Ici, il est clair que c'est l'assemblée qui en choisit 7 qu'elle présenta aux apôtres. Cette articulation entre tous et quelques uns parcourt tout le Nouveau Testament. On pourrait signaler le cas du synode d'Antioche, au cours duquel une décision importante a été prise à propos de l'intégration des païens dans l'Eglise, sans l'obligation des observances de la loi de Moïse.

Luc écrit qu'après les discours de Pierre et Jacques, « il parut bon aux apôtres et aux anciens, ainsi qu'à l'Eglise entière de choisir parmi eux des délégués qu'ils enverraient à Antioche avec Paul et Barnabas » (Ac 15.22).

Ces délégués apportent une lettre aux Eglises païennes. L'entête de la lettre porte : « les apôtres, les anciens et les frères saluent les frères d'origine païenne qui se trouvent à Antioche » (v.23). Ainsi toute l'Eglise est associée à la décision prise.

Certes, il y a un petit problème de critique textuelle, certains manuscrits ont plutôt : « vos frères, les apôtres et les prophètes », mais il me semble que, là encore, le contexte penche pour cette interprétation, c'est-à-dire l'association des frères à cette lettre. [Mais il est vrai qu'en Actes 16.4 on nous dit que « dans les villes où ils passaient, Paul et Silas transmettaient les décisions qu'avaient prises les apôtres et les anciens de Jérusalem et ils demandaient de s'y conformer », mais cela peut être un raccourci].

Luc nous dit que cette délégation, une fois arrivée à Antioche, « réunit l'assemblée pour lui communiquer la lettre » (v.30), et non pas seulement les responsables. Articulation donc entre tous et quelques-uns, pas d'autoritarisme exercé, même par les apôtres.

Pour porter la collecte à Jérusalem, ce sont les Eglises qui ont nommé leurs « apôtres délégués » (2 Co 8.18).

Paul demande aux croyants (tous) de faire preuve d'intelligence (1 Co 14.13,19 ; 1 Th 5.19- 20) ; d'avoir un esprit critique par rapport à leurs pasteurs (1 Co 10.15 ; 11.13) : « jugez vous-mêmes ce que je dis » et même de les mettre en garde (Col 4.17).

On notera aussi que les lettres apostoliques sont adressées aux communautés et non d'abord aux responsables (c'est seulement dans la lettre aux Philippiens que les responsables sont mentionnés expressément comme destinataires de la lettre, mais Paul prend soin de citer l'Eglise entière avant les responsables).

Même la discipline qui peut aller jusqu'à l'exclusion d'un membre, est confiée à l'Eglise et non aux seuls responsables : le cas le plus frappant est 1 Corinthiens 5 ; mais on pourrait citer Matthieu 18.17 où l'Eglise aussi intervient en dernier recours dans le processus de réconciliation. En 1 Thessaloniciens 5.14, c'est toute l'Eglise qui est invitée à exercer la discipline : « nous vous y exhortons frères, avertissez ceux qui vivent dans le désordre… » ; de même en Galates 6.1, il est dit que s'il arrive à un frère d'être pris en faute, c'est aux chrétiens spirituels de le redresser dans un esprit de douceur. Les spirituels ici ne sont pas forcément les seuls responsables, quoiqu'il vaudrait mieux que les responsables le soient ! On pourrait aussi signaler avec Beasley-Murray que l'assemblée semble aussi partie prenante de la gestion des finances (Ac 11.29-30).

Dans le Nouveau Testament, cette logique de partenariat s'appuie sur le sacerdoce commun de tous les fidèles et sur l'effusion de l'Esprit. Tous participent à l'Esprit (1 Co 12.7 ; 1 Pi 4.102) donc, ont part dans une certaine mesure à la conduite de l'Eglise.

4. Les ministères

Quatrième thèse : Pour conduire l'Eglise, outre la Parole et l'Esprit, le Seigneur a suscité des ministres, qui exercent leur ministère au sein de la communauté et en communion avec elle. Leur autorité est donc une autorité déléguée.

L'origine des ministères est dans le Christ, le chef de l'Eglise. Les brebis que les ministres doivent paître appartiennent au Christ. Jésus rappellera à Pierre : « pais mes brebis ». Tout ministère s'exerce donc dans sa dépendance et sous son autorité. L'autorité du ministre est donc déléguée (par le Christ).

