Quarante ans après

Complet Martin Luther King

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Quarante ans après

Quarante ans après... L’enfant que j’étais ce 4 avril 1968 a grandi. Il a découvert le monde, s’est formé au contact de ses réalités et maintenant est appelé à s’y engager.

Quarante ans ... Mon souvenir de ce jour-là est entouré d’un voile légèrement brumeux. La gravité de l’événement, je la percevais alors par l’impact de la nouvelle sur mes parents. Aujourd’hui, je comprends mieux. J’ai appris –quelque peu– l’histoire. La figure de Martin Luther King m’apparaît dans des contours plus clairs, plus personnels, plus nets.

Quarante ans... Le monde a tourné très vite. Le paysage a changé du tout au tout. Les centres d’intérêt se sont déplacés. Les hommes en vue ne sont plus les mêmes. N’empêche que nous sommes là, et appelés à vivre, à agir, à être ce que nous sommes dans le contexte qui est le nôtre... continuité dans la discontinuité.

Et là, par delà changements et mutations, Martin Luther King me parle encore, aujourd’hui ; très fort. Il m’est arrivé, ici ou là, de me replonger dans sa vie et dans quelques uns de ses écrits. Il m’en reste l’image extrêmement forte d’un homme qui a su traduire l’Évangile en pertinence avec son contexte, dans son cadre de vie, en référence aux problèmes cruciaux de sa communauté et de son temps. L’Évangile n’est pas chez lui relégué dans les « arrière-mondes » et ne se dilue pas dans des généralités sur l’homme. Résolument, Martin Luther King a pris le parti de faire face, toujours, à la situation : sa vie le montre dans son immense valeur d’engagement ; ses prédications en témoignent aussi, avec leurs nombreuses références aux courants de pensée contemporains et leur constante application aux besoins concrets des auditeurs. Avec lui, Dieu apparaît vraiment comme le Dieu de l’histoire, de notre histoire, comme le Vivant.

Quarante ans après, je m’interroge et je me demande si mon christianisme n’est pas ici ou là, quelque peu déconnecté de la vie, des questions, des besoins d’aujourd’hui ; si sous prétexte de « pureté », je ne manque pas à certains engagements, à certains combats ; si par paresse ou manque d’imagination, je ne me limite pas dans les applications concrètes ; si par étroitesse ou par peur, je ne l’ai pas confiné au seul domaine « spirituel »...

Pourtant, Martin Luther King est une illustration parlante du fait qu’il est possible de mêler l’Évangile aux combats de la vie sans pour autant le « mondaniser ». Quelle exigence que celle de son « non-conformisme transformé » par l’Évangile ! Quelle stature que la sienne, prêchant l’amour des ennemis sur le perron de sa maison balayée par une bombe ! Quelle élévation que celle de sa recommandation, au lendemain du succès du long boycott des bus de Montgomery, de reprendre le bus « avec humilité et douceur » sans se vanter d’avoir eu la victoire sur les blancs alors que la rude épreuve de force a duré plus d’un an ! Quelle force que celle de ses sermons sur le pardon écrits dans les prisons de Géorgie ! Quelle vigilance, quelle attention constante sur les moyens et les motivations ! Et tout cela sur un terrain terriblement miné, où haine, parti pris, polarisation et non écoute de l’autre faisaient loi, et où il était si facile de déraper ou de se renier. Il suffisait de si peu : la moindre faille, le moindre laisser-aller aux réactions de la nature humaine pouvaient tout détruire et tout réduire à néant.

Quarante ans après, je m’interroge. Et je me demande si l’Évangile que je vis a cette même vigilance, cette même attention, cette même maîtrise, cette même grandeur d’âme. Je ne puis m’empêcher de penser qu’une certaine facilité –à moins qu’il ne s’agisse d’un fruit amer du refus de l’engagement sur les « terrains minés » conduit à se contenter de peu lorsqu’il s’agit de vivre et d’incarner les valeurs chrétiennes. Qui sait ?...

Ce que je retiens, quarante ans après, de Martin Luther King, ce n’est pas tant les succès d’un engagement que la stature d’un homme qui a su ne pas édulcorer les valeurs de l’Évangile tout en s’engageant dans un combat difficile.

