La sainte colère d’un néophyte

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Interview par Philippe Malidor.

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La sainte colère d’un néophyte

Raphaël Delpard n’est pas un tiède. Ce grand reporter a, par hasard, brutalement découvert que la persécution des chrétiens était une réalité présente, à la fois anachronique, et d’une cruauté indicible dans certains pays. Alors il a écrit “La persécution des chrétiens aujourd'hui dans le monde” (1). Ce titre extrêmement factuel se passe de commentaire. L’originalité de l’auteur est ailleurs: il n’est pas croyant. Et bizarrement, il est plus véhément que certains disciples de Jésus-Christ lorsqu’ on massacre, tue, viole des gens pour le seul «crime» de posséder une bible et de croire au message de l’Évangile. Ses propos sont rudes, voire contestables. Mais la révolte de Raphaël Delpard ne devrait-elle pas être la nôtre aussi?…

J’étais au Maroc, et je travaillais avec des journalistes qui m’ont montré, tourné sur un téléphone portable, une vidéo d’un mariage chrétien kabyle en Algérie qui se déroulait dans une cave. J’ai été foudroyé par ce que j’ai vu: comment pouvait-on en arriver là, alors que les traités de l’ONU sur le droit de religion sont en vigueur depuis l’après-guerre? J’étais très ignorant de la persécution des chrétiens, que ce soit au Proche-Orient, en Indonésie ou ailleurs. Ce qui continue de nourrir ma colère, c’est que des hommes ou des femmes soient contraints de vivre leur foi avec la peur au ventre. Idem quelle que soit la religion persécutée.

– Vous reliez ces persécutions à l’héritage des premiers martyrs jetés aux lions…

On vient de m’envoyer des photos du Niger où presque mille chrétiens ont été tués et brûlés! Il n’y a pas de grande différence entre Blandine et les premiers évangélistes de la Gaule, et les chrétiens à qui on tranche la gorge aujourd'hui.

SE RENSEIGNER SUR PLACE

– Êtes-vous allé enquêter sur le, ou plutôt les terrains?

Je déployais mes antennes un peu partout et je prenais des contacts, par exemple en Chine, au Yémen, mais par personnes interposées. Je sentais bien que ces gens se méfiaient de moi: étais-je un agent double? Allais-je les trahir? C’est pourquoi j’ai ressenti le besoin de me rendre moi-même dans certains pays, aussi pour me remplir des ambiances, des regards, des gestes, des récits. Par mes autres livres, j’avais déjà des réseaux de hauts fonctionnaires, de diplomates, jusqu’à l’ONU. Ils ont été un peu réticents, mais j’ai réussi à me procurer de faux passeports et à accéder à plusieurs pays parfois en transitant par un autre: sur les 23 pays que j’ai visités, la moitié l’ont été clandestinement.

– Comment avez-vous financé ces expéditions?

Tout seul. D’ailleurs, je ne connaissais aucune des organisations chrétiennes avec lesquelles je suis en relation aujourd'hui (notamment Portes Ouvertes, qui m’a fourni de précieux renseignements) et je ne savais pas trop où j’allais. Cette enquête a duré huit ans.

L’ÉNIGME DE L'ISLAM

– L’islam est globalement paisible, mais vous ne voulez pas passer sous silence la violence desislamistes. Comment se tenir dans une juste perception du phénomène?

L’islam est par essence politique. Je le respecte en tant que croyance. Mais l’islam radical et politique a fini par remplacer le bloc de l’Est pendant la guerre froide. D’ailleurs, vous observerez que c’est à partir de la ruine de l’empire soviétique que l’islam radical a profité de la béance qui était apparue là.

– C’est exactement ce que Jacques Ellul avait prophétisé!

Le pasteur Stéphane Lauzet me l’a fait découvrir, et je le lis à petites doses avec beaucoup d’intérêt. Et puis, je découvre le Christ, qui m’a toujours fasciné en tant qu’homme, et par sa modernité. Pour en revenir à l’islam radical, là où nous sommes piégés, c’est qu’il fait taire tout le monde et s’impose jusque dans les pays de tradition chrétienne. Nous sommes trop soumis au politiquement correct. En Turquie, ou en Égypte (contre les Coptes), les islamistes sont terribles. Je dirai qu’il y a des musulmans modérés le jour où l’un d’entre eux arrêtera le bras de son coreligionnaire qui se lève contre un chrétien ou un Juif. J’aimerais en voir se manifester (2). Il ne faudrait pas qu’ils profitent abusivement de l’accueil de tradition judéo-chrétienne.

ET S'IL N'Y AVAIT PLUS DE CHRÉTIENS?

– Ce qui est paradoxal, c’est que vous qui êtes incroyant, vous semblez redouter l’effacement des chrétiens en Occident.

Une journaliste de France Inter m’accusait de dire que si le christianisme disparaissait, l’humanité disparaîtrait avec elle. Je lui ai répondu: Mais oui, évidemment! La chrétienté, c’est le pivot des sociétés démocratiques. Si elle disparaît, les chrétiens, les bouddhistes, les taoïstes disparaîtront, et les laïcs aussi.

– Vous devez être effrayé de l’exode massif des chrétiens d’Irak et des pays alentour, où la vie devient intenable pour eux.

Non seulement j’en suis effrayé, mais je n’en dors plus la nuit! J’aimerais être né riche pour aller assiéger l’ONU, engager des actions d’envergure, dénoncer ces hauts fonctionnaires cyniques et prétentieux. J’envisage de réaliser un film qui tournerait partout en France pour susciter des prises de parole. Le silence de nos élus et celui des nations est effarant. La plupart se soucient peu des jeunes chrétiennes violées ou mariées de force, ou des hommes brûlés vifs à cause de leur foi.

– Est-ce que cette enquête vous a changé personnellement?

Elle a fait augmenter ma colère et me fait douter qu’il reste quelque chose de bon, de «sauvable» en l’homme. Est-il pourri par le confort moderne? Des ecclésiastiques m’ont dit que les chrétiens sont faits pour être persécutés! Je vois que des pays signataires de la Charte de l’ONU persécutent abominablement les chrétiens. Et Dieu me demeure peu audible. À part sur le plan de ma vie privée, je suis profondément malheureux, oui. Et profondément inquiet. Comment pourrais-je arriver à soulever tout seul ces montagnes?…

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1.
Michel-Lafon, 2009.
2.
Il en existe, notamment parmi les intellectuels musulmans qui prennent des positions courageuses et risquées. Cf. également les témoignages recueillis par Jean-Claude Guillebaud dans le Nouvel Observateur du 21 avril 2011 : « Le ‘chant profond’ du printemps arabe ». NDLR

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