Un certain nombre de textes précisent que c'est le Père (1 Pi 5.2), le Christ (Ep 4.11) ou l'Esprit Saint (Ac 20.28) qui établit dans le ministère. En appelant quelqu'un, le Seigneur l'équipe pour le ministère : par des dons, des charismes, des aptitudes, des dispositions, etc. qui peuvent être travaillés (formation, acquisition d'un savoir-faire, etc.)

Comme le dit J. Blandenier, « dire cela est essentiel. Mais ne dire que cela peut risquer de faire une part trop belle à la subjectivité »(5). La régulation est nécessaire. La sincérité de celui qui se croit appelé n'est pas forcément gage de vérité. L'appel au ministère ne peut pas être une auto proclamation.

Il faut pouvoir discerner l'appel. Dans le Nouveau Testament, il y a des cas qui peuvent sembler être une sorte de cooptation (6).

Paul et Barnabas interviennent en effet d'une manière difficile à préciser dans la désignation des presbytres à Icône et Lystre. En effet, le verbe utilisé en Actes 14.23 peut signifier voter à main levée, donc il s'agirait d'une désignation en un sens « démocratique » auquel cas cela peut vouloir dire qu'ils ont organisé des élections (cf. 2 Co 8.19) ; mais cela peut aussi vouloir dire « désigner » tout simplement.

On peut penser, à cause de l'imprécision de la formule, que Paul et Barnabas « ont proposé à l'approbation de la communauté ceux qui leur semblaient le mieux convenir au profil d'un presbytre »(7).

En tout cas, les responsables de l'Eglise ont certainement un rôle important à jouer dans le discernement des dons, ce qui ne signifie pas qu'ils imposent leurs candidats à l'assemblée. Paul demande à son délégué Tite d'établir des responsables dans chaque ville de Crète. Mais il convient de préciser d'une part qu'il n'est pas si simple de savoir la procédure qui est mise en jeu. Cela n'exclut pas en effet l'organisation d'élections. Le verbe que Paul utilise en Tite 1.5 est le même qui est utilisé en Actes 6 où l'on établit ceux que la tradition identifiera aux diacres (et c'est la communauté, nous l'avons vu, qui les choisit).

D'autre part on peut noter qu'il s'agit de communautés nouvellement créées, qui sont en situation pionnière dirions-nous aujourd'hui, donc ces Eglises n'avaient pas encore acquis la maturité suffisante pour le discernement des responsables, et on n'agit pas de la même manière dans une situation pionnière que dans une Eglise déjà structurée.

Dans l'investiture des responsables, les Eglises locales jouent aussi un rôle important. Nous avons vu le cas de Actes 6. Ici, « L'Eglise fait … fonction de régulatrice, son autorité est d'ordre fonctionnel »(8).

Donc, l'autorité est toujours déléguée; on peut parler d'une triple investiture des ministères(9) : par le Christ qui donne les ministres, il les appelle et les qualifie ; un rôle particulier est dévolu aux responsables dans le discernement des dons et dans l'établissement dans un office particulier ; l'ensemble de la communauté discerne et reconnaît aussi les dons et le ministère.

Il est essentiel de ne pas court-circuiter, à mon avis, l'assemblée dans le choix d'un ministre, non seulement pour les raisons théologiques que j'ai évoquées (articulation tous/quelques- uns) mais aussi pour une question de légitimité. En effet, comme l'a écrit Sébastien Fath : « le pasteur baptiste tient l'essentiel de sa légitimité du choix de l'assemblée qu'il a la charge d'encadrer. La figure du délégué est celle qui convient le mieux.»(10)

Le ministre reçoit son autorité de Dieu ; par sa formation, il acquiert un savoir et un savoir- faire et il reçoit sa légitimité du choix de la communauté, il en tire alors une autorité de fonction.

Je signale que cette articulation entre tous et quelques-uns a été très prégnante dans l'Eglise ancienne. Pendant longtemps, l'élection de l'évêque se faisait par acclamation populaire.

