En prison : la lumière

Extrait Prison
Cet  entretien  de  Philippe  Malidor  avec  Jacky  Van Thuyne fait partie d’une série d’émissions diffusées par Radio Réveil sur RMC.
Jacky Van Thuyne est aussi l'auteur du livre « Je veux que tu sois mon père - Du grand banditisme à la foi » paru chez Fayard en 1999.

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En prison : la lumière

Père dresseur

Philippe Malidor : Jacky Van Thuyne, vous avez eu un parcours pas très banal. Pour commencer par le début de votre livre(1), vous décrivez votre père comme un homme très dur, et j’ai été très surpris de la grande indulgence que vous semblez avoir pour lui.

Jacky Van Thuyne — C’est à cause de la foi. Avant d’être saisi par Dieu, j’étais rempli d’une certaine amertume d’avoir été rudement frappé, mais avec la foi j’ai découvert la miséricorde et j’ai compris que mon père a fait ce qu’il a pu avec l’éducation qu’il a reçue. Il n’est pas le seul dans ce cas ; chacun de nous fait ce qu’il peut. Raison de plus pour souligner à quel point la miséricorde et le pardon sont nécessaires. Si on ne pardonne pas, on véhicule des rancœurs pendant toute une vie et on en reste prisonnier. Nous ne sommes faits ni pour la haine, ni pour la rancœur, ni pour la colère. Nous sommes destinés à pardonner et à bénir.

Sans doute votre père trimballait-il beaucoup de souvenirs qu’il n’avait pas pu digérer…

— Oh certainement, mais il ne m’en a jamais parlé. Je n’ai jamais mangé avec lui, je ne sais pas ce que c’est qu’un Noël ou un Nouvel An. J’étais livré à moi-même dans la rue. Je n’ai pas été éduqué, j’ai été dressé. Mon père m’a quand même appris la droiture, mais à la manière forte : mon nez et ma main sont cassés, et j’ai vingt-huit cicatrices à travers le corps. Mais bon… c’est mon papa !

Et vous avez perdu votre mère assez jeune…

— J’avais un peu plus de 15 ans. Ma mère tenait un café et elle est morte d’une cirrhose du foie.

Vous faites aussi une tentative de suicide, puis vous plongez dans la délinquance…

— Pas tout de suite. Je suis allé à l’école jusqu’à 14 ans ; de 14 à 18 ans je suis garçon boucher ; de 18 à 21 ans je suis à l’armée ; de 21 à 27 ans je suis patron d’une entreprise de transport. Ayant débuté tout petit et tout seul, je suis monté jusqu’à onze chauffeurs. Mais deux dévaluations et les événements de Mai 68 m’ont entraîné à la faillite, du fait que je n’avais pas de réserve bancaire.

    Voilà pour l’explication rationnelle. Sur le plan psychologique, il faudrait détailler un peu plus. À 8 ans, je suis déjà un petit dur, je n’ai pas un cœur d’enfant. Je ne sais pas ce que c’est qu’une adolescence. J’ai toujours vécu dans la peur de mon père parce qu’il était un homme très brutal et extrêmement fort. À 14-15 ans, je bois du lait-fraise mais je vais au bordel. À 18 ans, je fais connaissance avec la dérision, dans un milieu où même dix hommes n’ont pas la valeur d’une Jeep. À 21 ans je me marie, à 23 ans je suis divorcé ; quatre ans plus tard, ma femme meurt à cause de l’alcool. Ainsi, c’est l’accumulation d’échecs ou de malheurs inouïs qui brise peu à peu votre dynamique et qui la rend toujours plus négative.

Dans votre livre, vous soulignez le danger que fait peser sur autrui un individu qui n’a plus rien à perdre. Vous étiez devenu ce genre de personnage ?

— Tout à fait. Et les flics savent que quelqu’un qui n’a plus rien à perdre est très dangereux. Quand vous tirez sur les gendarmes, c’est la dernière barrière qui saute. C’est dans ce genre de circonstances que j’avais été repéré par la dixième Brigade Territoriale, et c’est Broussard qui est venu me chercher.

Le voile déchiré

Passons sur toutes vos aventures, parce qu’elles sont longues et compliquées. Toujours est-il que vous êtes pris dans une histoire de tentative de meurtre et prise d’otages sur gendarmes. Vous allez donc en prison pour de bon. C’est dans ce lieu que se passe un épisode étrange : vous êtes initié au spiritisme et là, vous prenez conscience de l’existence de Dieu tout en pensant que le spiritisme c’est dangereux.

— Je ne connais pas le spiritisme au départ. Au début, ça ne marche pas, et puis un jour ça répond, et on fait joujou avec ça pendant un mois. À cette époque, je suis contre Dieu ; pour moi il n’existe pas. Cependant, j’avais eu deux indices sérieux d’une vie après la mort. Un soir, alors qu’on ne jouait plus depuis deux mois avec le spiritisme, j’ai dit : « Mais alors, s’il y a une vie après la mort, Dieu existe. » Dès l’instant où j’ai reconnu, subjectivement, que Dieu pouvait exister, il m’est tombé dessus une douceur infinie, partout, dans tous les membres, et elle m’a apaisé. On aurait dit que j’étais dans de la ouate, que j’étais tout mou. Aujourd’hui je parlerais de béatitude mais à ce moment-là je ne formulais pas les choses ainsi. On aurait dit que j’avais l’agrément de tout le monde.

    Jusqu’à ce moment, j’étais assailli par des idées fixes : je ressassais sans cesse la mort de ma mère, la mort de mon père et, d’une façon générale, toutes les choses qui m’avaient blessé énormément. J’avais une intériorité obsessionnelle, exacerbée. Et là, subitement, cet affectif exacerbé se dissipe. D’un seul coup, je me mets à éprouver de l’amour même pour les murs de ma cellule, je ne comprends pas ce qui m’arrive. Et petit à petit je m’aperçois que cet apaisement crée en moi un espace de courage, de maturité. Ce sont les effets d’un cœur nouveau que je ne connaissais pas – cela, je ne l’ai compris qu’au bout de trente-huit mois d’étude et de recherche.

    Mais ce n’est pas tout. Le lendemain, ...

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