Apprendre et réapprendre

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Apprendre et réapprendre
Je me trouve en Allemagne avec des collègues chercheurs, dans une ville qu’aucun de nous ne connaît bien, et personne dans le groupe ne parle l’allemand de manière correcte. L’un de nous cherche un distributeur de billets.

Une petite longueur d’avance

Je sors mon smartphone de ma poche, active la puce GPS, et tape geldautomat dans le moteur de recherche. Il m’indique que le distributeur le plus proche se trouve à 300 mètres, ainsi que le chemin à suivre pour nous y rendre. Je guide notre petit groupe et nous arrivons pile devant le distributeur recherché. Mes collègues me regardent comme un extraterrestre.
Pourquoi ? Comment ai-je appris à faire ce genre d’opération qui est, provisoirement, hors de leur portée ? Il se trouve que j’ai marché pendant de longues semaines sur des chemins que je ne connaissais pas et que j’ai appris à utiliser et apprécier la fonction GPS destinée aux piétons. Cela m’a permis, à plusieurs reprises, de retrouver ma route, alors que j’étais égaré et, arrivant dans des villes inconnues, j’ai gagné énormément de temps en rentrant l’adresse où je devais me rendre. Une fois que j’ai utilisé ces fonctions basiques, j’ai appris à faire des recherches un tout petit peu plus élaborées. Ensuite, les abonnements téléphoniques nationaux ont été étendus à l’ensemble du territoire européen et le bénéfice m’est apparu comme encore plus évident à l’étranger.

Apprendre, une nécessité

De nouveaux outillages techniques de ce type n’ont cessé d’apparaître ces dernières années. Saviez-vous que le premier ordinateur personnel facile à utiliser (avec une interface visuelle et une souris) est apparu en 1984 ? Internet s’est, ensuite, répandu de manière massive à partir de 1997. À peu près à la même époque, le téléphone portable s’est lui aussi généralisé. 10 ans plus tard, en 2007, est apparu le premier smartphone à interface tactile. Ensuite, les fonctionnalités de ces appareils n’ont cessé de se développer, tandis que leur autonomie augmentait et que le coût des transferts de données diminuait.

Jamais terminé

À chaque transition, il est nécessaire d’apprendre de nouveaux usages et c’est d’autant plus nécessaire que, peu à peu, il devient indispensable de s’en servir. Il y a très peu de postes de travail qui sont accessibles, aujourd’hui, pour quelqu’un qui ne sait pas se servir d’un ordinateur. Et il y a de plus en plus de démarches qui supposent d’utiliser Internet. J’ai mené des enquêtes, vers 2005, sur la manière dont différentes personnes (de plus de 30 ans) avaient appris à utiliser Internet. Peu disaient que cela avait été rapide et évident. Beaucoup soulignaient que leurs enfants étaient trop impatients pour leur apprendre les rudiments de ce nouvel usage. C’étaient plutôt des personnes de leur âge : des collègues, des sœurs ou des frères, qui les avaient aidés. Dans tous les cas, ils s’étaient familiarisés très progressivement avec l’outil, en commençant par des choses simples : d’abord l’usage des mails, puis quelques sites rentrés en favoris, puis des moteurs de recherche, etc. Ils racontaient comme une aventure la première fois où ils avaient acheté quelque chose en ligne.
Ces expériences décrivent bien le contexte actuel : l’environnement quotidien, autant que l’environnement de travail, évolue rapidement. Il y a une évolution technique forte tous les dix ans et les processus d’apprentissage qui permettent de s’approprier les nouveaux outils sont mal balisés.

Il y a compétence et compétence

La conséquence spontanée de ces mutations est de dévaloriser et de marginaliser ceux qui sont en difficulté face à ces nouveaux dispositifs. Mais une telle évolution est lourde de conséquences. Nous avons observé, à plusieurs reprises, dans des enquêtes, que les salariés les plus âgés possèdent un savoir propre, et qu’il est fatal de l’ignorer au motif qu’ils manient moins facilement les nouvelles manières de concevoir le travail. Souvent, les salariés les plus jeunes ont eu des formations théoriques plus poussées et cela leur donne une compréhension générale de leur travail plus directe et plus aisée. Mais ils sont souvent moins à l’aise face à des situations concrètes, à des incidents imprévus, où l’expérience des salariés plus âgés fait merveille. La bonne solution n’est pas de favoriser un groupe plutôt que l’autre, mais de favoriser le dialogue et l’échange entre les générations afin que chacune puisse tirer parti du savoir et du savoir-faire de l’autre.

Gare au conflit des générations

Cela vaut aussi en dehors du travail : les générations ont besoin les unes des autres, car chacune a des atouts qui lui sont propres. Dans les sociétés traditionnelles, les anciens étaient réputés avoir une meilleure connaissance du monde et les plus jeunes leur devaient obéissance. On n’est plus dans un tel contexte, mais, aujourd’hui, malgré l’apparition continue d’innovations, personne ne peut dire qu’il « sait y faire » simplement parce qu’il est à l’aise avec un appareillage. La compréhension des besoins de l’autre qui est aujourd’hui au cœur de beaucoup de situations de travail ne se résume pas au maniement d’outils de communication.
La division grandissante du travail que nous connaissons nous conduit à compter sur les autres et à faire de plus en plus appel à leurs compétences. Or, pendant le même temps, la méfiance d’un groupe social à l’autre se développe, ce qui fait que nous perdons, collectivement, de la pertinence dans notre approche du monde. L’émiettement de nos sociétés génère de la violence, mais aussi une perte de savoir collectif.

Et la foi dans tout ça ?

L’Évangile apprend à rejoindre les autres, à les comprendre, même s’ils ont des points de vue éloignés du nôtre. Aimer l’autre n’est pas seulement affaire de sentiments, c’est aussi recevoir avec reconnaissance ce qu’il peut nous apporter. Et une telle attitude a une importance cruciale aujourd’hui : pour nous, pour l’Église, pour l’ensemble de la société.
Serons-nous à la hauteur d’un tel enjeu ?

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Informations complémentaires

Frédéric de Coninck, chercheur en sociologie urbaine à l’école des Ponts et Chaussées, est aujourd’hui à la retraite.



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