Je cite un certain nombre de textes qui vous surprendront peut-être(11) : Hippolyte de Rome (vers 220) écrit : « qu'on choisisse comme évêque celui qui a été élu par le peuple » (tradition apostolique n°2, sources chrétiennes, 11bis, p.40-41).

Célestin écrit au 5ème siècle : « qu'on n'impose pas au peuple un évêque qui n'est pas réclamé par lui » (lettre 4). Plus tard, Léon, au milieu du 5ème siècle est encore plus catégorique, il écrit aux évêques de la région de Vienne, en Gaule : « celui qui doit présider à tous, doit être élu par tous » (lettre 10).

Cette règle demeurera pour l'Eglise catholique celle du droit écrit quoique inappliqué (dans la pratique) jusqu'au Code de loi canonique de 1917 qui prescrit en son canon 329

2, parlant des évêques : « le pontife romain les nomme librement ».

Toujours côté catholique, on fait droit à la réception par le peuple du curé ou de l'évêque. Le Canon 2147

2, 2° du code de droit canonique de 1917 prévoyait comme cause de révocation d'un curé inamovible « la haine du peuple, même injuste et non universelle, pourvu qu'elle soit telle qu'elle empêche le ministère utile du curé, et qu'on ne puisse prévoir qu'elle cesse bientôt ». [dans le code de 1983, la même nécessité de réception s'exprime au canon 1741, 3° : « la perte de la bonne estime chez les paroissiens probes et sérieux ou l'aversion envers le curé, dont on prévoit qu'elle ne cessera pas rapidement ».]

Il est important aussi de signaler que les ministres exercent leur autorité au sein de l'Eglise et non sur l'Eglise. L'ancienne traduction de Ac 20.28 a causé quelques torts. En effet, on traduisait : « le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a établis » ; mais cette traduction a été heureusement corrigée.

Il ne faut donc pas court-circuiter l'assemblée pour le choix du ministre, ni pour les grandes orientations prévues pour l'Eglise. Cyprien écrivait au 3ème siècle : « depuis le début de mon ministère épiscopal je me suis fixé pour règle de ne jamais décider selon mon opinion personnelle, sans entendre votre avis [prêtres et diacres], et sans entendre la voix du peuple »(12).

5 Le but des ministères

Cinquième thèse : Le Seigneur suscite des ministres pour l'édification de son corps ; leur rôle consiste à rendre les chrétiens murs afin qu'ils soient aptes au service du Seigneur.

C'est ce que dit l'épître aux Ephésiens au chapitre 4. Le Seigneur a fait des dons à l'Eglise « afin de mettre les saints en état d'accomplir le ministère pour bâtir le corps du Christ, jusqu'à ce que nous parvenions tous ensemble à l'unité dans la foi et la connaissance du Fils de Dieu à l'état d'adultes, à la taille du Christ dans sa plénitude. Ainsi, nous ne serons plus des enfants, ballottés, menés à la dérive à tout vent de doctrine, joués par les hommes et leur astuce à fourvoyer dans l'erreur ».

Ainsi, le rôle du responsable est de conduire les chrétiens à l'état d'hommes faits et non de créer un état de dépendance à leur égard ou d'infantilisme. On ne responsabilisera pas les chrétiens si on refuse qu'ils prennent une part active à la vie de l'Eglise et si leur seule responsabilité est de dire « amen » à ce qu'auront décidé les responsables.

Pour conduire les chrétiens à la maturité spirituelle, le responsable doit, comme le précise Mark Farmer(13) : « enseigner, soigner, protéger les âmes, conduire, animer et veiller sur l'ensemble de la vie de l'Eglise ».

Ici il convient de mettre en relief l'importance de la Parole pour la conduite du troupeau : « toute écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour réfuter, pour redresser, pour éduquer dans la justice, afin que l'homme de Dieu soit accompli, équipé pour toute œuvre bonne » (2 Tm 3.16). L'autorité du responsable est donc celle de la Parole. Il annonce, proclame, explique, montre la pertinence de la Parole de Dieu et la manière dont elle peut s'appliquer dans des situations concrètes.

Les ministères qui sont mentionnés en Ephésiens 4.11 sont ceux de la parole. Pour utiliser le langage métaphorique, les responsables font paître le troupeau en pourvoyant à leur nourriture spirituelle, c'est-à-dire par l'enseignement en vue de la croissance de chacun des membres.

