15 décembre 1598. Marnix : Philippe et Philippotte

publié le 15 December 2021 à 01h01 par José LONCKE

Philippe de Marnix (1540-1598), baron de Mont- Sainte-Aldegonde, meurt à Leyde au terme d’une vie au cours de laquelle il a réalisé pleinement sa devise « Repos ailleurs ».

15 décembre 1598. Marnix : Philippe et Philippotte

 Marnix nait à Bruxelles en 1540. En tant que fils cadet, son père le destinait à la carrière ecclésiastique et lui avait fait obtenir en 1556 un cannonicat à l’évêché de Thérouanne, pour les cures de Desvres, Nuncq et Wicquinghem. Comme son frère aîné Jean, destin » lui au droit,  il étudia aux universités de Louvain, Dôle, et Genève, où il prit ses grades en théologie. 

Philippe revient en Belgique et se marrie en 1562 avec cette jeune fille d’excellente famille : « la gente » Philippotte de Bailleul ou Van Belle (née en 1542) et résigna ses prébendes. Ils s’installent à Breda « en toute quoyeté » dans « la maison au marché au bétail », et y mènent une vie calme et studieuse au sein d’une large aisance. 
Le mariage est heureux : Philippe et Philippotte partagent les mêmes sentiments à l’égard de la foi protestante. Ils aident ce mouvement de toute leur influence. Ils ne se bornent pas à fréquenter les prêches ; ils reçoivent les pasteurs à leur table et les nobles entrés dans l’opposition et mettent leur maison à la disposition de leurs coreligionnaires. Ils tenaient chez eux des conventicules et se rendaient parfois hors ville la nuit pour assister à des prédications dans "l’église verte".  A ce jeu  Marrnix et son épouse devinrent bientôt suspects.

Quatre enfants naîtront de ce mariage : un fils, Jacob (Jacques), tué dès sa première campagne ; trois filles, Marie, Amélie et Elisabeth, qui se fixèrent en Hollande, où elles épousèrent, l’une un des Barneveldt, les autres deux des principaux citoyens de la république.
 
Marnix écrit dans sa Méthode d’élever la jeunesse :

«Il faudra les inciter de bonne heure à la piété  et au respect envers Dieu, leur poser des questions comme en jouant, leur suggérer les réponses touchant Dieu, sa miséricorde, sa justice et notre salut opéré par le Christ ; les pénétrer en un mot, peu à peu, d’une foi sincère et éclairée, et avoir ensuite grand soin de les retenir dans les bornes de convenances envers leurs parents, et, aussi, de bien éviter de les rendre familiers au point de ne pas mettre de différence entre leur père ou leur mère et les autres membres de la famille. »

En 1566 Philippe participe au Compromis des nobles. Le choix a été tragique: il a demandé un positionnement de l'individu, qui a aussi eu des conséquences pour le modèle social tout entier: les familles ont été déchirées, des amitiés brisées, la paix et la tranquillité publique troublée. Marnix choisit l'exil. Il passe un peu de temps à Brême, puis s'installe dans un château Lutetzburg, non loin de la Frise orientale à Emden, qui compte alors une grande colonie de calvinistes échappés des Pays-Bas.

Après la mort de son frère en 1566, Marnix est banni et ses biens sont confisqués.

« Tous ses biens meubles et immeubles, fiefs et héritages ».

En 1568, la seigneurie de Mont-Sainte-Aldegonde fut confisquée par décision du conseil des troubles et, la même année, le manoir fut saccagé par  les soldats espagnols. Lors des opérations militaires de 1572, les troupes du duc d'Albe dévastèrent le domaine et laissèrent le château en ruines. La Pacification de Gand, en 1576, rendit ses biens à Philippe de Marnix, mais il ne put en jouir à cause de la situation créée par les guerres. Même la levée du séquestre,  après la capitulation d'Anvers, ne lui permit pas de revenir sur ses terres. Il déclare en 1579

« qu’en dix ou douze ans il ne reçut oncques maille de son bien ».


Philippotte de Bailleul allait être frappée de la même peine le 1er juin 1570, pour son attitude jugée subversive à Breda. Ces faits sont consignés dans la sentence prononcée par le conseil des troubles (1er juin 1570), contre

« Damoiselle Philippotte de Bailleul,  femme de Philippe de Marnix, seigneur de Sainte-Aldegonde ». 

« Elle était accusée d’avoir, au temps desdits troubles, fréquenté les réprouvés prêches des sectaires calvinistes, tant en charriot que à pied, même été en divers conventicules et illicites assemblées desdits sectaires, tenues tant en le maison d’un Antoine Bachelier qu’en la sienne propre, où se sont faites prêches et exhortations par lesdits ministres, avec lesquels elle a conversé familièrement et les traité à sa table, au grand scandale des bons catholiques ».

L’exil et la pauvreté sont donc le sort de Marnix et de son épouse. Ils supportent avec courage ce changement de destinée. Malgré les mécomptes et les revers ils continuent de servir fidèlement la cause pour laquelle ils sont également renié par leurs parents et amis.