Et l’on retrouve ici les deux composants de « l’hymne à l’amour » de l’apôtre Paul qu’on trouve au chapitre 13 de sa deuxième lettre aux Corinthiens lorsqu’il déclare : « Je peux parler les langues des hommes et les langues des anges. Mais si je n’aime pas les autres, je suis seulement une cloche qui sonne, une cymbale bruyante. Je peux avoir le don de parler au nom de Dieu, je peux comprendre tous les mystères et posséder toute la connaissance. Je peux avoir une foi assez grande pour déplacer les montagnes. Mais si je n’aime pas les autres, je ne suis rien ! Je peux distribuer toutes mes richesses à ceux qui ont faim, je peux livrer mon corps au feu. Mais si je n’aime pas les autres, je n’y gagne rien ! »

Pour la Bible, l’amour se qualifie par l’action qu’il suscite dans la confrontation à la réalité : elle seule en manifeste la vigueur et les multiples potentialités. L’apôtre le précise en poursuivant son hymne : « L’amour est patient, l’amour rend service. Il n’est pas jaloux, il ne se vante pas, il ne se gonfle pas d’orgueil. L’amour ne fait rien de honteux. Il ne cherche pas son intérêt, il ne se met pas en colère, il ne se souvient pas du mal. Il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité. L’amour excuse tout, il croit tout, il espère tout, il supporte tout... »

Exigeant dialogue qui ne peut se suffire de bons sentiments mais requiert aussi la réflexion. Là aussi, dans le domaine qui fut le sien Martin Luther King laisse un riche héritage. On est frappé de l’équilibre qui gouverne sa pensée et son action. La théorie s’articule bien avec la pratique, l’optimisme avec le réalisme, les exigences de l’amour avec le sens de la justice, celles du pardon avec la prise en compte de l’objectivité du mal. Ces équilibres, Martin Luther King les a atteints parce qu’il a pris le temps de penser, malgré une activité souvent débordante. Ses sermons portent la trace de la culture, tant générale que biblique. Et surtout, ils révèlent un homme qui a fait l’effort de la réflexion, de la recherche des distinctions et des nuances, en vue de positions justes, harmonieuses et opérantes.

« Un esprit ferme et un cœur tendre »... C’est le titre d’un des sermons du recueil La force d’aimer. Quarante ans après, la devise reste d’actualité et de nécessité. Car force est de connaître qu’aujourd’hui, trop souvent, les temps sont durs et les idées sont molles... »

Mais on ne peut évoquer Martin Luther King sans souligner la source profonde de sa fermeté et de sa constance : sa proximité personnelle avec Dieu. Il est émouvant de l’entendre lui-même raconter comment celle-ci a été bienfaisante et réelle aux heures les plus critiques. Il est intéressant de noter, aussi, qu’elle s’est affermie dans l’engagement, dans la mise en œuvre active des principes évangéliques, avec ses difficultés et ses exigences. Comme quoi, si l’action a besoin des ressources de la piété, la réciproque joue aussi.

Quarante ans après, il vaut la peine d’écouter son témoignage. Car il est porteur d’un formidable espoir : « les moments douloureux par lesquels je suis passé durant des années m’ont aussi porté plus près de Dieu. Plus que jamais je suis convaincu de la réalité d’un Dieu personnel. En vérité, j’y ai toujours cru. Mais autrefois, l’idée d’un Dieu personnel n’était pas beaucoup plus qu’une catégorie métaphysique que je trouvais théologiquement et philosophiquement valable. Désormais, c’est une réalité vivante, confirmée par les expériences quotidiennes. Dieu a été profondément réel pour moi, ces dernières années. Au milieu des dangers extérieurs, j’ai ressenti la paix intérieure. Dans les jours solitaires et dans les nuits lugubres, j’ai entendu une voix intérieure qui disait : « Voici, je serai avec toi ». Lorsque les chaînes de la peur et les entraves de la frustration avaient presque paralysé mes efforts, j’ai senti la puissance de Dieu, transformant la lassitude du désespoir en élan d’espérance(1).

Quarante ans après, c’est toujours cela qui fait la différence.

Auteurs
Thierry HUSER

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Informations complémentaires

(1) La force d’aimer, p. 229-230.

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