Le ministre doit être honoré, respecté ; sa parole doit être prise au sérieux, ainsi que ses conseils. Mais le responsable n'est pas infaillible.

Sa parole doit serrer au plus près possible les Ecritures, ce qui ne l'empêche pas de temps à autre de risquer une parole en fonction d'un contexte particulier. Mais dans ce cas, il conviendra de faire la différence entre un conseil pastoral et l'annonce de la Parole de Dieu. Il convient aussi de faire la différence entre la révélation qui vient de Dieu, c'est-à-dire au sens fort une parole de Dieu revêtue de l'autorité même du Seigneur, et l'illumination de l'Esprit, l'intuition, la sensibilité, le discernement ou le bon sens. Il est demandé à l'assemblée de reconnaître l'autorité des responsables d'avoir de la considération pour eux (1 Th 5.12), de leur obéir (Hé 11.17) et de leur être soumis (1 Co 16.16).

Mais l'autorité des responsables n'est jamais absolue, car l'obéissance inconditionnelle est due au Christ. De plus, le responsable gagne aussi la confiance et donc le respect et la soumission par son service actif dans la communauté. En 1 Th 5.13, Paul exhorte l'assemblée à avoir la plus haute estime pour ses responsables « à cause de leur œuvre » ; de même, en 1 Co 16.15, Paul écrit : « vous savez que la famille de Stéphanas est les prémices de l'Achaïe et qu'elle s'est mise au service des saints. Soumettez-vous aussi à de tels hommes, ainsi qu'à tous ceux qui prennent part à l'œuvre et qui travaillent ». La véritable autorité n'est donc pas celle qu'on impose en raison de sa fonction ou de son titre, mais c'est celle que l'on gagne par ses qualités, sa compétence, sa sagesse, sa vie de soumission à l'Esprit, son savoir et son savoir-faire.

Au demeurant, la soumission aux responsables se situe dans la soumission à tous, c'est-à- dire dans la soumission réciproque les uns aux autres au sein de l'Eglise (cf. Ep 5.21 : « soumettez-vous les uns aux autres dans la crainte de Christ »).

En résumé, le Nouveau Testament nous met en garde contre tout complexe infantile d'attachement ou d'opposition systématique qu'on est tenté de nourrir à l'égard de ceux qui exercent l'autorité au sein de l'Eglise.

6. Autorités personnelle, collégiale et communautaire

Sixième thèse : Au sein de l'Eglise, l'autorité doit être exercée de manière personnelle, collégiale et communautaire(14).

L'exercice de l'autorité est une responsabilité devant Dieu au service de la communauté. Elle doit être exercée de manière personnelle, c'est-à-dire que le responsable doit prendre ses responsabilités devant Dieu et devant le Seigneur, et accepter de les assumer, sans se réfugier derrière une certaine autorité pastorale ou prophétique.

Elle doit être exercée collégialement dès que c'est possible, sous la forme d'un conseil. Les décisions les plus saines résulteront souvent de l'accord de plusieurs. L'autorité doit être exercée de manière communautaire, à cause précisément de cette articulation entre tous et quelques-uns que nous avons mentionnée.

7. La régulation nécessaire

Septième thèse : Etant donné que l'autorité est déléguée et qu'il faut viser une corrélation de la délégation du Christ et de l'Eglise, il faut toujours prévoir une régulation de l'autorité, afin d'éviter la dérive autoritaire, contraire à la seigneurie du Christ et à la fraternité de l'Eglise communauté, tout en permettant aux responsables de jouer leur rôle.

L'articulation de tous et quelques-uns présuppose une maturité, une expérience, un savoir que tous n'ont pas. Les responsables qui ont, de par leur consécration, leur formation et leur disponibilité, une meilleure connaissance de l'ensemble de l'Eglise et de ses besoins, doivent pouvoir empêcher l'Eglise d'avancer dans une mauvaise voie en prenant une mauvaise décision.

Mais, afin d'éviter toute dérive autoritaire, les responsables doivent aussi pouvoir rendre compte à l'Eglise, et se méfier de l'illuminisme, qui est un refus parfois d'assumer ses responsabilités.