« Je fus contraint d’endurer proscriptions, bannissement, exil, perte de biens  et opprobre de tous mes amis et parents. »

Au cours de sa période d’exil en Frise orientale, Marnix une intense activité littéraire.... Marnix et Philippotte ont tout perdu, leurs biens comme leurs espérances. Cette fois c’est la guerre et Marnix fournit à son parti une armée de dix mille mercenaires, ce qu’il a de meilleur en lui, sa redoutable puissance de pamphlétaire : "Den bienjenkorf der Roomsche Kercke" (La Ruche de la Sainte Eglise romaine). Ce texte est rédigé en néerlandais (langue qu'il a apprise), sous le pseudonyme d'Isaac Rabbotenu (celui qui tient un rabot...), et rencontrera un vif succès.  

Le Bijencorf, est une satire acérées contre l'Eglise catholique romaine, Toutefois, il fournit plus qu'un simple pamphlet : à maints endroits du Bijencorf. Marnix a également souligné les principes généraux de la réforme, que le rôle central de la Bible et le Christ comme unique Sauveur.

L’adaptation élaborée, considérablement élargie, s’étendant sur près de 1 500 pages, qu’en fit Marnix lui-même en langue française, sera intitulée :  "Le Tableau des différents de la religion".

L'auteur y alterne des passages sérieux, dans lesquels sont exposés dans une langue très pure les thèses des protestants, et des passages comiques et satiriques qui présentent les arguments des adversaires. La vérité semble sourdre du chaos, qui l'illumine par constaste.

Dans ses parties satiriques, le ton de Marnix emprunte  à Rabelais et à Erasme. L’extrait suivant donne une idée du style foisonnant.
Marnix y mentionne une anecdote survenue dans la ville de  Bailleul en 1562.  On y rencontre l’évêque d’Ypres, fraichement nommé,  qui avait remplacé solennellement la statue de saint Antoine, jetée à terre sans ménagement, quoique objet peu auparavant des plus grandes dévotions, par le Saint Jean de Thérouanne (dont on attendait encore plus de profit).

« Tu dois savoir  qu’un certain Martinus Rithovius l’un des nouveaux évêques en la basse Allemagne avait été élu en Flandres, pour gouverner l’Eglise d’Ypres, ayant reçu du Saint Père plein pouvoir et autorité spéciale de faire déloger les vieux saints, pour y planter des frais en leur place. Et de fait, il pratiqua cette science à l’endroit d’un ancien patron dans l’Eglise d’un monastère près de Bailleul, pour y introniser un autre en son lieu. Celui qui fut contraint de déloger, n’était pas un petit novice c’était Monsieur saint Antoine, lequel, comme on sait, est assez brusque garçon et a grand crédit entre les happelopins, croquelardons, et porterogatons dans son Eglise… et toutefois il fut désarçonné d’un beau coup de lance par ce maître évêque, quoique émoulu tout frais, et à peine sorti de la coque tonsurale…
Il vous fait porter une fierté en l’Eglise couverte de drap, en belle procession, rangée de toute la vénérable prêtraille marchante en ordre compétent, avec bannière, confalons, dais, baldaquins, falots, torches, benoistriers, cymbales, et autres ferrements du mêtiers : puis il empoigna une belle croix et en donna un dronos bien serré à la statue de Saint Antoine… et voilà notre homme par terre tout fané (comme un bœuf assommé d’un marteau de boucher)… cependant que les prêtres chantent fort heureusement les vigiles et mortuaires du trépassé… ainsi fut forcé à saint Antoine en dépit de ses dents, de déloger sans trompette, avec feu, pourceau, clochette et toutes ses drogues, pour faire place à saint Jean, qui se mit en paisible possession de ses offrandes… »

Il passe un an en prison… du 4 novembre 1573 au 15 octobre 1574 : il en profite pour donner une traduction rimée des psaumes d’après le texte hébreu.

« Depuis que Dieu m’ouvrit les yeux pour connaître le chemin de mon salut lequel j’ai cherché en toute intégrité et rondeur, et avec toute la diligence possible, sans condamner ce que je ne connaissais pas, j’ai toujours suivi ma Religion, sans fléchir ni pour allèchements, ni pour promesses que l’on m’ait fait bien grandes en divers lieux, ni pour menaces, ni même ayant été un an entier entre les mains des Espagnols. Dieu m’a fait toujours la grâce de demeurer constant et invariable. » (Marnix : "Réponse à un libelle fameux")

Malheureusement, on ne sait pas grand-chose sur Philippotte. Les femmes du XVIe siècle vivaient le plus souvent complètement dans l'ombre de leurs maris, de sorte qu’il n’en reste que très peu de traces dans les archives qui sont parvenues jusqu’à nous.