Il peut arriver parfois que les responsables se focalisent sur des objectifs tout à fait pertinents, mais qui sont trop décalés par rapport aux besoins réels et actuels de l'Eglise. Ils doivent alors prendre en compte les objections que les membres d'Eglises peuvent soulever. Si on ne donne pas à l'assemblée les moyens de régulation de l'autorité, si on lui assigne un rôle de consommateur passif, les membres de l'Eglise exerceront alors leur contre-pouvoir en tant que consommateurs précisément : la sanction sera de ne plus vouloir du « produit » proposé et donc de quitter l'Eglise. Ce qui montre que ce contre-pouvoir de la communauté doit aussi avoir des limites, sinon on glissera dans la logique utilitariste de satisfaction d'un consommateur.15

Conclusion

L'autorité doit être transparente au sein de l'Eglise. Exercer une autorité au niveau de l'Eglise, ce n'est pas régner, mais annoncer l'Evangile, servir l'Eglise (cf. Mt 20.25-28). Le ministre a reçu son appel du Seigneur, il est bénéficiaire d'une reconnaissance de son ministère par l'assemblée et son autorité est placée sous le contrôle de la communauté et sous la souveraineté de l'Evangile.

Bien sûr, c'est l'idéal qui est décrit ici. Dans les communautés concrètes que nous formons, même si nous affirmons que l'Eglise est une christocratie, elles sont souvent dans la pratique une monarchie exercée par le pasteur ou un ancien à forte personnalité, ou une famille influente, ou une « conseillocratie », c'est-à-dire une oligarchie : l'Eglise vote, acquiesce aux propositions des anciens.

Il faut aussi signaler que la réalité est souvent plus complexe que la théorie. Même si une certaine forme de collégialité est souhaitable, elle n'est pas toujours possible : situation pionnière, manque de disponibilité, etc.

De plus, l'articulation entre tous et quelques-uns que nous avons décrite, suppose une certaine maturité de tous les chrétiens. Tous n'ont pas forcément la maturité, l'expérience, la sagesse, la connaissance nécessaires à la prise de décision.Mais la maturité s'acquiert ; les responsables doivent alors être patients, prendre le temps de discuter, d'expliquer, de persuader.

Il est vrai que, dans la réalité, il serait utopique de prôner l'unanimité pour la prise de décision. Cela peut être pertinent dans certains cas d'extrême importance, mais la poser comme principe peut bloquer toute prise de position.

Parfois, les responsables devront sans doute faire « acte d'autorité », mais ils prendront alors leurs responsabilités et les assumeront.

Auteurs
Alain NISUS

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1.
Cf M. Lienhard, « La direction personnelle, collégiale et communautaire de l'Eglise », Positions Luthériennes n°3, 1995, p.189.
2.
Oscar Cullmann, La tradition (Cahiers théologiques n°33, Paris : Delachaux et Niestlé, 1953).
3.
Jacques Blandenier « Le Nouveau Testament et les structures ecclésiales d'autorité », Kokhma n°66, 1997, p.42ss
4.
Cf H. Legrand « Le rôle des communautés locales » in La maison Dieu n°215, 1998/3, pp.9-32.
5.
Jacques Blandenier « Le Nouveau Testament et les structures ecclésiales d'autorité », Hohhma n°66, 1997, p.42
6.
ibid, p.43ss
7.
ibid
8.
cf J-F. Zorn « L'autorité pour le service », Hokhma n°66, 1997, p.64
9.
Blandenier « Le Nouveau testament… », p.64.
10.
Le pasteur baptiste : un « ministre » ou un « délégué », Construire ensemble n°11, Mars 99, p.7.
11.
cf H. Legrand « Le rôle des communautés locales », p.13ss.
12.
Cyprien, lettre 14. Cité d'après M. Lienhard, « La direction personnelle, collégiale et communautaire de l'Eglise », Positions Luthériennes n°3, 1995, p.192.
13.
Construire ensemble n°11, Mars 1999
14.
Il s'agit ici d'une recommandation du texte de Lima (le BEM) n°26. Nous signalons brièvement en quel sens nous interprétons cette formule.

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