Dans la correspondance de Marnix nous trouvons quelques brèves mentions de Philippotte. Guillaume d’Orange s’adresse à Philippotte expressément, dans une lettre en date du 21 novembre 1573. Il s'agit d'une lettre en français, provenant de Guillaume d'Orange et écrite peu de temps après que Marnix ait été capturé par les Espagnols.
Guillaume d'Orange s’adresse à elle en tant que  « Madame Philippotte de Mont-Saint Aldegonde » et lui promet de tout faire pour libérer son mari. Il écrit qu’il est convaincu que, avec l'aide de Dieu, cette épreuve serait surmontée. Il est incontestable que,  tout comme Marnix, Philippotte et Guillaume d’Orange aient été profondément croyants.

En novembre 1583, il est nommé bourgmestre d’Anvers, et pendant le siège de la ville par Alexandre Farnèse, il eut l’occasion de montrer ses talents militaires. Durant 13 mois, il dirigea courageusement la défense de la cité. La flotte de Zélande, qui devait remonter l’Escaut pour délivrer Anvers, ne put vaincre le blocus, alors les bourgeois forcèrent Philippe de Marnix à capituler.
Dans les négociations : il prévoit des sauf-conduits pour sa femme et ses enfants.
Es biens confisqués sont rendus…

Il se retira le 9 Novembre 1585 dans son château de West Souburg sur Walcheren en Zélande, qu'il a acheté en 1578. Pour Marnix la capitulation d’Anvers été une expérience traumatisante: il a démissionné de toutes ses fonctions et… il écrit sa défense :
« Brief recit de l'estat de la ville d'Anvers du temps de l'assiegement et rendition d'icelle servant en lieu de apologie pour Philippe de Marnix, sieur de Mont Saint-Aldegonde contre ses accusateurs, au regard de l'administration qu'il a eu ».

Il écrit à son ami Van der Mylen :

« J’abandonne à Dieu cette affaire (la capitulation d’Anvers) et j’espère qu’il plaidera ma cause. Cependant je pleure sur la patrie que je vois périr misérablement. Rien ne subsiste de ces bases que nous avions jetées avec tant d’éclat et qui s’écroulent de fond en comble… pour moi, du fond de l’exil, (car j’ai résolu de me retirer je ne sais où, en Allemagne et peut-être en Samartie) je verrai de loin les calamités de mon pays. Ce qui m’est le plus douloureux, c’est de ne pouvoir l’assister ni par le conseil,  ni par l’action… quant aux armes, je ne vois pas ce que nous gagnons, par là ; au reste, vous aviserez et si je puis servir en quelque chose, je suis prêt. Adieu. Je travaille à me pénétrer de plus en plus de la vraie Religion, afin que le monde soit crucifié en moi, et moi au monde, et que ce ne soit plus moi, mais Christ qui vive en moi. »

Au cours des quatre prochaines années, il travaille dans la solitude tous un examen plus approfondi de sa traduction des Psaumes et d'autres travaux littéraires. À son grand regret sa traduction n’arriva pas à supplanter celle de Datheen  dans le culte réformé.
En 1591, il édite une révision de sa traduction des psaumes de 1580 :  « Het boek der Psalmen » (Le livre des psaumes).

Une vie loin de la politique… Il se consacre avec passion à l'horticulture. Il a expérimenté aune variété de fruits et légumes, tulipes et melons… et correspondait à ce sujet avec des botanistes et des humanistes célèbres tels que Charles de L’Ecluse, Dellobel et Lipsius (les lettres qui ont survécu contiennent de beaux passages.)

Un ami de passage à West-Souburg  décrit Marnix comme un petit homme vif et bavard de charme. Comme homme de la Renaissance polyvalent, il était un grand collectionneur de livres et de peintures, il a composé des morceaux de musique et aimait le jardinage.

Face à un pasteur rigoriste il a défendu le privilège de danser. Marnix a laissé (1577) un écrit sur la danse, il la considère comme un délassement pour le corps, après la fatigue et les tensions de l’esprit ; pour lui la danse est un exercice salutaire. Il la recommande même au point de vue moral. Il croit, qu’aux Pays-Bas la danse est louable et bonne parce qu’elle empêche qu’après les repas on ne se porte à s’enivrer. Mais Marnix blâme vivement les danses désordonnées et voluptueuses.

Le 2 avril 1586, il faisait part à son ami Adrien Van der Myle de la mort de Philippotte, sa fidèle compagne, qui par son dévouement l’avait soutenu dans l’épreuve de sa  disgrâce. Sa devise était :

« En paine j’atens salut ».

En 1595, nous le retrouvons à la cour de France en qualité d’ambassadeur.

Il passa ses dernières années à Leyde, et c’est en travaillant à sa traduction de la Bible. Les Vaudois persécutés en Flandres avaient traduit la Bible en vers flamands. Nicolas de Vingh fit imprimer une Bible Flamande sur la traduction de Luther, à Louvain en I548 et à Cologne. En 1594, on chargea Marnix de donner une nouvelle version. Mais Marnix mourut après avoir seulement commencé l’ouvrage (jusqu’à la fin de la Genèse). Il s’éteignit, à l’âge de 58 ans, le 15 décembre 1598.

Le Synode  de  Dordrecht en 1618-1619  ordonna que l'on travaille à une nouvelle traduction de la Bible en flamand, qui ne fut achevé qu'en 1636.

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